Avec la remontée des taux d'intérêt, les fonds euros sont dans la tourmente. En cas de panique, la loi Sapin 2 permet un blocage temporaire des fonds de la part des assurés. Un dispositif qui inquiète dans le contexte actuel. Explications.

Faillite de la banque SVB aux Etats-Unis, rachat de Crédit Suisse, Eurovita en Italie placée sous la tutelle de l'Etat... Plusieurs banques et assurances sont dans la tourmente ces dernières semaines. De quoi s'inquiéter de remous dans l'ensemble de la finance mondiale avec un effet domino sur votre assurance vie ?

« On ne peut pas parler d'épiphénomène », signale Gildas Robert, directeur associé actuariat-conseil chez Optimind, spécialiste de l'assurance vie en France. « Ce sujet secoue les marchés financiers mondiaux. À tel point que les banques centrales ont dû intervenir. »

« On ne peut pas parler d'épiphénomène »

Les marchés y ont laissé des plumes, les valeurs bancaires, comme BNP Paribas et Société Générale connaissant ponctuellement de grosses baisses. Mais la chute concerne en réalité des établissements « fragiles », « sur lesquels l'analyse démontrait des problèmes de concentration des risques », poursuit Gildas Robert. SVB était ainsi trop focalisé sur le marché instable des entreprises technologiques, alors que la solvabilité de Crédit Suisse et de l'assureur italien Eurovita posait déjà question.

Des châteaux de cartes qui s'écroulent

La remontée brutale des taux, impactant le marché obligataire, n'a fait qu'écrouler les châteaux de cartes. Pour le comprendre, il faut rappeler qu'une obligation se compose de deux éléments : la rémunération de son détenteur (coupon) jusqu'à une échéance, et une valeur de revente intrinsèque. Or ces dernières années, le coupon était au plus bas. Mais depuis le début de l'année, les nouvelles obligations d'État livrent jusqu'à 4% d'intérêts. Les anciens titres, peu rémunérateurs, ont donc perdu une bonne part de leur valeur.

« La remontée des taux est à l'origine de ces problèmes de liquidité et/ou de solvabilité », confirme Gildas Robert. Qui ont été accentués par un effet d'entrainement : l'incertitude peut provoquer un bank run, ou ruée bancaire. « Dans une situation d'instabilité économique et financière, la panique peut amener tout le monde à vouloir retirer ses fonds », rappelle Gildas Robert.

« Dans une situation d'instabilité économique et financière, la panique peut amener tout le monde à vouloir retirer ses fonds »

SVB dont une grande partie des dépôts avaient été placés sur des obligations de long terme, a été obligé de les revendre en catastrophe, avant leur date d'échéance, face aux retraits de ses clients. Avec des pertes considérables puisque ces obligations valaient bien moins que celles proposées aujourd'hui sur les marchés.

Une situation à laquelle aucun acteur ne peut faire face, même les plus importants. Pour les assureurs, y compris en France, c'est un enjeu majeur : positionnés pour leur fonds euros, dont le capital est garanti, sur le long terme, avec des investissements en obligations dont l'horizon dépasse souvent 6 ans, ils ne disposent pas de liquidités suffisantes pour éponger une vague de retraits. Pour réagir, ils devraient alors vendre leur stock d'obligations à prix cassé. Eurovita, assureur d'envergure européenne, ne s'en est pas remis !

« On est dans une situation de retournement du cycle financier »

Malgré tout, Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférence à l'université Paris 1 Pantheon-Sorbonne, tient à replacer les choses dans un cadre « global ». « On est dans une situation de retournement du cycle financier ».

L'experte en économie bancaire et financière ne nie pas que certains ont pêché par excès de risque, mais elle identifie un problème macroéconomique : « Nous sortons d'une quinzaine d'années de politiques très accommodantes. Elles ont fait se déployer la phase ascendante du cycle financier. Le resserrement de la politique monétaire et la hausse des taux cassent cette vague et provoquent un repli. »

Faut-il craindre un effondrement des banques et assurances françaises ? Pas si vite ! « En France, les acteurs bancaires sont majoritairement de taille importante », rappelle Gildas Robert. Une majorité des encours de l'assurance vie concerne d'ailleurs ces banques systémiques, souligne Jézabel Couppey-Soubeyran : « Depuis le développement de la bancassurance, à partir des années 90, l'activité d'assurance a pas mal été intégrée aux grands groupes bancaires. Beaucoup d'épargnants ont des contrats via leur établissement bancaire. »

« Ces acteurs sont très solides »

« Et ces acteurs sont très solides », complète le directeur associé d'Optimind. Quid des assureurs de taille moins importante ? « Nous conseillons la majorité des acteurs du marché, explique-t-il. Je n'ai pas connaissance d'entreprises qui seraient fragiles. Mais il y a évidemment des groupes moins solides que d'autres. »

La question peut se poser pour des fonds en euros récents, dont la collecte rapide a dû être investie dans des obligations peu généreuses. « Les assureurs ont essayé d'orienter les investissements sur les unités de compte. Cette stratégie a bien fonctionné et a limité les investissements sur les fonds en euros. Même si, oui, ils détiennent des obligations avec de très mauvais taux », explique Gildas Robert.

La loi Sapin 2, une solution « extrême »

Pour prévenir toute catastrophe, banques et assureurs sont soumis à de fortes contraintes de solvabilité. Notamment des fonds propres à même de répondre aux rachats des épargnants. Depuis 2016, la loi Sapin 2 a ajouté une solution « extrême ».

« Si le Haut Conseil pour la stabilité financière considère que l'on est dans une situation exceptionnelle, qu'il faut protéger l'économie et le bilan des assureurs, il peut activer un mécanisme de blocage des retraits de 3 à 6 mois », détaille Gildas Robert. « Cela empêcherait tout le monde de récupérer son argent tout de suite. »

« Tant qu'il n'y a pas de rachats massifs, ils vont très bien ! »

De quoi éviter un bank run fatal. Au vu du contexte actuel, faut-il activer ce levier ? « Quand les politiques disent qu'on est très loin des conditions pour bloquer les retraits, c'est vraiment le cas », assure Gildas Robert. « Les assureurs ont des obligations en moins-value latente. Mais en termes d'équilibre technique et financier, de performance, tant qu'il n'y a pas de rachats massifs, ils vont très bien ! » C'est si et seulement si la panique atteint les épargnants que les choses n'iront plus.

Assurance vie : peut-on craindre un blocage des retraits ?

La semaine dernière, le directeur général de France Assureurs Franck Le Vallois a estimé qu'« il n'y a pas de risque en assurance vie pour les épargnants », ajoutant qu'il n'avait « pas connaissance d'assureurs en situation de difficulté » en France. Selon lui, les rachats, c'est-à-dire les retraits sont « stables ».

« Un blocage des fonds de l'assurance vie instaurera une perte de confiance des épargnants »

Pour autant, les acteurs financiers redoutent l'application de Sapin 2. « Les assureurs ont aussi peu envie que les assurés que cette disposition entre en vigueur un jour », certifie-t-on du côté d'Optimind. « Certains de nos clients parlent d'arme atomique, dont ils ne veulent pas entendre parler. »

En plus d'être le symbole d'un effondrement économique, ce blocage aurait de nombreux effets pervers. « Cela casserait clairement le modèle de l'assurance vie. La disponibilité de l'argent à tout moment est l'un des arguments de vente majeurs, pour être en concurrence avec les livrets. Un blocage des fonds instaurera une perte de confiance des épargnants », explicite Gildas Robert.

« Cela pourrait créer une situation un peu anxiogène »

Une image dégradée, mais également un risque de renforcer la panique. « Cela pourrait créer une situation un peu anxiogène, prévient Jézabel Couppey-Soubeyran. Générer un affolement qui n'aurait pas eu lieu sans ce blocage. » La chercheuse se montre donc catégorique. « Il serait malvenu de l'activer trop vite. Il faut manipuler ce dispositif avec précaution, et ne l'utiliser qu'en cas de catastrophe économique. »

Les deux spécialistes pointent un élément important : du fait des avantages fiscaux et patrimoniaux, l'assurance vie est un placement de long terme. « Imaginons un rachat massif : que feraient les épargnants de leur argent après avoir vidé leur assurance vie ?, s'interroge la chercheuse. Ils ne mettraient pas cela sous le matelas ! »

D'autant que l'âge moyen des assurés dépasse les 50 ans. « La détention d'un contrat d'assurance vie se pense dans un horizon long, confirme l'experte. Bien sûr, ne pas pouvoir récupérer ses fonds, c'est problématique. Mais pour la plupart des détenteurs d'assurance vie, cela n'aura pas d'impact », assure-t-elle. Un blocage de quelques mois ne changerait rien à la vie d'un contrat. « La barrière de la fiscalité et l'objectif de placement à long terme sont les meilleures protections du marché », tranche Gildas Robert.

Il ne faut donc pas exagérer la problématique actuelle. Car l'argent des épargnants a peu de chances d'être menacé. « La garantie spécifique aux assurances protège jusqu'à 70 000 euros par épargnant », reprend Jézabel Couppey-Soubeyran. Elle est même convaincue que l'État n'abandonnera pas une banque systémique. « Ces groupes, qui ne sont pas toujours vertueux, sont ceux qui sont le mieux protégés par la puissance publique. On sait déjà que les dispositifs de résolution ne permettront pas d'éviter le renflouement par les pouvoirs publics. Ces banques seront sauvées, et les épargnants seront sauvés avec ! »

« Il y aura toujours un acteur économique intéressé pour un rachat à prix modique d'un petit assureur »

Gildas Robert voit la même logique pour les assureurs plus modestes : l'État ne laissera pas une faillite arriver. « Si cela survient, l'ACPR [le gendarme des banques et des assurances NDLR], prendra le relais, nommera un administrateur provisoire, sécurisera ce qui est possible, et cherchera un repreneur. Il y aura toujours un acteur économique intéressé pour un rachat à prix modique d'un petit assureur, en contrepartie de garantir les encours. » C'est une question de culture économique, selon Gildas Robert : « Si aux USA, on n'est plus prêts à laisser s'effondrer un acteur, ce serait encore moins acceptable socialement en France. »

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