Les obligations ont retrouvé des couleurs à la faveur de la hausse des taux d'intérêt. L'offre est vaste et les rendements alléchants, notamment dans le cadre de son assurance vie. Faut-il se laisser tenter ? Sans doute, mais avec prudence...

Actions ou obligations ? La question est vieille comme les marchés financiers. Si les opposer est un raccourci, il n'en reste pas moins que ces deux actifs n'ont pas la même philosophie. Reprenons les bases. D'un côté, les actions sont des titres de propriété de parts d'entreprises. Elles permettent de placer sur des orientations et de bénéficier éventuellement de dividendes. Cotée ou non, leur valorisation dépend de la perception de la vitalité de la société.

À l'inverse, les obligations sont des capitaux prêtés aux États ou entreprises. Un prêt, donc des intérêts : les émetteurs s'engagent sur un temps donné, à livrer des coupons, connus à l'avance, avant de restituer le capital. Comme tout crédit, le rendement est lié aux taux directeurs : plus ils sont élevés, plus les coupons le seront. Ces titres ont une valeur de revente sur le marché secondaire. Celle-ci n'est pas constante, et varie selon leur rémunération face au marché.

Les taux des obligations, une aubaine

On a tendance à parler d'un « effet balancier » : si la croissance est annoncée, c'est le temps des actions, car la valorisation des entreprises va s'accroître. Par contre, si la récession guette, les obligations attirent, car leurs coupons permettent de maintenir un bon rendement. « Cette opposition a été valable sur certaines périodes, mais il ne faut pas être catégorique », analyse Philippe Dupuy (1), professeur à Grenoble EM et spécialiste des marchés financiers. Car les politiques monétaires ont un impact sur les différents actifs.

Justement, depuis près de 15 ans, ces dernières sont très accommodantes. Les banques centrales ont maintenu des taux très bas pour préserver la croissance. Or ces taux s'ajustent avec l'inflation, pour tenter de la juguler. L'an passé, celle-ci a décollé subitement, entraînant une hausse des taux d'intérêt. « Cette remontée des taux directeurs a été surprenante, confirme Sandy Campart, enseignant chercheur à l'IUP Banque Finance Assurance de l'Université de Caen Normandie. Personne n'imaginait un mouvement de cette force et cette dynamique. » Au Royaume-Uni, les taux à 10 ans ont été multipliés par 3, de 2% à 6%. Aux États-Unis, ils ont plus que doublé, de 1,5% à près de 4%.

« C'est normal que les épargnants s'y intéressent. Il y a de beaux rendements. »

Les obligations ont suivi, offrant soudain 3%, voire 5%. Une aubaine. « C'est normal que les épargnants s'y intéressent, juge Sandy Campart. Il y a de beaux rendements sur les produits de taux, y compris le monétaire. Cela faisait bien longtemps que l'on n'avait pas vu cela. »

Le chercheur nuance toutefois : inflation déduite, le rendement réel reste négatif. Ce qui est le cas pour la quasi-totalité des produits du marché. Ainsi, les fonds euros des assurances vie, boussoles de l'épargne, ne livrent que 2% en moyenne, alors que les actions connaissent une forte volatilité. Les assureurs ne s'y trompent pas : les discours sur les actions ou ETF ont laissé place au « mix » entre fonds euros et obligataire pour booster l'assurance vie.

Le palmarès 2023 des taux 2022 des fonds en euros de l'assurance vie

Les différentes formules pour acheter des obligations

Comment investir dans l'obligataire ? Certains courtiers proposent l'achat en direct, avec des planchers variant entre 1 000 et 100 000 euros. Mais c'est complexe : frais importants, fiscalité, difficulté de revente... Beaucoup de particuliers privilégient donc les OPCVM, « paniers » d'obligations faciles à gérer, dont la valorisation évolue selon les lignes qui les composent.

D'autres produits sont moins connus : les fonds datés, qui ressemblent aux OPCVM avec une date d'échéance connue. Il y a aussi les comptes à termes obligataires, fonds datés dont les capitaux sont bloqués.

Actions, obligations, OPCVM, ETF... Les différentes valeurs mobilières

On voit même apparaître des produits structurés au capital et au rendement garanti pendant une période donnée. Pendant la première semaine d'avril, Spirica et Linxea ont d'ailleurs proposé « Impulsion » sur le contrat Spirit 2. La promesse : 4% bruts jusqu'en 2027, avec capital garanti à 100%. « Il n'y a pas de suspens, on sait ce qu'on va gagner, nous confiait récemment Yves Conan, directeur général de Linxea. Cela permet d'améliorer le rendement du portefeuille. »

Beaucoup de ces véhicules peuvent être intégrés à l'assurance vie. AG2R-La Mondiale a même testé sur certains contrats une obligation en « vif » Air France. « On y réfléchit, car ces produits ont une accroche facile », glisse un concurrent.

Ces taux sont supérieurs à ceux des actifs généraux des assureurs. « Ils ont une certaine inertie, car les rendements sont lissés sur plusieurs années », signale Sandy Campart. La donne est en train de changer, mais cela prendra du temps !

« Le risque, c'est que le mouvement de hausse des taux d'intérêt ne soit pas complètement achevé »

Faut-il miser sur les obligations ?

Faut-il déplacer ses capitaux vers ces produits alléchants ? S'il se refuse à donner tout conseil d'investissement, Philippe Dupuy comprend que la question se pose. Mais attention : ce n'est pas la nouvelle martingale ! « Le risque, c'est que le mouvement de hausse des taux d'intérêt ne soit pas complètement achevé, au regard de la dynamique de l'inflation », précise Sandy Campart. Car les prix des produits de base continuent d'enfler. « L'inflation n'est donc pas complètement appréhendée et maîtrisée », prévient l'enseignant-chercheur caennais.

Des analystes imaginent qu'elle perdurera jusqu'à la fin de l'année 2024 ! Dans ce cas, les taux pourraient suivre... et les nouvelles obligations rémunérer encore plus ! Se bloquer à 3% ou 4%, si demain le marché offre 6%, c'est un vrai manque à gagner. En outre, comme la valeur de revente varie selon la performance du coupon, ces obligations seraient en moins-value latente. Philippe Dupuy se montre pédagogique : « Si un compte rémunéré proposait un taux bloqué à 3%, qu'est-ce que ça vaudrait quand en face, un autre rapportait 6% ? Plus grand-chose ! »

Cette valeur latente n'a aucun impact si l'on conserve jusqu'à échéance son fonds daté ou son produit structuré : on récupèrera son capital en plus des coupons. « Mais tout le monde ne va pas au bout, rappelle Sandy Campart. Il faut vraiment avoir un horizon de placement figé. »

Les OPCVM, de leur côté, répercutent dans leur valeur l'évolution de la situation. Comme ils n'ont pas d'échéance, le capital n'a rien de garanti. Il faut donc gérer son émotion quand on a des lignes rouges sur son contrat. « Même si la perte ne se matérialise pas, les épargnants ont du mal à appréhender les choses. » Sandy Campart estime donc qu'il peut être intéressant de se positionner, mais prudemment. « C'est peut-être un bon moment pour rentrer, mais sans doute pas sur les échéances les plus lointaines. » Ou alors de façon échelonnée : investir progressivement au cours des prochains mois, pour lisser le risque. Car il ne le nie pas : « 4% sur quelques années, ce n'est pas mal dans le contexte actuel. »

Les risques des obligations

Cependant, Philippe Dupuy alerte sur la notion de « rendement ajusté du risque » : « Dans ce cas, le fonds euros diversifié pourrait être meilleur qu'une obligation. » Car l'obligataire n'est pas infaillible. « Les risques sont de deux natures, détaille Sandy Campart. Le premier, c'est que l'émetteur fasse défaut. On a connu cela avec la Grèce. »

L'autre risque est donc, on l'a vu, lié à la fluctuation des taux d'intérêt. « Ça, on ne le voit pas sur les fonds euros », note Sandy Campart. Si un ralentissement économique s'impose, cela menacera les entreprises et leurs obligations corporate.

Nos experts émettent donc des doutes sur les titres en « solo », comme Air France. « C'est faire un pari sur Air France, l'inflation, le pétrole... C'est extrêmement risqué ! », lance Philippe Dupuy. « Cela mettrait les détenteurs dans une situation de risque qu'ils ne sont pas obligés de prendre », rebondit son confrère. En mélangeant 50 ou 60 obligations, les fonds datés diluent d'éventuels défauts d'entreprise.

Que faire ? Sandy Campart apporte une réponse... de Normand ! « Cela dépend des anticipations de chacun. Si l'on pense que les taux d'intérêt vont baisser parce qu'on entre dans une période de récession, autant miser sur les échéances les plus longues. » Pour avoir le maximum le plus longtemps possible.

« Il faut d'abord penser diversification et protection du patrimoine »

À l'inverse, si on anticipe la « stagflation » (inflation et stagnation économique), les produits à échéance courte sont préférables... Une incertitude qui pousse à se montrer patient et mesuré. « Pour un foyer, il faut d'abord penser diversification et protection du patrimoine », tranche Philippe Dupuy. Il n'a rien contre l'obligataire dans un portefeuille diversifié, mais « cela ne peut pas être un outil qui porte une part conséquente du patrimoine ».

Une trajectoire se dessine néanmoins : on murmure qu'il sera complexe pour les banques centrales de relever encore les taux directeurs. « On ne voit pas les taux américains passer à 10% », avoue Sandy Campart. Une obligation actuelle a donc des chances d'être bien positionnée d'ici trois ou quatre ans. Car après avoir jugulé l'inflation, l'objectif des institutions sera toujours de relancer la croissance en abaissant, dès que possible, les taux. Mais on n'y est pas encore...

« Un ralentissement économique, un règlement de la crise ukrainienne, ce sera plutôt défavorable à l'inflation, explicite Philippe Dupuy. Dans ce cas, on pourra estimer que ce sera le moment de l'obligataire. » Cela semble être le sens de l'histoire. Mais comme le veut un autre adage en économie, il faut rester humble face aux marchés.

(1) Philippe Dupuy est par ailleurs Directeur du conseil scientifique du Cercle des Epargnants