Quand vous ouvrez une assurance vie, vous disposez de 30 jours pour changer d’avis et récupérer votre mise de départ. Un délai de rétractation qui donne des idées à ceux dont le contrat a fait les frais du « krach » boursier lié au coronavirus…

Alléché par les gains records (jusqu’à +26%) réalisés en 2019, vous investissez, mi-février 2020, sur une assurance vie en gestion pilotée, avec près de la moitié de votre épargne placée en unités de compte (UC). Rançon de cette recherche de performance : votre capital investi ainsi en UC ne profite pas d’une garantie en capital. Catastrophe : fin février, la bourse est emportée par la panique du Covid-19 et vous perdez plus de 10% de votre épargne… Certes théorique, ce scénario noir est pourtant bien réaliste, car la bourse a atteint un plus haut le 19 février, avant de plonger jusqu’à la fin du mois. Dans ce contexte, des épargnants intervenant sur le forum de MoneyVox ont ressorti un joker un peu oublié : la possibilité de se rétracter et de retrouver l’intégralité de votre mise.

1 – 30 jours pour renoncer : ce que dit la loi

30 jours calendaires, week-ends compris donc, suite à la signature du contrat : pas un jour de plus. Pendant cette période, libre à vous de vous rétracter. « Ce droit de renonciation au contrat vaut pour tous les canaux de distribution », sur internet ou en agence, confirme Isabelle Monin Lafin, avocate associée au sein du cabinet Astrée Avocats. Et rien ne peut vous empêcher de faire jouer ce délai de rétractation : « Le droit de renonciation n’a pas besoin d’être motivé », ajoute l'avocate. « Juridiquement parlant, tant que le délai de 30 jours calendaires n’est pas passé, vous n’avez aucun motif à inscrire dans la lettre de renonciation. »

« Si le client souhaite renoncer dans le délai imparti, il n’y a aucun blocage, c’est automatique », appuie Eric Girault, fondateur du courtier Mes-placements.fr. Si vous avez payé des frais d’entrée ou sur versements, ils vous sont aussi restitués : vous retrouvez, à l’euro près, la somme investie voici moins d’un mois.

La lettre type de renonciation

Un modèle de texte à envoyer à votre assureur pour renoncer à votre contrat figure dans les conditions générales de votre assurance. Extrait : « J’ai souscrit l’assurance vie [nom du contrat] auprès de votre compagnie le [date de signature]. Conformément à l’article L132-5-1 du code des assurances, je déclare exercer ma faculté de renonciation au contrat. Par conséquent, je demande le remboursement de l’intégralité des sommes versées. »

2 – Investissement immédiat ou non : la parade des assureurs

Les assureurs sont évidemment conscients que leurs clients peuvent annuler l’ouverture pendant un mois. Or, si le client renonce à un contrat sur lequel les UC accusent une moins-value, c’est l’assureur qui assume les pertes. Leur parade : ne pas investir (ou permettre d'investir) sur les UC avant ce délai. Les mentions « après le terme de la période de renonciation », « dès le délai de renonciation écoulé » ou « après expiration du délai de renonciation » pullulent ainsi dans les notices d’information. « Le plus souvent, lors du premier mois, votre argent est uniquement investi sur le fonds en euros », affirme Eric Girault, président de Mes-placements. Pas d'UC, pas de pertes.

« Les épargnants peuvent aussi se plaindre s’ils passent à côté d’une forte hausse »

Parmi les assureurs présents sur le marché de l’assurance vie en ligne, Suravenir et Apicil Epargne affirment eux que les UC sont accessibles dès l’ouverture. Generali, aussi, investit sans attendre. « Il y a souvent un délai de latence d’une dizaine de jours avant que l’épargne soit investie, pas nécessairement de 30 jours », explique de façon plus générale l’économiste Philippe Crevel, en faisant référence à l’ensemble des assureurs du marché. « Sinon, il peut y avoir un phénomène inverse : les épargnants vont se plaindre d’une perte d’opportunité s’ils passent à côté d’une forte hausse pendant ce mois d’attente. »

Stellane Cohen, directrice générale du courtier Altaprofits, précise que, « pour de la gestion pilotée, collective », mode d’investissement actuellement promu par les banques et autres distributeurs, les assureurs n’attendent pas toujours « l’issue de ce délai pour investir » : « Dans ce cas l’assureur porte le risque de renonciation – de la part du client – en estimant que la renonciation est extrêmement marginale. C’est donc un risque mesuré et assumé. »

Le cas des « titres vifs » ou autres supports spécifiques

« Quand il s’agit de supports en unités de compte spécifiques, comme des titres vifs ou de la gestion sous mandat dédiée au client, l’assureur attend systématiquement l’issue du délai de 30 jours pour investir », insiste Stellane Cohen, d’Altaprofits, car des supports tels que les titres vifs (des actions en direct) sont plus contraignants à gérer. « C’est transparent : affiché dans les conditions générales. »

3 – « Krach » du coronavirus : la renonciation, un épiphénomène ?

« Evidemment, ceux qui ont ouvert une assurance vie en février peuvent être tentés de faire un bon coup en renonçant à leur contrat », reconnaît d’emblée Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne, avant de nuancer aussitôt : « Le placement en unités de compte s’envisage sur le long terme. Il y a un paradoxe entre le fait de se plaindre d’une chute des cours, pour cause de spéculation boursière, et en profiter en faisant jouer une clause de renonciation. »

« Ce délai n’a pas vocation à servir de parachute pour éviter des pertes rapides »

Les courtiers et assureurs ont-ils constaté un afflux de demandes de rétractation fin février et début mars, suite au « choc boursier » du Coronavirus ? « Non », répondent en chœur les assureurs Apicil et Suravenir. « Non », abonde Eric Girault, de Mes-placements, qui ajoute n’avoir enregistré que « un ou deux cas » de renonciation faisant suite au krach boursier en 2008. « Il y a toujours des souscripteurs qui utilisent ce droit à la renonciation, mais de façon extrêmement marginale », ajoute Stellane Cohen, d’Altaprofits. « Nous n’avons pas eu de cas de renonciation à la souscription d’un contrat la semaine passée suite à la chute des cours. »

Sur le fond, l’avocate Isabelle Monin Lafin souligne que, théoriquement, « ce délai n’a pas vocation à servir de parachute pour éviter des pertes rapides, peu après l’ouverture ». L’objectif de ce « délai de réflexion post-contractuel » est plutôt de permettre « de revenir en arrière » dans le cas d’épargnants « mal informés, qui ont mal compris le fonctionnement du produit, ou qui regrettent leur choix, par exemple s’ils étaient peu au fait des risques ». Dans les faits, aucun motif de renonciation n'étant réclamé, rien n’empêche des investisseurs ayant misé juste avant la baisse des marchés de faire marche arrière.

Une renonciation possible passée le délai de 30 jours ?

Vous aimeriez exercer ce droit de renonciation à votre assurance vie au-delà ce délai réglementaire de 30 jours calendaires ? Mission périlleuse ! La jurisprudence sur la renonciation faisant suite à lourdes pertes sur des contrats d’assurance vie est abondante. Cette technique porte même un nom : le « droit du renard », qui vise à dénoncer un défaut d’information de la part de l’assureur avant la souscription pour y renoncer longtemps après (avec un contrat présentant des pertes). Mais la Cour de cassation a resserré sa doctrine afin de mettre fin à ce « droit du renard ».

Plus précisément, le code des assurances prévoit une « prorogation du délai de renonciation » au-delà des 30 jours « dans la limite de 8 ans » de détention, à une seule condition : le « défaut de remise des documents et informations » précontractuels. Et la jurisprudence tient compte désormais de la « bonne foi » du plaignant, effectivement induit en erreur par ce manque d’information : un épargnant averti ne peut désormais plus faire jouer cette renonciation de façon opportune, plusieurs années après avoir investi. « Si l’information précontractuelle est bien respectée, il n’y a pas de possibilité de renoncer au contrat passé le délai initial de 30 jours », conclut l’avocate Isabelle Monin Lafin, qui rappelle l'existence d'une abondante documentation à l'ouverture du contrat.

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