Pour un profil identique, deux emprunteurs habitant deux régions différentes obtiennent rarement les mêmes conditions de financement. Et l’écart de taux peut être conséquent, de l’ordre de 0,50 point. D’où vient cette différence ? Est-il possible d’en tirer parti ?

C’est une observation récurrente des courtiers immobiliers. Certains, d’ailleurs, en font un axe majeur de leur communication. Il s’agit des disparités régionales des taux d’emprunt. Pour certains profils d’acquéreur, ces différences s’avèrent en effet d’ampleur. Voyez plutôt : pour un emprunteur haut de gamme (niveau élevé de revenus et d’épargne), l’écart grimpe à 0,40 point pour un crédit sur 25 ans, selon le dernier baromètre d’Empruntis, basé sur les relevés des taux pratiqués à la mi-septembre.

Concrètement, alors qu’en ce moment les banques présentes en Rhône-Alpes proposent à ce client premium du 0,73% sur 25 ans (hors assurance emprunteur), les établissements des régions méditerranéennes lui accordent du 1,15% en moyenne. S’agissant des emprunteurs plus modestes, les banques leur réservent aussi un traitement différencié en fonction des zones géographiques. Ainsi, tandis que les taux maximums observés en septembre par Empruntis atteignaient 1,94% sur 20 ans dans le Sud-Ouest, ils grimpaient à 2,25% au Nord-Est (Alsace, Champagne-Ardenne, Lorraine essentiellement).

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Des banques régionales et des établissements nationaux

Si ces disparités régionales sautent aux yeux, leur origine est moins évidente. Pourquoi, en effet, les banques traiteraient différemment deux clients semblables - même capacité d’emprunt, même pouvoir de négociation… - juste parce que l’un a élu domicile à Lille et l’autre s’est installé en région parisienne ? La réponse n’est pas à chercher du côté de l’emprunteur mais du côté de la banque, plus précisément de l’organisation du système bancaire. Dans l’Hexagone, en effet, coexistent deux types d’établissements : les banques d’ampleur nationale couvrant l’ensemble du territoire (BNP Paribas, Société Générale ou encore HSBC) et les établissements mutualistes structurés en banques régionales.

« Les caisses régionales des banques mutualistes, comme le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel, la Caisse d'Epargne et la Banque Populaire, conservent une autonomie dans la fixation de leurs barèmes, ce qui explique que deux caisses d'un même groupe peuvent proposer des conditions d'emprunt très différentes, jusqu’à 0,50 point d'écart », expose ainsi Ulrich Maurel, porte-parole d’Empruntis et président du directoire de la Compagnie Européenne de Crédit. A l’inverse, pour les banques nationales, la trajectoire des taux est fixée nationalement. « Dans les faits, certaines directions régionales d'établissements nationaux peuvent se montrer plus ou moins agressives en fonction de la pression concurrentielle locale, nuance toutefois Ulrich Maurel. Mais, l'écart reste plus faible qu'entre les caisses régionales des mutualistes ».

Des disparités liées aux objectifs commerciaux locaux

Effectivement, la stratégie adoptée par chaque enseigne ne peut pas s’affranchir des pratiques des banques concurrentes. « Un établissement ayant des objectifs de production de crédit élevés sera plus compétitif qu’une banque ayant déjà atteint son quota », fait logiquement remarquer Maël Bernier, directrice de la communication du courtier Meilleurtaux. « Si un établissement est en retard sur sa conquête de clients, il va utiliser le crédit immobilier, l'une des seules armes à sa disposition pour faire entrer de nouveaux clients ou défendre son portefeuille », abonde Ulrich Maurel. Et quoi de plus efficace pour attirer une clientèle sur le long terme que de lui proposer un taux d’intérêt imbattable ?

Ces objectifs commerciaux, fixés annuellement et affinés ensuite périodiquement, sont également étroitement liés au contexte économique du territoire, à son dynamisme en termes d’emplois et de démographie. « Plus la zone est économiquement dynamique et attire un nombre croissant d'habitants, plus les banques vont se battre pour maintenir leur part de marché et attirer à elles les meilleurs profils », détaille Ulrich Maurel. Selon lui, cette compétition acharnée s'observe nettement dans les villes comme Bordeaux, Nantes, Lyon ou Toulouse. De quoi expliquer que, tendanciellement, les taux immobiliers sont plus faibles sur la côte Atlantique et dans le Sud-Ouest, là où se concentrent les villes qui attirent une population croissante et à revenus élevés.

Une concurrence biaisée en fonction des territoires

Suivant cette logique, les moins bien lotis sont les territoires qui perdent des habitants et qui sont en même temps confrontés à la désertification bancaire. Depuis 2010, le réseau bancaire français a été amputé de plus de 2 000 agences (-6%) d’abord en zone rurale. Ces fermetures concernent principalement les banques nationales. C’est pourquoi, il n’est pas rare d’observer que dans les campagnes subsistent uniquement les réseaux mutualistes. De quoi donc limiter les possibilités de mise en concurrence des banques.

Une mauvaise nouvelle pour les emprunteurs qui peuvent difficilement solliciter une banque d’une région différente pour obtenir un crédit immobilier avec un taux plus alléchant. « C’est en général le lieu d’achat qui détermine les banques auxquelles vous aurez accès », résume ainsi Maël Bernier de Meilleurtaux. Effectivement, en pratique, cela serait compliqué et fastidieux de se déplacer parfois loin pour rencontrer un conseiller d’une enseigne concurrente. Mais surtout, au niveau des réseaux mutualistes, chaque territoire est la chasse gardée de sa caisse régionale. Autrement dit, si vous avez porté votre dévolu sur un appartement à Besançon et que vous contactez la Banque Populaire Grand Ouest, celle-ci vous invitera à pousser la porte d’une agence de l’enseigne locale, à savoir, dans notre exemple, la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté.

Une règle que Bertrand Schaefer, secrétaire fédéral de la Fédération Nationale du Crédit Agricole, appelle le « principe de territorialité ». « C'est-à-dire que les caisses régionales du Crédit Agricole financent les biens localisés sur leur zone d'activité », détaille-t-il.

Ponctuellement, néanmoins, ce pacte de non-agression entre entités d’un même groupe peut être enfreint, par l'intervention d'un courtier essentiellement. « Rien ne l'empêche de solliciter les banques qu'il souhaite compte tenu du profil de son client », explique Bertrand Schaefer. « Il arrive que nous observions dans nos réseaux de courtage qu'un emprunteur d'une région limitrophe mette en concurrence deux caisses mutualistes d'un même groupe bancaire », souligne quant à lui le porte-parole d’Empruntis.

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