La crise liée à la pandémie de Covid-19 va toucher certains pans de l’économie plus durement que d’autres. Les Français qui travaillent dans ces secteurs ont un risque accru de perdre leur emploi. Mais risquent-ils aussi d’être exclus du crédit immobilier ? Etat des lieux.

+22,6% : en avril, le nombre de Français inscrits à Pôle Emploi et n’ayant pas du tout travaillé - ceux qu’on appelle les demandeurs d’emploi de catégorie A - a fait un bond historique. Et ce n’est peut-être qu’un début : on peine encore, en effet, à mesurer l’impact de la crise du coronavirus sur le marché de l’emploi. Les mois qui viennent s’annoncent en effet très incertains : que va-t-il se passer lorsque les effets des mesures d’urgence prises par les pouvoirs publics - la prise en charge du chômage partiel notamment - vont s’estomper ?

Une chose paraît quasi-certaine toutefois : cette crise, et c’est une de ses spécificités, va toucher certains pans de l’économie beaucoup plus durement que d’autres. Avec pour conséquence, un risque de perte d’emploi encore plus élevé pour les Français qui travaillent dans ces secteurs.

Officiellement, des critères inchangés

Ce risque accru de chômage va-t-il affecter la capacité de ces Français, en particulier, à emprunter pour un achat immobilier ? Autrement dit, à situation égale, certains candidats à l’emprunt vont-ils essuyer plus de refus en raison de leur profession ? Officiellement, non. « Il n’y a pas, aujourd’hui, d’exclusion d’emprunteurs sur la base de leur exposition aux conséquences économiques du coronavirus », affirme ainsi le porte-parole d’une grande banque française, qui poursuit : « Les critères qui fondent la décision d’octroyer ou non un crédit n’ont pas changé avec la crise. Le nom de l’employeur n’en fait pas partie ».

Sous couvert d’anonymat, un courtier spécialisé nous explique pourtant avoir été prévenu par certains établissements avec lesquels ils travaillent : ils ne souhaitent plus financer les projets immobiliers des personnes travaillant dans l’événementiel, l’hôtellerie-restauration ou encore le secteur aérien, y compris si elles bénéficient de contrats à durée indéterminée (CDI). La même source rapporte par exemple le cas d’un pilote de ligne à très hauts revenus, dont le dossier a été refusé en raison d’un trop grand risque de licenciement. Et les salariés d’autres secteurs sont également scrutés de très près : ceux qui travaillent dans l’habillement et l’automobile, notamment.

L’employabilité plus que l’emploi

Il s’agit d’épiphénomènes, relativise le porte-parole de la grande banque française. Des dossiers de prêts rejetés sur la seule foi du métier de l’emprunteur ? Maël Bernier n’y croit pas non plus. Pour la directrice de la communication de Meilleurtaux, les banques n’ont pas attendu la crise du coronavirus pour regarder de près l’emploi et le secteur d’activité du candidat à l’emprunt : « Elles l’ont toujours fait, et c’est normal. Dans le contexte actuel, elles vont logiquement anticiper un risque accru de chômage. Mais il n’y a pas, à ma connaissance, de secteurs visés en particulier. On reste dans une logique d’extrême prudence, qui a toujours été la norme en France. »

Toutefois, face aux nombreuses incertitudes des mois à venir, un critère va prendre un peu plus d’importance, annonce Sandrine Allonier : celui de l’employabilité. C’est-à-dire de la capacité d’une personne à rebondir en cas de licenciement. « Le risque accru de chômage n’est pas rédhibitoire pour obtenir un prêt », explique la porte-parole du courtier Vousfinancer. « Mais dans le contexte actuel, la capacité à retrouver rapidement et facilement un travail va être importante. » Ce qui revient, tout de même, à instaurer une forme de discrimination entre les emprunteurs évoluant sur des secteurs porteurs, et les autres.

Les mêmes freins qu’avant la crise

Quoi qu’il en soit, tous les observateurs s’accordent sur un point : les craintes sur le marché de l’emploi n’affectent aujourd’hui qu’à la marge la production de nouveaux crédits immobiliers. Les freins les plus puissants, antérieurs au coronavirus, restent l’application stricte des recommandations du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), qui a demandé aux banques, en novembre 2019, de resserrer leurs critères d’octroi de crédit notamment en appliquant à la lettre la règle des 33% d’endettement maximum.

Lire sur le sujet : Crédit immobilier : pourquoi Bercy veut vous empêcher d'emprunter

« Les 33% d’endettement bloquent d’un côté les primo-accédants, notamment ceux qui ont peu d’apport, et de l’autre, les investisseurs locatifs et ceux qui cherchent à acheter une résidence secondaire », constate Sandrine Allonier. Des profils qui ont en commun d’emprunter souvent 100% de la valeur du bien, voire un peu plus. Ce n’est plus possible actuellement. « La qualité de l’apport va être essentielle dans les mois à venir », confirme Maël Bernier. Pour une raison : l’incertitude liée à la crise touche aussi les prix de l’immobilier. Dans ce contexte, « les banques vont peut-être hésiter à financer 100% du prix d’un bien dont la valeur pourrait baisser dans les mois à venir », poursuit la porte-parole de Meilleurtaux. L’idéal est donc de disposer de 20% d’apport, de façon à couvrir les frais de notaire et 10% de la valeur du bien.

L’effet ciseaux du taux d’usure

Mais le frein majeur reste, de l’avis de tous, les taux d’usure. C’est-à-dire les taux maximum que les banques sont autorisés à pratiquer. Ces plafonds légaux sont mis à jour chaque début de trimestre, en fonction des taux effectivement pratiqués au cours du trimestre précédent. Et surprise, à l’occasion de leur dernière mise à jour le 1er avril 2020, ils ont encore baissé. Résultat : pour un prêt sur 20 ans, la durée d’emprunt la plus fréquente, les banques ne sont pas autorisées actuellement à dépasser un taux annuel effectif global [TAEG, qui intègre le taux nominal plus tous les frais liés à la souscription du prêt] de 2,51%.

Problème : en avril et mai, les banques ont globalement relevé leurs barèmes de taux. Un réflexe habituel en période de crise : elles y intègrent une sorte de prime de risque. Des taux d’usure en baisse, des taux effectifs en hausse : c’est ce qu’on appelle « l’effet ciseaux ». Et il est très redouté, car il a pour conséquence de bloquer certains dossiers de prêts, pourtant très bons sur le papier. Notamment ceux apportés par les courtiers, dont la commission s'ajoute au TAEG.

Sandrine Allonier, de Vousfinancer, évoque ainsi le cas récent d’un couple avec deux enfants, disposant de 15 000 euros d’apport et de 84 000 euros de revenus annuels nets, souhaitant acquérir une résidence principale à 360 000 euros. Réponse de la banque, malgré un taux d’endettement limité à 25% : « Il n'y a aucune solution pour ce projet. Baisse des taux, des frais de dossier, hypothétique délégation d'assurance, baisse des honoraires du courtier : nous avons tout essayé mais le TAEG reste malheureusement trop haut ».

Un marché qui repart, des taux qui baissent

Peut-on espérer voir les taux d’usure repartir à la hausse à l’occasion de la prochaine mise à jour, au 1er juillet ? Rien n’est moins sûr, pour au moins deux raisons. La première : à cause des freins déjà décrits, l’essentiel de la production se fait aujourd’hui sur les meilleurs dossiers, qui sont aussi ceux qui obtiennent les taux les plus bas. Résultat : malgré la hausse moyenne des barèmes, les taux effectivement pratiqués, ceux qui sont utilisés comme référence pour calculer les taux d’usure, restent bas.

La seconde : avec la fin du confinement, la réouverture des agences bancaires et des agences immobilières, la production de crédits immobiliers a déjà redémarré. « Les volumes actuels sont très importants, plus importants que l’année dernière à la même époque », explique le porte-parole d’une grande banque. Pour profiter de cet effet rattrapage, et prendre leur part du gâteau, certaines banques, les moins compétitives ces derniers mois, ont ainsi déjà commencé à baisser leur barèmes.

Résultat : les courtiers craignent que les taux d’usure restent durablement bas et contribuent à ralentir la reprise. Et demandent donc aux pouvoirs publics une réforme de la formule de calcul. Auront-ils gain de cause ? Réponse dans les semaines à venir.

A consulter : notre baromètre des taux immobiliers