La proposition de loi « visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille » a été adoptée au Sénat le 20 mars, après avoir été votée par l'Assemblée. Le gouvernement y est favorable et a activé la procédure accélérée. Que va changer ce texte qui a des chances d'être promulgué au printemps 2024 ? Réponse(s) du député Modem Hubert Ott, auteur de cette proposition de loi.

Hubert Ott, Député Modem du Haut-Rhin
Hubert Ott
Député Modem du Haut-Rhin
Hubert Ott, si vous avez déposé cette proposition de loi début décembre 2023, c'est pour offrir une issue à des affaires judiciaires inextricables ?

Hubert Ott : « Pas uniquement des affaires en justice ! Il s'agit d'apporter une solution si, au départ, des injustices s'installent dans le droit matrimonial. Le texte porte sur plusieurs types d'injustices. Ce texte porte d'abord un volet sur les violences conjugales. Quand il y a succession possible, avant que ne s'exerce le droit successoral pour les enfants, par exemple, le juge regarde d'abord ce que le législateur a prévu pour le droit matrimonial. Or, les personnes mariées qui essaient de prévoir leurs vieux jours se mettent parfois en communauté universelle en fin de vie, de façon à ce que les potentiels héritiers ne puissent rien réclamer qui affecte au survivant du couple. La communauté prévoit que le dernier vivant bénéficie d'un avantage matrimonial de façon que celui-ci ne puisse être destiné aux héritiers, les enfants le plus souvent. Tout se passe bien généralement car l'usufruit reste au dernier vivant. Mais si le dernier vivant est un meurtrier qui a tué sa femme, cela fonctionne de la même manière... Avec cette future loi [en cas d'issue favorable au Parlement, NDLR], si le décès est dû au mauvais acte du survivant, la condamnation du responsable de brutalité ayant entraîné la mort, ou non, sur la personne décédée ne pourra plus bénéficier de l'avantage. Or, 8 fois sur 10, c'est la femme qui est assassinée par son mari en pareille circonstance... »

Comment cela se passe, avant cette probable future loi ? Actuellement, un époux qui a attenté à la vie de son conjoint peut bénéficier légalement d'un avantage matrimonial. Par exemple, si les époux avaient choisi le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale au survivant, ce dernier récupère tout, même s'il battait sa conjointe, par exemple.

« La fraude fiscale, ce sont majoritairement les hommes qui l'opèrent et les femmes qui sont victimes des poursuites du fisc... Ça peut être colossal ! »

Cette proposition de loi porte aussi un volet sur la responsabilité solidaire en matière fiscale...

H.O. : « Ce volet responsabilité solidaire en matière fiscale, on l'a rajouté suite au débat du budget 2024. Le groupe Modem avait proposé cette mesure dans le projet de loi de finances pour 2024 et Bercy ne l'avait pas retenu pour éviter de rompre la solidarité fiscale des époux, ce qui n'est pas indolore du point de vue du budget. Il faut donc que ce soit bien encadré. L'idée est de réparer une injustice majoritairement féminine. Là encore, statistiquement, la fraude fiscale, ce sont majoritairement les hommes qui les opèrent et les femmes qui sont victimes des poursuites du fisc... Ça peut être colossal ! Il s'agissait de ne pas remettre en cause le principe même de la solidarité fiscale. Dans le mariage, on est solidaire fiscalement : si l'un fait une bêtise, l'autre doit payer aussi... L'Etat donne des avantages en tant que couple marié mais aussi des responsabilités... »

« Cela restera à l'appréciation de la justice ou de l'administration fiscale : ce sera possible mais pas automatique ! »

Votre texte, tel qu'il a été retravaillé, ne remet donc pas en cause le principe de la solidarité fiscale ?

H.O. : « Ce texte prévoit des exceptions à ce principe sans le remettre en cause. Si la femme rassemble des éléments, en prouvant qu'elle n'était pas au courant - par exemple de dettes de jeux ou de triche fiscale dans l'entreprise de son mari -, ou qu'elle n'a pas bénéficié de ce que faisait son mari, alors elle pourra se constituer tiers et être sortie de ses devoirs liés aux obligations du mariage. Cela restera à l'appréciation de la justice ou de l'administration fiscale : ce sera possible mais pas automatique ! C'est ce que voulait Bercy. »

Un consensus s'est visiblement noué sur ce texte au Parlement...

H.O. : « On l'a travaillé avec Bercy, ce texte. Le gouvernement a d'ailleurs engagé la procédure accélérée. Nous pouvons raisonnablement espérer une promulgation dès le mois d'avril. »

Suite au vote du Sénat, ce sera ficelé en quelques semaines ?

H.O. : « Il va passer en commission mixte paritaire (CMP), avant une promulgation que l'on peut espérer prochainement. Oui j'ai bon espoir ! On a le cas caractéristique d'un texte qui va porter sur deux aspects de la famille, et qui n'avaient aucune réponse acceptable jusqu'à présent. Dans le premier cas, cela va éviter de la double peine avec un père fautif qui profite en plus des avantages de la famille à la place des héritiers. Dans le deuxième, cela ouvre la porte à la résolution de souffrances de femmes qui se retrouvent poursuivies par l'administration fiscale pour des fautes de leur ex-conjoint : la possibilité de se constituer tiers sera désormais reconnue par la loi. »

Où en est cette proposition de loi ? Le texte a été voté mais assez largement modifié par le Sénat, avec des avis défavorables du gouvernement sur plusieurs amendements de sénateurs sur la solidarité fiscale. Charge à la CMP de trouver le consensus entre députés et sénateurs. La composition de la commission n'est pas encore connue.