Avant de vous accorder un prêt ou une facilité de paiement, tout établissement de crédit vérifie votre capacité à en assumer le remboursement. Pour cela, il vous attribue une note, fondée sur l'analyse de données de plus en plus fouillées et personnelles. Jusqu'où êtes-vous prêt à vous dévoiler pour pouvoir emprunter ?

Scoring. Sous cet anglicisme — qu'on peut traduire par « notation » – se cache la pratique qui consiste à apprécier votre capacité à rembourser une dette. Elle est au cœur des processus mis en place par les organismes spécialisés pour décider s'ils vous octroient, ou non, un crédit immobilier, à la consommation ou une facilité de paiement. Objectif : limiter le risque d'impayés, préjudiciable pour l'emprunteur comme pour le prêteur.

Pour vous « scorer », ce dernier a besoin d'en savoir le plus possible sur vous. Il recueille donc des données sensibles car très personnelles, notamment :

  • des données dites « socio-démographiques » : situation familiale, statut professionnel, situation vis-à-vis du logement (propriétaire ou locataire), etc.
  • des informations sur votre situation financière ensuite : revenus, charges, crédits en cours, etc.

Longtemps, il n'a eu qu'une solution pour obtenir ces informations : vous les demander directement, avec justificatifs à l'appui pour s'assurer de votre sincérité. C'est pourquoi, au moment d'une demande de crédit, vous devez fournir des pièces d'identité, des justificatifs de domicile et souvent des relevés de compte. C'est toutefois en train de changer.

L'enjeu du temps réel

Analyser ces justificatifs, en effet, prend du temps. Ce n'est pas forcément un problème à l'occasion de l'octroi d'un crédit immobilier. Ça le devient par contre pour un crédit conso affecté à un achat, et plus encore pour une facilité de paiement, du type paiement en 3 ou 4 fois. De la réponse rapide de l'établissement dépend en effet le succès, ou non, de la vente. D'où la demande des commerçants, notamment ceux qui vendent sur internet, de solutions efficaces, certes, mais également capables de fournir une réponse rapide, voire immédiate.

Pour répondre à cette demande, les spécialistes du crédit et des facilités de paiement en ligne travaillent depuis des années à développer des programmes informatiques - les fameux algorithmes - capables d'automatiser le scoring en temps réel. Ils multiplient pour cela les données croisées, en ajoutant des informations sur votre équipement informatique, le contenu de votre panier d'achat, votre carte bancaire, etc. Finalement, ce sont des centaines de données personnelles, pour certaines très sensibles, que digèrent ces algorithmes pour s'assurer que vous êtes un bon payeur. Le prix à payer, en somme, pour obtenir le « coup de pouce » souhaité en limitant les risques de dérapage.

La révolution de la « banque ouverte »

Une nouvelle avancée repousse encore les limites de l'analyse de solvabilité : la « banque ouverte » ou open banking. Soit la possibilité pour certaines sociétés autorisées d'accéder à vos données transactionnelles, c'est-à-dire à l'historique de vos comptes bancaires. Pour cela, plus besoin de vos relevés : elles vont se servir directement à la source, en se connectant à votre espace bancaire en ligne par le biais de canaux informatique sécurisés, des API (pour Application Programming Interface).

Les usages de la « banque ouverte » sont variés. Le plus connu est celui qu'en font des acteurs comme Bankin' ou Linxo en vous proposant d'agréger vos différents comptes dans une interface unique, à des fins de gestion budgétaire. Le plus prometteur se situe toutefois dans le domaine du scoring de crédit. Pour les prêteurs, la promesse est alléchante : la banque ouverte permet d'accomplir de manière automatique et instantanée le travail d'analyse des relevés de compte qui demandaient autrefois des heures, parfois des jours. Elle améliore ainsi l'analyse du risque sans allonger et alourdir le processus d'octroi, donc sans dégrader l'expérience de l'acheteur. Les commerçants, évidemment, se frottent les mains. Et les consommateurs ?

Quelle part de ma vie privée suis-je prêt à dévoiler ?

Face à cette technologie, une question se pose en effet : quelle part de ma vie privée suis-je prêt à dévoiler pour acheter le dernier smartphone à la mode ou échelonner le paiement d'un lave-linge ? Les données transactionnelles, de fait, disent tout, ou presque, de vous : votre situation financière bien sûr, mais aussi votre train de vie, vos goûts, vos déplacements... Par le biais des API, les agrégateurs de données peuvent récupérer parfois jusqu'à un an d'historique bancaire. Pour Myriam Roussille, agrégée de droit privé et Professeur à l'Université du Mans, il y a là un risque de dérive : « L'un des buts de la banque ouverte, telle que promue par la DSP2 (1), était de sécuriser l'usage et la circulation de ces données sensibles, dans l'intérêt des usagers. Quand on en arrive à utiliser ces technologies pour scorer des crédits, je me demande si on se situe encore dans ce cadre. »

CNIL : « Il y a beaucoup de fantasmes autour des données bancaires »

Prévenir le surendettement

L'industrie, elle, n'est évidemment pas de cet avis. Créée en 2018, la fintech française Algoan est spécialisée dans les solutions d'aide à la décision de crédit fondée sur les données open banking. Elle compte parmi ses clients des établissements de crédits comme Cetelem, Cofidis ou Oney, des courtiers comme Meilleurtaux ou Premista et des spécialistes du paiement fractionné comme Pledg ou Alma.

Pour Paul Peyré, co-fondateur de la société, la banque ouverte appliquée au scoring crédit a au contraire une dimension éthique, dès lors qu'elle permet de prévenir les risques de surendettement. Ceux notamment liés à un usage immodéré des facilités de paiement. « Il n'existe pas encore de statistiques publiques sur le sujet en France », explique-t-il, « mais au Royaume-Uni, en Australie ou aux Etats-Unis, entre 20 et 35% des utilisateurs du paiement différé et fractionné font face à des impayés. Les processus d'octroi sont aujourd'hui trop légers, c'est très risqué. »

Spécialiste de l'innovation bancaire et auteur du blog C'est pas mon idée, Patrice Bernard partage cette vision : « Les alertes s'accumulent autour du BNPL [acronyme de « Buy Now Pay Later », achetez tout de suite et payer plus tard, NDLR], cela ne peut pas continuer comme ça. Il est indispensable que les acteurs du paiement fractionné puissent vérifier la solvabilité des consommateurs ».

Une nécessaire transparence

Patrice Bernard voit toutefois deux conditions pour réussir ce mariage entre banque ouverte et crédit. La première : la transparence sur le traitement des données. « Les protocoles que nous utilisons sont clairs et conformes à la réglementation », rassure Paul Peyré, le porte-parole d'Algoan. En l'occurrence au règlement général sur la protection des données (RGPD), cadre européen qui s'impose à tous les acteurs manipulant des données personnelles.

Plus concrètement, le scoring open banking fonctionne sur un partage des tâches. Le prêteur, un établissement de crédit généralement, est responsable du traitement. C'est lui qui recueille le consentement exprès de l'usager pour l'utilisation de ses données, un impératif imposé par le RGPD. Lui également qui conserve ces données et décide pour combien de temps : 3 mois généralement, selon Algoan.

La récupération des données à proprement parler est confiée à un agrégateur, acteur spécialisé et agréé par le gendarme du secteur financier, l'ACPR (2). Lui a notamment la responsabilité des identifiants bancaires confiés par l'usager. Plusieurs acteurs se partagent ce marché : Budget Insight (filiale du Crédit Mutuel Arkéa), Bridge (Bankin'), Oxlin (Linxo), Tink, etc.

Enfin, l'analyse des données à des fins de scoring peut au choix se faire en interne ou être sous-traitée à un spécialiste du type d'Algoan. Entre ces différentes parties prenantes, promet Paul Peyré, les échanges sont sécurisés et les données cryptées.

Conserver une liberté de choix

L'autre condition de la réussite du mariage banque ouverte-crédit, c'est le maintien d'une liberté de choix pour l'emprunteur. « C'est une question d'équité : le candidat à l'emprunt qui ne souhaite pas partager ses identifiants bancaires doit pouvoir continuer à accéder au crédit », estime Patrice Bernard.

C'est le cas chez Younited Credit. Chez ce précurseur de l'usage de la banque ouverte (depuis 2018), cette dernière ne vient qu'en complément de méthodes de scoring plus classiques, pour simplifier le processus d'octroi en évitant de demander à l'emprunteur de fournir lui-même ses relevés de compte. Ce dernier, toutefois, conserve le choix de passer par une procédure classique mais plus lente.

Combien, finalement, sont-ils à accepter de confier leurs identifiants bancaires à un tiers ? Selon Algoan, 60% environ actuellement. Une courte majorité donc, mais qui « progresse de manière continue », assure Paul Peyré.

Crédit conso en ligne : les offres du moment

(1) La directive révisée sur les services de paiement, ou DSP2. Plus d'infos sur le sujet : DSP2 : Bruxelles veut un big bang des services de paiement. (2) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution