Dans le cadre de l’examen du budget rectificatif 2013, un amendement élargissant l’accès au Livret d’épargne populaire (LEP) à 7 millions de nouveaux ménages a été voté en séance mardi dernier. Contre l’avis du gouvernement, qui craint les « effets potentiellement explosifs » de cette mesure pour les finances publiques.

Le Livret d’épargne populaire, aujourd’hui réservé aux contribuables les plus modestes, va-t-il devenir un produit s’adressant à un public beaucoup plus large ? Jeudi 28 novembre, nous détaillions le contenu et la portée d’un amendement co-rédigé par deux parlementaires socialistes, la députée Christine Pires Beaune et le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale Christian Eckert, qui poursuivait cet objectif.

Lire par ailleurs : Livret d’épargne populaire : un amendement élargit considérablement l’accès au LEP

Adopté en commission, cet amendement au projet de loi de finances rectificative pour 2013 a été discuté en séance mardi 3 décembre. Et il a donné lieu à une petite passe d’armes entre le gouvernement, représenté par le ministre de l’Economie et des Finances Pierre Moscovici, et la majorité socialiste à l’Assemblée.

Contre-amendement

Le gouvernement, en effet, avait préparé un contre-amendement, destiné à amoindrir la portée du texte voté en commission. Pierre Moscovici a accepté, et soutenu, le principe d’une revalorisation de 4% du plafond d’impôts actuel, « signal favorable en faveur de l’épargne populaire ». Il a également repris l’idée de retenir, pour statuer sur l’éligibilité d’un contribuable, sa situation fiscale sur deux ans, afin « d’éviter l’effet yo-yo, consistant pour un titulaire de livret d’épargne populaire à être éligible une année et à ne plus l’être l’année suivante, ou l’inverse », comme l’a expliqué Christine Pires Beaune dans sa défense de l’amendement originel. Par contre, l’idée d’une substitution d’un plafond calculé en montant d’impôt sur le revenu par un plafond calculé en montant de revenu fiscal de référence (RFR) a été combattue.

Pierre Moscovici a argumenté, chiffres à l’appui, contre cette perspective. « [Le nouveau plafond] aurait pour effet d’élargir le bénéfice du LEP à 7 millions de ménages supplémentaires, dont bon nombre font partie des 40% de ménages les plus aisés », a expliqué le patron de Bercy. « Je rappelle que, pour une personne seule, le plafond proposé serait de 24.000 euros, alors que le revenu médian est de 18.000 euros. Le plafond qu’il est proposé de retenir n’aboutirait donc pas à concentrer l’effort sur les ménages les plus modestes. »

Mais l’essentiel est ailleurs. Pierre Moscovici a en effet mis en évidence « un risque indéniable pour les finances publiques ». « (…) En élargissant le champ des personnes susceptibles de bénéficier du LEP, on pourrait aboutir, dans l’hypothèse la plus extrême (…) à un coût de 280 millions d’euros à la charge des finances publiques », a poursuivi le ministre de l’Economie, demandant dans la foulée un retrait de l’amendement.

Le gouvernement mis en échec

Mais tout ne s’est pas passé exactement comme prévu. Les députés de la majorité, en effet, ont choisi d’entendre les arguments de Christine Pires Beaune et Christian Eckert, plutôt que ceux de Pierre Moscovici, en adoptant leur texte. Premier argument : la nécessité de faire disparaître l’« exception unique » du LEP, seul produit dont l’accès est « conditionné par un plafond en impôt », a justifié le rapporteur général PS, qui a reçu le renfort du président de la commission des Finances, l’UMP Gilles Carrez : « [L’amendement de Mme Pires Beaune] présente un avantage incontestable, celui d’abandonner la référence au niveau d’imposition au profit de celle du revenu fiscal. Lier une exonération à un montant d’impôt ne paraît pas raisonnable quand on sait que l’impôt peut être modifié par des règles changeant chaque année (…) ».

Second argument : la nécessité de contrebalancer la réforme de l’assurance-vie, également contenue dans le collectif budgétaire, qui « renforce l’attractivité du produit épargne, dont on sait pourtant que les encours sont fortement concentrés sur les plus hauts patrimoines » a expliqué Christine Pires Beaune : « Pour rappel, le coût du seul barème forfaitaire libératoire de l’impôt sur le revenu a pratiquement doublé depuis 2011, pour atteindre deux milliards d’euros – alors que, pour les livrets d’épargne populaire, l’exonération à l’impôt sur le revenu n’est que de 85 millions d’euros. Si je ne conteste pas la légitimité de la réforme de l’assurance-vie, il me semble qu’encourager l’épargne des contribuables les plus modestes constituerait un bon signal politique. »

Pierre Moscovici, beau joueur, a accepté de lever le gage (1) sur l’amendement, renonçant ainsi à s’y opposer. Mais il a aussi demandé aux deux députés de se remettre au travail : « Je souhaite (…) que nous profitions de la navette pour retravailler le dispositif et trouver les bons seuils, afin d’éviter que les mesures adoptées ne puissent avoir des effets potentiellement explosifs. » A suivre, donc.

(1) Un amendement d’initiative parlementaire qui a pour effet de diminuer les ressources publiques n’est recevable que si le gouvernement accepte de « lever le gage ».