Le Conseil constitutionnel a censuré, le 13 mars dernier, le registre national des crédits, une des mesures phare de la loi Consommation de Benoît Hamon. L’association Cresus (Chambres régionales du surendettement social), qui se bat contre le surendettement en France, regrette cette décision. Interview de son président, Jean-Louis Kiehl.

Le Conseil constitutionnel a censuré, jeudi dernier, le « fichier positif » présent dans la loi Hamon. Les Sages ont notamment estimé que ce registre des crédits portait atteinte au respect de la vie privée. Est-ce que vous comprenez cette décision, et vous y attendiez-vous ?

« Non, je ne m’y attendais pas du tout. Le gouvernement avait pourtant revu sa copie, il avait soumis son texte au Conseil d’Etat, qui avait vérifié la proportionnalité et la légitimité du registre des crédits. Il n’y avait pas de raison qu’il soit rejeté. La France est le dernier Etat européen à ne pas être doté de ce fichier positif et la conséquence est que les dossiers de surendettement sont aujourd’hui extrêmement lourds à gérer : ils comprennent une multiplicité de crédits successifs qui auraient pu être empêchés si les prêteurs avaient vérifié la solvabilité des particuliers. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel nous dit que la lutte contre le surendettement est certes louable, mais il bloque sur le fait que le registre puisse être consulté par les banquiers et par tous les prêteurs, notamment dans les magasins. Cela lui a paru disproportionné. Je suis réellement choqué par cette décision, lourde de conséquences. » 

Quelles vont-être, selon vous, ces conséquences ?

« On va continuer à souffrir du surendettement en France. Aujourd’hui, il y a un dossier de surendettement déposé toutes les deux minutes, et trois suicides par jour de gens qui sont à bout de souffle parce que malheureusement ils ont contracté trop de crédits. Je ne jette pas la pierre sur les banques et les établissements financiers : elles prêtent à des particuliers qui, parfois, ne déclarent pas leur niveau d’encours. Mais en France, le montant moyen d’un dossier de surendettement est de près de 35.000 euros, c’est monstrueux. En comparaison, en Belgique, qui a mis en place un fichier des crédits il y a six ans,  il n’est que de 15.000 euros. Les conséquences ne concernent pas seulement les particuliers, elles sont lourdes également pour les établissements financiers et bancaires avec qui la confiance est rompue. Il va certainement y avoir une réaction, un nouveau dépôt d’une proposition de loi. Mais nous perdons beaucoup de temps et je le regrette profondément. Les membres du Conseil constitutionnel auraient pu se contenter d’une censure partielle. Là, ils ont carrément balayé d’un seul geste ce qui était, depuis 20 ans, une revendication. » 

Une version « allégée » du fichier positif aurait-elle été suffisante ?

« Oui sans doute, mais le gouvernement ne restera pas inactif. Sur ce sujet, les parlementaires, de droite comme de gauche, sont unis. Seulement, nous sommes un pays très difficile à gérer : nous voulons toujours créer de la réglementation, alors que nous avions là un instrument qui permettait d’un seul coup d’éviter le crédit de trop. La droite, qui a déposé le recours au Conseil constitutionnel, aurait mieux fait de s’abstenir : quand elle reviendra au pouvoir, elle voudra également instaurer ce registre ! »

Lire par ailleurs : Crédits : le nombre des Français surendettés a continué d'augmenter en 2013