Calqués sur le modèle des investissements en forêt, les groupements fonciers viticoles offrent un avantage fiscal à l'achat et lors de la transmission. Mais des difficultés sur le second marché et des dividendes instables le rendent confidentiel face aux produits rémunérant en bouteilles.

C'est un paradoxe. Sur internet, des dizaines de sites expliquent les avantages fiscaux des Groupements fonciers viticoles (GFV), avec une réduction d'impôts sur l'investissement. Mais quand on tombe sur les pages commercialisant ces produits, cette réduction a disparu.

La raison est simple. Deux véhicules... portent le même nom ! Ils ont pourtant des caractéristiques opposées, d'un point de vue économique et fiscal... L'un offre une réduction d'impôts, l'autre non. Et dans ce « combat » entre GFV, le « défiscalisant » a presque disparu de la circulation.

« Il y en a très peu », assure Jean-Claude Chasson, fondateur de Bacchus conseil, acteur majeur de l'investissement viticole. « Cela se fait de moins en moins », confirme Nicolas Agresti, directeur des études de la fédération des Safer, organisme spécialisé dans la vente de biens fonciers ruraux.

Avantages en pagaille

De quoi surprendre, car il semble avoir tout pour plaire. À commencer par son objet : offrir l'opportunité d'investir dans des propriétés viticoles. À l'image des groupements forestiers, il rentre dans le cadre du dispositif Madelin (IR-PME), et permet de déduire de ses impôts 25% de sa mise. Il offre un petit rendement annuel, ainsi qu'une potentielle plus-value sur le prix des parts. Ce GFV est enfin un produit idéal pour effectuer une donation ou préparer sa succession. À condition d'avoir détenu ses parts pendant deux ans, il est exonéré à 75% des droits de mutation à titre gratuit (dons, successions...) dans la limite de 300 000 euros.

Explosion des prix

L'un des rares véhicules du genre sur le marché est « Foncière Champenoise France Valley II ». Il est porté par France Valley, leader des investissements forestiers. La société a choisi la Champagne, car ce terroir est « unique au monde », selon Éric Bengel, directeur associé de France Valley. « Les vignobles sont très nobles. Le champagne est dominé par les acteurs du luxe. Plus ils vont vendre de bouteilles à travers le monde, plus ils auront besoin de sécuriser leur approvisionnement en raisin. » Crise ou pas, la demande reste forte. Or cette boisson de prestige est souvent un « vin d'assemblage », réunissant divers raisins de la région. « Ils sont donc prêts à acheter des parcelles à n'importe quel prix. »

Cette « pression acheteuse » fait décoller le prix de l'hectare : il se négocie à près de 1,3 million d'euros. « Cela crée de grosses difficultés, regrette Éric Bengel. Parmi les 370 maisons de champagne, beaucoup sont indépendantes et familiales. Elles n'ont pas la trésorerie pour acheter des terres à ce prix. »

Partage de récolte

C'est là que le groupement de France Valley intervient. Il achète les vignes, et les met à disposition d'un vigneron. « On met en place un bail de métayage de 20 ans », détaille le directeur de France Valley. Le métayage est spécifique au monde du vin : au lieu de verser un loyer, l'agriculteur donne au propriétaire 1/3 de sa récolte. « Cela permet au viticulteur de travailler de façon sereine. » Car en payant selon la production de raisin, la charge du bail s'adaptera à la réalité des ventes. Pour les associés, le rendement est donc variable, mais ne dépasse pas 1% par an. Celui-ci est imposé au régime (avantageux) des bénéfices agricoles. Comme pour la forêt, le gros de la performance dépend en réalité de l'évolution du prix des parts, en hausse constante. Et il y a encore de la marge : en Bourgogne l'hectare se négocie jusqu'à 3 ou 4 millions d'euros !

Pas de second marché !

Dans le modèle défiscalisant, il est interdit de rémunérer les épargnants en bouteilles. « Ils ont la possibilité d'acquérir du champagne à prix réduit, de -5 à -45%, sourit Éric Bengel. C'est symbolique. » Important : il est nécessaire de conserver ses parts pour que l'avantage fiscal ne soit pas remis en cause. De son côté, l'avantage de 75% sur la transmission impose une détention de deux ans. L'investissement impose des frais d'entrée, en général 10%, et des frais de gestion. L'objectif de France Valley se situe, net de tous frais, autour de 2,5%.

Bref, c'est un joli projet, pour un passionné de vin. Sauf qu'il y a un risque majeur. Ces véhicules sont à capital fixe. Pour y entrer comme pour en sortir, cela se négocie de gré à gré. « En cas de rachat de part, l'investisseur ne bénéficie pas de l'avantage fiscal, prévient Éric Bengel. Autant dire que c'est peine perdue ! » Il faudra espérer que le vigneron souhaite racheter les parts, ou que le véhicule décide sa dissolution, et donc la répartition réelle de la propriété entre investisseurs.

Fermage plutôt que métayage ?

Bacchus conseil ne propose pas ce produit. « On souhaite de la liquidité dans l'investissement », tranche son fondateur Jean-Claude Chasson. Il n'est pas convaincu par le modèle du métayage. « L'investisseur participe à la société d'exploitation. Le résultat est donc lié aux conditions climatiques et de marché. » Il énumère les risques : mauvaise gestion, gel, grêle, maladies... « En champagne, on a eu des années catastrophiques », alerte-t-il. Il est donc formel : « Les gens sont réticents. C'est pour cela qu'il y en a très peu. »

C'est là qu'entre en jeu « l'autre » GFV. « On les surnomme foncières, explicite Nicolas Agresti de la Safer. Il y en a beaucoup en France, car elles sont plus stables. » Assimilables à des sociétés civiles immobilières, ils visent aussi à acheter collectivement tout ou partie de propriétés viticoles, et d'en confier l'exploitation à un vigneron. « L'agriculteur a la responsabilité de l'entretien de la vigne et de la production », détaille Jean-Claude Chasson. Au lieu du métayage, le fermage est privilégié. Le principe : un bail définit la somme due par l'exploitant, quel que soit le résultat. L'évolution de ce montant, décidée par arrêté préfectoral, est rare. « Tout est fixé une bonne fois pour toutes », résume-t-il.

« Les foncières sont vertueuses, car les associés n'attendent pas de rendements exceptionnels »

Leader du marché, Bacchus conseil a constitué à ce jour 87 GFV. La performance financière est autour de 1%, imposée à la flat tax. Mais on peut choisir une rémunération en « nature », donc en bouteilles. « Dans ce cas, le rendement est plutôt de 4,5 ou 5%. » Jean-Claude Chasson intervient auprès de professionnels souhaitant se développer, dans le cadre de rachats familiaux ou d'installation de jeunes agriculteurs. Pour la Safer, ce type d'investissement est bon pour l'activité viticole. « Les foncières sont vertueuses, car les associés n'attendent pas de rendements exceptionnels analyse Nicolas Agresti. Ils sont attachés au territoire, avec un souci de diversification de leur patrimoine. » Par ailleurs, il certifie que ces GFV ne font pas exploser les prix. Pour réguler les choses, la Safer dispose d'un droit de préemption sur toute cession agricole. « C'est plus la dynamique viticole, la demande et la valeur des bouteilles, qui favorisent cette hausse. »

Meilleure dynamique

Il n'y a donc pas d'avantage fiscal à l'entrée. Par contre, comme leur « faux jumeau », ces GFV offrent l'abattement de 75% en cas de mutation de parts détenues au moins deux ans. Le gros avantage, c'est que le second marché est plus dynamique : les parts sont presque toujours rachetées par d'autres associés du groupement, ou des clients d'autres GFV. Et puisque la valeur des parts s'apprécie, on peut même sortir en plus-value ! « Tous les trois ans, on demande à la Safer un avis de valeur. Les associés peuvent alors décider d'une réévaluation des parts. » Pour le moment, c'est tout le temps le cas : depuis 6 ans, les investissements ont gagné 10 à 20% !

Actuellement, plusieurs projets sont disponibles : Champagne, Châteauneuf-du-Pape... À l'exception de la Bourgogne, dont « les prix sont excessifs », toutes les régions viticoles sont couvertes : Bordelais, Languedoc, Champagne, Alsace... Les parts sont proposées entre 3000 euros pour les petits domaines, et jusqu'à 15 000 pour les plus reconnus... Les frais sont de 12%, et l'achat se fait en direct ou via des conseillers patrimoniaux.

Forte demande

Pour monter les GFV, le cabinet scrute de près l'exploitant : situation familiale, bilans, dégustation d'échantillons... En général, le montant à réunir se situe entre 500 000 et 2 000 000 d'euros. Pour les appellations porteuses, la souscription est parfois bouclée en quelques heures ! « Notre fichier client est toujours en attente de nouveaux produits, glisse Jean-Claude Chasson. Car c'est un investissement plaisir, axé sur la convivialité. » Il suggère que les clients sont sensibles à l'opportunité d'accompagner des agriculteurs dans leur développement. Ils sont donc nombreux à assister aux Assemblées générales sur site, pour découvrir les millésimes. Pour achever de convaincre, Bacchus conseil privilégie le bio et la biodynamie. Malgré tout, cela reste un tout petit marché : le leader ne collecte que 8 à 10 millions d'euros par an !