La taxe foncière augmente partout, dans toute la France. Toute, vraiment ? Non, 82 villes et villages, sur les près de 35 000 communes que comptent la France, résistent à la tendance nationale. Lesquelles ? Comment ces villes parviennent-elles à ce tour de force ? Est-ce volontaire ?

Bienvenue à Montreuil-en-Auge, « petite commune rurale du Calvados », comme la définit sans fard Xavier Charles, le maire de ce village normand d'une petite soixantaine d'habitants. Un clocher. Des façades à colombages. De la verdure. Rien d'une ville dortoir : la moitié de la population est à l'âge de la vie active. Une commune très agricole. Avec peu de services publics. Pour l'école, les cinq enfants de la commune se dirigent vers un bourg voisin.

Montreuil-en-Auge se distingue en 2023 par la plus forte baisse de la taxe foncière. Ou plus précisément par la plus forte baisse du taux communal : comme à Berlancourt, dans l'Aisne, le taux y est divisé par deux. Mais Montreuil-en-Auge y ajoute deux faits saillants : le taux y était déjà excessivement bas, tombant désormais à 3,54%, contre 38,28% en moyenne nationale, et c'est la 3ème année de suite que la commune divise son taux par deux.

« Nous avons une nouvelle rentrée de revenus locatifs. J'ai proposé au conseil de rendre cet argent au contribuable »

Comment cette prouesse est-elle possible, alors que les témoignages d'explosion de la taxe foncière fleurissent dans les médias ? « Nous avons du patrimoine communal, explique Xavier Charles. Nous avons aménagé ce patrimoine immobilier et désormais nous louons deux locaux, une maison et un studio. Cela a créé une nouvelle rentrée de revenus locatifs : 10 000 euros de plus... pour un budget communal avoisinant les 20 000 euros. Ces nouvelles recettes ont créé un surplus budgétaire. J'ai proposé au conseil de rendre cet argent au contribuable. »

Le maire de Montreuil-en-Auge veut toutefois éviter toute récupération politique ou toute mise en avant, dans un contexte très tendu autour de cet impôt local : « Attention, nous ne cherchons pas à nous faire de la publicité. Je ne suis pas là pour donner la leçon aux autres maires ! »

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82 communes où la feuille d'impôt n'augmente pas en 2023

Fin août, pour déminer ce sujet sensible, alors que le portefeuille des ménages est mis à mal par l'inflation, la Direction générale des finances publiques (DGFiP) a choisi de faire œuvre de transparence en publiant une foule de chiffres sur la fiscalité locale.

Surprise ! Oui, l'impôt augmente, de fait, dans l'immense majorité des communes, mais seules 14% des villes ont voté une augmentation du taux communal, le seul levier à la main de votre maire. Près de 85% des 34 808 communes ont choisi la stabilité... mais votre impôt y augmente tout de même de plus de 7%. Pourquoi ? Car l'inflation fait mécaniquement grimper les valeurs locatives cadastrales, la base de calcul de votre impôt.

463 communes ont, elles, décidé de baisser leur taux communal. Suffisant pour inverser la tendance ? Non. A Brest (-0,99%) dans le Finistère, au Raincy (-0,32%) en Seine-Saint-Denis, à Castres (-1%) dans le Tarn, à Orange (-0,25%) dans le Vaucluse ou à Aubin (-6,18%) dans l'Aveyron, ces baisses de taux communaux sont insuffisantes face à la hausse nationale (+7,1% sur la base du calcul) pour vous éviter une augmentation de la facture.

La rédaction de MoneyVox a fouillé dans les données publiques de la DGFiP, pour un résultat : cette année 82 communes ont baissé leur taux de plus de 10% par rapport à 2022, ce qui permet effectivement à leurs habitants propriétaires de baisser l'impôt à payer cet automne.

Ces maires qui ont choisi de compenser la hausse nationale

« Nous avons réalisé une simulation pour compenser l'augmentation de l'État. En moyenne, cela revient à 30 euros de moins que l'année dernière sur les avis de taxe foncière ! D'après les premiers retours, on ne s'est pas trompé », témoigne par exemple Fabrice Zuccarelli, maire de Mézy-sur-Seine, dans les Yvelines, où la baisse du taux avoisine les 11%. « J'ai demandé une simulation à la DGFiP afin de baisser le taux communal de sorte que l'impôt n'augmente pas en 2023 malgré la hausse nationale », précise Christine Monlezun, mairie de Fréchendets, où le taux a diminué de 12%.

Mézy-sur-Seine : « En moyenne, 30 euros de moins que l'année dernière sur les avis de taxe foncière ! »

taxe foncière carte
Sources : DGFiP et MoneyVox

Un point commun à ces 82 communes où la taxe foncière baisse réellement en 2023 ? Pas vraiment... mis à part qu'il s'agit quasi exclusivement de petites villes ou communes, à l'exemple de Bussy-Saint-Georges en région parisienne ou de Grigny dans l'agglomération lyonnaise.

Une affiliation politique ? Clairement pas. Impossible de politiser la décision de ces 82 communes : on y retrouve une poignée de maires LR, de « divers droite(s) » ou petits partis, de « divers gauche(s) »... mais surtout une immense majorité de maires sans aucune étiquette politique ! Et une grosse densité dans le Gers, ce qui s'explique par un ancien taux départemental ayant atteint des sommets par le passé.

Taxe foncière 2023 - Les 15 plus fortes baisses
Ville (département)Taux communal 2022Taux communal 2023Évolution 2022-2023
Montreuil-en-Auge (14)
66 habitants
7,08%3,54%-50%
Berlancourt (02)
85 habitants
37,72%18,86%-50%
Bajonnette (32)
111 habitants
46,40%23,89%-49%
Saint-Genès-du-Retz (63)
461 habitants
34,41%20,70%-40%
Chantemerle (51)
49 habitants
8,06%4,86%-40%
Moulins-sur-Orne (61)
316 habitants
31,87%22,31%-30%
Sirac (32)
164 habitants
46%35,65%-23%
Carlat (15)
367 habitants
34,26%26,81%-22%
L'Isle-Bouzon (32)
241 habitants
56,78%45%-21%
Fatines (72)
857 habitants
41,46%32,92%-21%
Berny-en-Santerre (80)
151 habitants
33,34%26,67%-20%
Cunel (55)
18 habitants
44,92%35,94%-20%
Mansempuy (32)
63 habitants
50,01%40,38%-19%
Saint-Antonin (32)
154 habitants
40,88%33,25%-19%
Catonvielle (32)
96 habitants
59,11%48,16%-19%

Sources : DGFiP, SMCL, fichier de recensement des éléments d'imposition à la fiscalité directe locale (REI) et Insee recensement 2020 pour la population de chaque commune.

Ces 82 communes auraient-elles trouvé une « formule magique » ?

« Dans un contexte de refonte de la fiscalité locale, [les taxes foncières] sont aujourd'hui l'un des derniers leviers fiscaux des collectivités qui peuvent agir sur le produit d'imposition en modifiant les taux », écrivait voici quelques mois la Cour des comptes, en faisant référence à la suppression récente de la taxe d'habitation, transformée en un impôt pesant sur les seules résidences secondaires. L'argument de la disparition de la taxe d'habitation est répété à l'envi par les municipalités ayant choisi d'augmenter leur taux taux communal de taxe foncière, seule marge de manœuvre - côté recettes - des maires sur le budget de leur commune...

Un argument justifié ? « La perte de la taxe d'habitation, elle a été compensée ! » coupe le spécialiste des finances publiques François Ecalle. Alors, les baisses réalisées dans les 82 communes listées ci-dessous seraient-elles duplicables ailleurs en France ? Pas vraiment : « Ce sont probablement des petites communes qui ont eu un programme d'investissement, avec une taxe élevée pour mener un projet ponctuel, poursuit François Ecalle. Et elles le baissent une fois le projet finalisé. Ou tout d'un coup, elles ont une ressource nouvelle, par exemple une usine qui s'installe, leurs bases augmentent et elles peuvent baisser les taux. » S'il estime que les grandes villes pourraient « modérer leurs dépenses »... il juge la réalité de ces petites communes bien difficilement réplicable dans les plus larges agglomérations. Du cas par cas.

Hausse de la taxe foncière 2023 : « Le problème, c'est que c'est le seul levier des communes »

Voici les 82 communes où le taux de taxe foncière baisse de plus de 10% en 2023

  • Aisne : BERLANCOURT
  • Ardèche : GROSPIERRES
  • Bouches-du-Rhône : PUYLOUBIER
  • Calvados : MONTREUIL-EN-AUGE, ROCQUES
  • Cantal : CARLAT
  • Charente : FEUILLADE, ORADOUR-FANAIS, RIOUX-MARTIN
  • Côte-d'Or : POINCON-LES-LARREY
  • Corse : SAN-GIOVANNI-DI-MORIANI
  • Gard : BRAGASSARGUES
  • Gers : ARDIZAS, AVENSAC, AVEZAN, BAJONNETTE, BIVES, CASTERON, CATONVIELLE, COLOGNE, ENCAUSSE, ESTRAMIAC, GAUDONVILLE, HOMPS, L'ISLE-BOUZON, LABRIHE, MAGNAS, MANSEMPUY, MARAVAT, MAUROUX, MONBRUN, MONFORT, PESSOULENS, ROQUELAURE-SAINT-AUBIN, SAINTE-ANNE, SAINT-ANTONIN, SAINT-BRES, SAINT-CREAC, SAINT-CRICQ, SAINTE-GEMME, SAINT-GEORGES, SAINT-GERMIER, SAINT-LEONARD, SAINT-ORENS, SEREMPUY, SIRAC, TOUGET, TOURNECOUPE
  • Gironde : FLOUDES
  • Loir-et-Cher : SELLES-SAINT-DENIS
  • Haute-Loire : MONTCLARD
  • Lot : PUYJOURDES
  • Lot-et-Garonne : LABRETONIE
  • Manche : MONTCUIT, VER
  • Marne : BUSSY-LE-REPOS, CHANTEMERLE, THAAS, VIRGINY
  • Haute-Marne : SEXFONTAINES
  • Meuse : CUNEL
  • Moselle : MAIZIERES-LES-VIC
  • Oise : WAMBEZ
  • Orne : MOULINS-SUR-ORNE
  • Pas-de-Calais : TANGRY
  • Puy-de-Dôme : SAINT-GENES-DU-RETZ, BUSSIERES
  • Hautes-Pyrénées : BAZUS-NESTE, FRECHENDETS, TALAZAC
  • Rhône : TUPIN-ET-SEMONS
  • Sarthe : FATINES
  • Seine-et-Marne : BUSSY-SAINT-GEORGES
  • Yvelines : MEZY-SUR-SEINE
  • Somme : BERNY-EN-SANTERRE, LIGNIERES-EN-VIMEU, LE PLESSIER-ROZAINVILLERS, SAINT-AUBIN-MONTENOY
  • Vienne : ASNIERES-SUR-BLOUR
  • Territoire de Belfort : LACOLLONGE
  • Val-d'Oise : CHATENAY-EN-FRANCE
  • Mayotte : TSINGONI

Taxe foncière : le vrai du faux sur l'affolante hausse 2023