En ce début d’année 2020, les taux des crédits immobiliers restent à des niveaux historiquement bas. Cette situation a-t-elle un lien direct, comme on l’entend souvent, avec la faiblesse des taux d'emprunt de l'Etat français ? Quels éléments les banques prennent-elles en compte pour fixer ces taux ? Nous avons posé la question à Pascal Beuvelet.

Pascal Beuvelet

Pascal Beuvelet est président du réseau de courtage In&Fi Crédits

Les taux fixes des crédits immobiliers n’ont jamais été aussi bas qu’actuellement. Les observateurs établissent souvent un lien entre cette situation et la faiblesse des taux des OAT 10 ans (1). Cette corrélation technique est-elle réelle ?

Pascal Beuvelet : « Non, il s’agit d’une idiotie. En France, on peut effectivement constater que les courbes des OAT 10 ans et des taux fixes immobiliers se suivent. C’est normal, puisque dans les deux cas, ce sont les banques qui financent ces emprunts grâce aux mêmes ressources : leurs fonds propres, les dépôts de leurs clients et leurs propres emprunts auprès de la Banque centrale européenne. Mais cela ne signifie pas qu’il y a une relation de cause à effet entre les deux. Il n’est d’ailleurs pas exclu que les deux courbes divergent un jour, comme cela a pu être le cas, il y a quelques années, en Grèce où, au plus fort de la crise, les particuliers ont emprunté à des taux inférieurs à ceux appliqués à l’Etat. »

Comment sont fixés les taux de ces OAT ?

P.B. : « L’Etat emprunte d’une façon particulière, puisqu’il a une obligation de mise en concurrence. Il en a confié la responsabilité à l’Agence France Trésor (AFT) qui émet chaque mois ces OAT, pour un montant d’environ 200 milliards d’euros en 2019. »

Comment se déroule concrètement cette mise en concurrence ?

« Pas d'impact direct de l'OAT 10 ans sur les taux »

P.B. : « Chaque mois, l’Etat annonce la somme qu’il souhaite emprunter et propose un taux d’intérêt, par exemple 0,03% à 10 ans, qu’il met aux enchères. A partir de là, les prêteurs, parmi lesquels des banques françaises, vont faire des propositions… Et en fonction de ces réponses, l’Etat va distribuer ses OAT. Si leurs taux montent, c’est donc que les prêteurs ont moins confiance en la capacité de remboursement de l’Etat ou qu’ils ont trouvé un placement plus intéressant ailleurs. Mais cette évolution n’aura pas d’impact direct sur les taux des crédits immobiliers. »

Quelles sont alors les facteurs qui influent directement sur les taux des crédits immobiliers proposés par les banques à leurs clients ?

P.B. : « Il y a d’abord le coût de la ressource, qui évolue en fonction de plusieurs paramètres : le contexte général de taux - plus les taux des placements sont bas, moins la ressource est chère pour les banques ; le volume de dépôts détenus par la banque - la quantité de cash disponible en quelque sorte ; le coût de l’organisation bancaire enfin : moins la banque a d’agences à entretenir et de conseillers bancaires sur le terrain, plus le coût de la ressource diminue. S’y ajoute ensuite la marge de la banque, qu’elle peut choisir d'augmenter ou de réduire en fonction de l’état de la concurrence et de la réalisation, ou non, de ses objectifs commerciaux. Ces deux derniers éléments varient énormément selon les régions, ce qui explique que les taux ne sont pas uniformes sur tout le territoire. Par exemple, une enseigne de province qui n’aura pas atteint, en fin d’année, son budget d’investissement en crédits immobiliers sera tentée de réduire sa marge. A l’inverse, dans une grande ville où la demande reste forte, une banque aura moins de raisons de le faire. »

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Qu’en est-il du coût du risque ?

« Chaque banque a ses secrets de fabrique »

P.B. : « C’est un domaine beaucoup plus secret. Le risque est calculé par des spécialistes, qui croisent de multiples statistiques pour déterminer une probabilité d’impayés en fonction de l’âge, du sexe, de la profession de l’emprunteur, etc. Chaque banque a ses secrets de fabrique en la matière. On peut toutefois percevoir certaines différences entre les enseignes en observant le marché : on constate, par exemple, que la Banque Populaire prête plus facilement que d’autres aux entrepreneurs, parce qu’elle a un savoir-faire sur ce profil qui lui permet de bien maîtriser les risques. »

Voir aussi le comparatif des taux des crédits immobiliers

(1) « Obligations assimilables au Trésor », titres de dette souveraine émis par l’Etat français pour se financer.