Les déblocages exceptionnels de l'épargne salariale sont rarement couronnés de succès. En 2004 ou 2008, des milliards d'euros retirés ont été réinvestis sur d'autres placements... et non pour les dépenses du quotidien. En 2013, le déblocage exceptionnel avait été loin des objectifs. En 2022, les statistiques fournies à MoneyVox par les gestionnaires d'épargne salariale permettent déjà d'anticiper un nouveau flop.

Objectif : « apporter un soutien immédiat aux salariés dont les revenus du travail sont insuffisants pour assumer le coût de certains biens ou services, dans un contexte de forte inflation ». Méthode : pouvoir « demander, jusqu'au 31 décembre 2022, le déblocage de [l'épargne salariale investie en plan d'épargne entreprise, NDLR] dans la limite d'un plafond global de 10 000 euros », sans fiscalité supplémentaire.

Voici l'extrait de l'exposé des motifs accompagnant l'amendement à la loi pouvoir d'achat votée cet été par le Parlement. Sans cette mesure, l'argent est bloqué pendant 5 ans sur votre Plan d'épargne entreprise (PEE) avant de pouvoir être retiré sans motif, sauf si vous vous mariez, divorcez, perdez votre travail ou (entre autres) achetez votre appartement ou maison, autant de motifs recevables pour débloquer en temps normal.

Cette mesure de déblocage exceptionnelle, ce n'est pas le gouvernement qui l'a proposée mais la commission des affaires sociales du Sénat et sa rapporteure, la sénatrice LR Frédérique Puissat. Ce texte portant des mesures d'urgence pour le pouvoir d'achat a ensuite fait l'objet d'un compromis entre Sénat et Assemblée national en commission mixte paritaire, et ce déblocage exceptionnel a alors été validé et encouragé par le gouvernement et sa majorité.

Moins de 5% chez les deux plus gros gestionnaires d'épargne salariale

Un coup de pouce bienvenu pour les millions de Français détenant un plan d'épargne salariale ? Oui, puisque de nombreux épargnants salariés se sont tout de même dépêchés de réclamer leur argent. « Le pic des demandes a eu lieu en octobre » suite à l'ouverture de l'outil de demande en ligne, explique le groupe Crédit Agricole, leader du marché chapeautant Amundi et CA-Titres. Même retour de la part de Natixis Interépargne et Epsens : la tendance du mois de décembre est plutôt à la baisse des demandes de déblocages après un léger bond à l'automne.

« Moins qu'en 2013 date de la précédente mesure »

Mais ce coup de pouce bienvenue pour certains a-t-il été utile pour une large part d'épargne salariés ? Pas sûr, à en croire les données livrées par Amundi et Natixis, les deux leaders du secteur, et qui représentent à eux seuls près de 60% de la tenue de compte en épargne salariale. « Au 19 décembre, 4,5% seulement des épargnants éligibles au déblocage exceptionnel ont fait une demande », répond Natixis Interépargne (3 millions de salariés épargnants en portefeuille) à MoneyVox, qui a interrogé les 6 principaux gestionnaires à ce sujet.

« Au 20 décembre, nous avons reçu et traité 75 733 demandes de déblocages exceptionnels pour un montant moyen débloqué de 4 000 euros environ », répond le groupe Crédit Agricole (Amundi et CA-Titres), qui tient les plans de plus de 3 millions de salariés. « 2,5% des salariés ont donc fait une demande de déblocage exceptionnel à date, précise Amundi. C'est moins qu'en 2013 date de la précédente mesure [de déblocage exceptionnel]. » Epsens, 6e gestionnaire français, gérant plus d'un demi-million de plans, a « reçu 12 175 demandes à date », au 19 décembre. Là encore, moins de 5% des épargnants éligibles.

Un nouveau flop, après 2013 et 2008

Comment expliquer que moins de 5% des salariés épargnants aient profité de ce déblocage « coup de pouce » au pouvoir d'achat ? Pas ou mal informés ? Pas intéressés ? En théorie, toutes les entreprises où les salariés disposent d'un PEE ou plan assimilé devaient informer leurs salariés sur cette possibilité de déblocage exceptionnel avant la mi-octobre. L'information est-elle passée partout, y compris dans les PME ? Impossible de le savoir.

Mais au-delà de la communication sur cette mesure, les déblocages exceptionnels d'épargne salariale sont rarement couronnés de succès. « En 2008, 1,6 million de salariés avaient débloqués avec à la clef 3,5 milliards d'euros sortis de l'épargne salariale sur 8 projetés », précise le Cercle de l'épargne, l'organisme dirigé par l'économiste Philippe Crevel. « 4% de l'encours avaient été débloqués contre 10% espéré. » Pire : « 80% [de l'épargne débloquée en 2008] avaient été replacés sur d'autres supports d'épargne », autant dire que ce déblocage décidé par le gouvernement de Nicolas Sarkozy avait été détourné de son objectif, celui de soutenir la consommation en temps de crise.

Cette fois, en 2022, les épargnants sont censés conserver les preuves des achats réalisés avec l'argent débloqué, histoire d'éviter que cela serve uniquement à réinvestir sur un autre placement.

Déblocage exceptionnel : que puis-je acheter avec l'argent retiré de mon PEE ?

En 2013, sous François Hollande, 2,2 milliards d'euros ont été débloqués, selon l'AFG, groupement des gestionnaires d'actifs et teneurs de compte, contre 10 milliards précédemment évoqués. L'AFG n'hésitait pas à l'époque à critiquer cette mesure, en « [soulignant] l'incohérence avec le souhait de développer l'épargne longue et prédit l'inefficacité en matière de soutien à la consommation ».

En 2014, le Copiesas (1), instance de concertation mêlant syndicats, patronat et gestionnaires d'épargne salariale installée par Matignon, écrivait : les déblocages « en 2004, 2005, 2008 et 2013 sont contradictoires avec l'idée de constitution d'une épargne de moyen terme et plus encore d'une épargne retraite. L'effet obtenu a d'ailleurs été limité en comparaison des objectifs poursuivis par les pouvoirs publics. » Le déblocage version 2022 semble d'ores et déjà s'inscrire dans cette longue liste.

Plan d'épargne salariale : ce qu'il faut savoir avant de réclamer un déblocage exceptionnel

(1) Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié.