Investir dans la FDJ ou, à un horizon plus lointain, dans Aéroports de Paris, ça vous tente ? La loi Pacte a ouvert la voie à d’importantes cessions d’actifs publics. Une première depuis l'introduction en bourse d’EDF et GDF, au cœur des années 2000 ! Bilan des privatisations passées, pour les épargnants ? Tout en contraste...

Un couple de personnes âgées, sans aucune connaissance ni intérêt pour la chose financière, fait l’inventaire de son patrimoine avec ses enfants. Dans le lot, surprise : un Plan d’épargne en actions (PEA), pour quelques milliers d’euros. Les titres ? EDF, Engie, Technicolor (ex-Thomson Multimedia), Orange, etc. Bref : le couple de seniors avait accepté à l’époque d’acheter quelques actions lors des grandes privatisations des années 90 et 2000. Bilan, pour ce couple qui n’a jamais réalisé d’arbitrage ni jamais réinvesti de dividendes : une poche actions (le compte-titres du PEA) en négatif, plus de 20 ans plus tard… Une perte financière à peine compensée par les dividendes accumulés dans le compte espèces de ce même PEA !

« J'ai pris le bouillon de la bulle internet »

Une mauvaise expérience qui trouve son écho sur notre forum, où les membres ont été invités à évoquer leurs souvenirs. « J’ai souscrit à la privatisation de Thomson et ce fut une de mes pires décisions. Pour celle de France Télécom, j’ai vécu l’envolée du cours jusqu’à des niveaux presque stratosphériques : heureusement j’ai su me contenter du ''presque''. » Un autre membre du forum, répondant à ce dernier : « Pour France Télécom, je ne me suis pas contenté du ''presque'' et j'ai pris le bouillon de la bulle internet. C'était mes premiers pas en bourse. Finalement l'opération a été blanche car, heureusement, France Telecom servait de bons dividendes. » Quelques membres ont tout de même des souvenirs plus agréables. Du très bon : « J’ai participé à toutes les privatisations et revendu assez rapidement… toujours avec une plus-value. » Et du modéré : « Je n’ai pas le souvenir de pertes, mais pas de gros gains non plus. »

Les grandes privatisations des années 1980-2000

  • 1986-1988 : le gouvernement Chirac – avec Edouard Balladur à Bercy – privatise en partie Saint-Gobain, TF1, Société Générale, Suez, CCF, Matra ou encore la Caisse nationale de Crédit Agricole.
  • 1988-1993 : suite à la réélection de François Mitterrand, le gouvernement décide de céder des actifs d’Elf-Aquitaine ou encore de Renault.
  • 1993-1997 : les gouvernements Balladur puis Juppé se désengagent quasi totalement de Total et Elf-Aquitaine, et procèdent à des cessions d’actifs de BNP, Rhône-Poulenc, AGF, Seita, Péchiney, Renault…
  • 1997-2002 : le gouvernement Jospin procède à des privatisations partielles, parmi lesquelles France Télécom, Thomson-CSF, Air France, CIC, Crédit lyonnais, Gan, CNP…
  • 2002-2005 : les gouvernements Raffarin puis de Villepin cèdent de nouvelles participations, notamment dans les sociétés d'autoroutes, mais lancent surtout l’ouverture du capital d’EDF et GDF.

Des ventes massives… marquées par certains abus

Des entreprises aujourd’hui florissantes, d’autres un temps à l’agonie. Difficile de faire un panorama homogène de ces vagues de cessions d’actifs, y compris pour les particuliers qui ont misé sur ces sociétés. « En termes de chiffres de ventes, ces privatisations ont évidemment été un succès ! En particulier pour certaines marques emblématiques comme EDF ou France Télécom », positive Charles-Henri d’Auvigny, président de la F2iC (1). « Cela a permis à certains de prendre goût à l’actionnariat. » L’action EDF a ainsi été souscrite par près de 5 millions de Français ! Ce qui a clairement aidé à dépasser les 7 millions de PEA au milieu des années 2000.

« Du point de vue des épargnants, on peut parler de déception, voire parfois de spoliation »

« Du point de vue de l’intérêt général, les vagues de privatisations des années 1990-2000 furent finalement un échec puisque le nombre d'actionnaires particuliers en France a d'abord cru puis fortement régressé », juge avec le recul Pierre-Henri Leroy, président du cabinet Proxinvest, qui pointe de graves abus dans la commercialisation des actifs de l’Etat auprès des particuliers : « Du point de vue de ces personnes, on peut parler de déception, voire parfois de spoliation. Du fait d'un grave déficit de bonne gouvernance et de régulation, l’intérêt des actionnaires minoritaires a été largement trahi au profit des émetteurs et banquiers. Du point de vue des banquiers, en revanche, il y a eu le bénéfice à court terme de fortes commissions de placement, puis les droits de garde et de trop grasses commissions de gestion. »

En off, plusieurs interlocuteurs, y compris d’anciens banquiers, nous ont confirmé des abus dans la commercialisation des anciens actifs d’Etat. Vente à des clients bancaires nullement au fait des risques, ni véritablement intéressés par la bourse. Réservation d’actions, au prétexte d’une bonne affaire, dans des conditions douteuses. Pierre-Henri Leroy, de Proxinvest, ne remet pas en cause l’intérêt de privatiser. C’est la « méthode » qu’il juge « douteuse » pour ces « opérations de vente massives » : « Le déroulé a donc été le même pour toutes ces grandes privatisations, comme pour le placement d’actifs symboliques comme Eurotunnel : une grosse opération ponctuelle, pour de grosses commissions dans les réseaux pour les banquiers, une grande négligence sur le ''service après-vente'', la qualité de l'information et la gouvernance des sociétés privatisées. »

Le cours de quelques actions emblématiques

  • EDF : 32 € lors de l’émission en novembre 2005, 79 € en novembre 2008, 9 € en ce début novembre
  • Thomson (devenue Technicolor) : 300 € en avril 2001, 160 € en avril 2005, 25 € en septembre 2008, 0,80 € début novembre 2019
  • France Telecom (devenue Orange) : 27 € en octobre 1997, 185 € en mars 2000, 14 € début novembre 2019
  • BNP : 17 € en octobre 1993, 88 € en mai 2008, 48 € début novembre 2019
  • Renault : 28 € en novembre 1994, 118 € en juillet 2008, 11 € en mars 2009, 47 € début novembre 2019
  • Total : 3 € en janvier 1989, 32 € en janvier 2000, 49 € en avril 2019

Source : Euronext. Prix arrondis. Cotation brute, hors dividendes.

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« Il n’y a pas de grands perdants »

« On se souvient plus des échecs », reconnaît Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l’épargne, « mais la majorité de ces opérations ont été rentables pour les épargnants », juge-t-il, en citant Renault parmi les exemples de placements rentables pour les premiers investisseurs. « Il n’y a pas eu de grands perdants ! » appuie Charles-Henri d’Auvigny, de la F2iC. « Les cours de certaines entreprises privatisées ont effectivement été très volatils. Mais les investisseurs ont perçu des dividendes ! Chaque année ! Si l’on compare avec le Livret A… »

Comment tirer les leçons du passé ?

Investir dans les titres vendus par l’Etat n’est donc pas nécessairement une mauvaise opération. Encore faut-il connaître les rudiments de la bourse : comprendre les risques, diversifier, savoir réinvestir ses dividendes… « Les banques sont rarement à l’aise avec les titres vifs », affirme Charles-Henri d’Auvigny, président de la F2iC. « C’est trop de travail pour les conseillers bancaires : c’est compliqué et ça coûte cher… Elles ne privilégient pas l’investissement en actions, alors qu’elles le devraient, parce que leurs réseaux ne sont pas au point sur le conseil boursier. » Charles-Henri d’Auvigny voit d'ores et déjà cette nouvelle vague de privatisations (FDJ, ADP, Engie) comme une occasion manquée, alors qu'elle offrait un « formidable outil de pédagogie » pour expliquer l'investissement en capital aux Français.

Les actions, pour les banques ? « C’est compliqué et ça coûte cher »

Peu à l'aise avec la bourse, les banquiers s’y intéressent donc quand il y a une grosse opération, avec d’importants objectifs commerciaux. La vague de privatisations « loi Pacte », qui doit permettre de « relancer l’actionnariat populaire », va-t-elle donner lieu aux mêmes abus qu’il y a 20 ans ? Sollicitée, l’Autorité des marchés financiers (AMF) n’a pas donné suite. « Certes, depuis cette époque, il y a eu un resserrement de la réglementation sur les méthodes de commercialisation et de gestion collective », reconnaît Pierre-Henri Leroy, de Proxinvest. Désormais les banquiers sont censés se pencher sur la capacité d’un client à prendre des risques, de façon bien plus encadrée, le devoir de conseil a été renforcé, et le démarchage de clients non volontaires est interdit.

« Mais la régression du nombre d’actionnaires et d’analystes financiers confirme que l’Etat français a préféré et préfère une économie de grandes banques et de dirigeants protégés par le droit de vote double [dérogation au principe 1 action 1 voix, pour certains actionnaires dont l'Etat, dans certaines grandes sociétés, NDLR] à une économie de marchés vivants et équitables. » Pierre-Henri Leroy milite ainsi pour des privatisations « au fil de l’eau », de façon discrète et échelonnée, via l’Agence des participations d’Etat « au prix du marché » : « Tout le monde saurait qu’une cession d’actifs est en cours, sans en faire une grande opération politique. » Pour la FDJ, Bercy a choisi une autre méthode…

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(1) Fédération des investisseurs individuels et des clubs d’investissement.