Le dispositif Girardin industriel permet aux investisseurs de soutenir l'économie ultramarine en bénéficiant d'une réduction d'impôts XXL. Son image a été ternie par plusieurs affaires, mais quelques sociétés reconnues proposent des montages intéressants.

C'est un petit « miracle fiscal ». Mis en œuvre par la « Loi de programme pour l'outre-mer » de 2003, ou « Loi Girardin » (du nom de la ministre Brigitte Girardin) le dispositif Girardin industriel a pour but d'alléger le surcoût des biens industrialisés pour les entreprises des DOM-TOM.

Le principe : au travers de SNC (société en nom collectif), les capitaux récoltés financent des machines (véhicule, engin de chantier, grue, bateau...) louées à tarif modéré aux acteurs économiques locaux. En contrepartie, la loi permet de déduire l'année suivante l'intégralité de l'investissement de ses impôts, dans le cadre des niches fiscales. Et puisque les montages génèrent un rendement, la réduction dépasse le capital misé. Une opportunité unique en son genre !

Un dispositif qui a mauvaise presse

Pourtant, beaucoup de conseillers en gestion de patrimoine déconseillent le dispositif. « Le Girardin, on a fait le choix de s'en écarter depuis quelques années, annonce un cabinet spécialisé. Historiquement, on a pu voir que parfois, cela tournait mal ! » La mesure souffre d'une réputation sulfureuse. Promesses non tenues, sociétés éphémères... Certains épargnants ont été victimes d'abus et ont perdu gros.

« Le Girardin... on a pu voir que parfois, cela tournait mal ! »

Car la loi intègre un aléa non négligeable. Dans les 5 ans suivant l'avantage fiscal, les biens doivent conserver un « intérêt économique ». Traduction : être exploités par une entreprise locale. Sinon, le couperet tombe, et Bercy peut annuler l'avantage fiscal. « Si tu te fais redresser, ce n'est vraiment pas drôle, glisse un spécialiste des placements. Il y a eu de nombreux cas. »

Car la particularité du Girardin, c'est que l'on investit à fonds perdu. Une fois acquise la réduction d'impôts en « one shot », le placement ne vaut qu'un euro symbolique. S'il faut rembourser l'avantage fiscal, on aura perdu plus que son capital de départ. « C'est une vraie épée de Damoclès, reprend notre expert. Surtout que les DOM-TOM sont plus fragiles dans le contexte économique actuel. »

Un dispositif plébiscité

Méconnu du public, le Girardin est pourtant plébiscité. Cette année, la collecte va atteindre le milliard d'euros, pour plus de 50 000 projets. « Certaines sociétés ont bonne réputation et un taux de rattrapage fiscal assez faible », note un conseiller. La majorité des dossiers sont ainsi concentrés chez quelques entreprises considérées « sérieuses » : Inter Invest, Ecofip, Ingepar, Profina, Starinvest...

« Le Girardin, quand ça se passe bien, ça se passe très bien »

Inter Invest, leader du Girardin, a collecté à lui seul 520 millions d'euros l'an passé, et le chiffre sera « légèrement supérieur » en 2023. « Le Girardin, quand ça se passe bien, ça se passe très bien », soutient Mélanie Kabla, directrice du développement d'Ecofip, deuxième acteur du marché. En cinq ans, le volume d'activité de la société a doublé : elle devrait lever 140 millions d'euros d'ici décembre, sur 10 000 projets. « Cela prouve que les gens nous font confiance. On a 87% de récurrence d'une année sur l'autre. Quand les gens ont mordu, ils trouvent cela génial. »

Un rendement étonnant

Si les capitaux affluent, c'est que la performance est sans équivalent. Selon les offres et la période de l'année, on peut déduire de ses impôts entre 108 et 120% de sa mise. Pour prendre un exemple, si on investit 10 000 euros, on obtient une réduction de 11 000. « En one shot, on a donc gagné dans l'opération 1 000 euros », explique Frédérique Hazemann, directrice de l'ingénierie fiscale chez Inter Invest. « La somme sera directement remboursée par la DGFIP si les impôts ont été payés grâce au prélèvement à la source », ajoute Mélanie Kabla. Les promoteurs de produits défiscalisant intégrant toujours l'économie d'impôt à la performance globale, on peut parler d'un rendement net de 10% en un an !

Autre « cadeau » : le dispositif bénéficie d'une « rallonge » sur la niche fiscale. Au lieu de 10 000, son plafond est porté à 18 000 euros. Et comme si cela ne suffisait pas, la loi prévoit un étrange calcul, considérant que seulement 44% de l'investissement « consomme » la niche. Sans dépasser son plafond de 18 000 euros, on peut miser (et déduire) jusqu'à 40 909 euros d'impôts, bonus compris. Voire 52 000 dans certains cas. Pour les gros patrimoines, c'est une sacrée aubaine !

10 000 euros et plus si affinités : les réductions d'impôt accessibles jusqu'à la fin 2023

Cela semble vraiment trop beau pour être vrai. Pourtant, Mélanie Kabla d'Ecofip certifie que « depuis deux décennies, aucun client n'a perdu son avantage fiscal ». La société affiche fièrement un taux historique de sinistres de 0,04%. « Il s'agissait d'accidents de la route, ils ont donc été pris en charge ». Inter Invest n'indique pas son taux de sinistre, mais Frédérique Hazemann assure que « quoi qu'il arrive, les montages permettent que la réduction d'impôts ne soit pas remise en cause ».

« On fait de la gestion d'actifs... Mais au lieu d'actions et d'obligations, nous, ce sont des camions, des pelleteuses, des grues... »

Des assurances en pagaille

Comment le garantir ? Les deux sociétés mettent en avant leur réseau de salariés sur le terrain, fins connaisseurs du tissu local. « Cela fait 30 ans qu'on fait ça, situe la cadre d'Inter Invest. Notre force, c'est d'être implanté sur place. Si le locataire de départ ne peut plus payer le loyer d'un outillage, on est en mesure de le relouer à quelqu'un d'autre. »

Tant que le bien reste utilisé, la loi n'encadre pas le changement de locataire. « On fait de la gestion d'actifs, argumente Mélanie Kabla. Mais au lieu d'actions et d'obligations, nous, ce sont des camions, des pelleteuses, des grues... » Et pour maintenir leur réputation, les entreprises s'efforcent de sécuriser chaque projet pendant cinq ans. « Il ne suffit pas d'être là pour faire le deal en année N. Les monteurs sérieux ont des ressources humaines qui suivent l'évolution des choses. »

Comme ses concurrentes, Ecofip privilégie les « biens standards spécifiques à fort potentiel de relocation » : camions, grues, pelleteuses, voitures...

Les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Pour convaincre, les spécialistes ont mis en place des garde-fous. « Nous avons multiplié les clauses juridiques, assurances et contre-assurances, liste Mélanie Kabla. Les clients et les CGPI adorent ! » Contrôle de la responsabilité civile professionnelle et de l'assurance dommages du client, assurance chapeau prenant le relais en cas de défaut, couverture contre l'absence de livraison, les déclarations erronées ou les erreurs de gestion du locataire, garantie du montage et des loyers non payés...

La liste des boucliers est longue ! Inter Invest ajoute d'office une garantie de bonne fin financière et fiscale, ou G3F. « Quelle que soit la cause », le gestionnaire sécurise l'avantage fiscal, même si l'administration le réclame ! « On garantit nos montages en ce sens », assure Frédérique Hazemann.

« On ne peut parler d'absence totale de risque avec le Girardin, mais de risque très maîtrisé par les clauses et assurances »

Évidemment, il subsiste l'éventualité d'une faillite du monteur. « On ne peut parler d'absence totale de risque avec le Girardin, prévient Mélanie Kabla. Mais on peut parler de risque très maîtrisé par les clauses et assurances. » Son entreprise est tellement « confiante » en son savoir-faire que sa garantie de bonne fin financière (G+) n'est proposée qu'en option, facturée 2 points de rendement. « Avec la G+, la réduction d'impôts du client est prise en charge quoi qu'il arrive. Mais même avec un dossier de base, on estime que le résultat est presque garanti. »

Car Ecofip a ajouté une surcouche de sécurité avec ses « Écofonds ». Une « mutualisation extrême » entre 6 SNC, cofinançant une quarantaine de biens dans différents DOM-TOM, différents secteurs, auprès de différents exploitants. Puisque le pot commun confond plusieurs Girardin, en cas de défaut, seule une quote-part de la réduction serait menacée. Abondance de sécurité ne nuit jamais.

Attention aux paillettes

Avec tous ces filets de protection, comment certains épargnants ont-ils pu tout perdre ? « Le piège, c'est d'avoir des paillettes dans les yeux quand on voit des taux très importants, alerte Frédérique Hazemann. Il y a encore des sociétés qui proposent plus de 20%. Ce sont des modèles à risque. Notre rendement est calculé en prenant en compte les assurances garantissant le montage. Cela a un coût. »

Mélanie Kabla estime que les « bons monteurs du marché » ont des performances oscillant entre 8 et 16%. Elle regrette l'apparition régulière de « sociétés fantaisistes, qui lèvent jusqu'à 50 millions d'euros et repartent avec le butin ». Elle préconise de faire confiance aux « 5 ou 6 monteurs sérieux ». « Même si on ne veut pas passer par Ecofip, mieux vaut choisir un établissement qui a pignon sur rue. Ce n'est pas un monopole : on favorise simplement la non-requalification par l'administration fiscale. »

« En investissant en décembre, on ne patiente que 7 mois pour récupérer sa réduction d'impôts »

Malgré tout, le Girardin a deux défauts. Le premier, c'est qu'il bloque les fonds jusqu'à la prochaine déclaration d'impôts. On parle d'un minimum de 2 500 euros pour Inter Invest, et 4 000 chez Ecofip. « Le plus dur, c'est la première année, reconnaît Frédérique Hazemann. Une fois que les gens ont reçu leur premier remboursement d'impôts, cela roule tout seul. » Tout le monde ne peut pas verrouiller son argent. « Cela demande un effort en plus du prélèvement à la source », concède Mélanie Kabla. « Mais en investissant en décembre, on ne patiente que 7 mois pour récupérer sa réduction d'impôts. »

L'autre souci, c'est que le dispositif est dur à appréhender. « Les gens ont du mal à comprendre ce mécanisme un peu particulier, observe Frédérique Hazemann. Concrètement, on n'achète rien et cela ne génère pas de revenus. On donne de l'argent pour en récupérer plus, mais en réduction d'impôts. » On ne parle pas de parts, de valorisation, de rendements à long terme... « Il faut être confortable avec le fait que l'on n'a plus rien avant le remboursement fiscal. » En quelque sorte, on précommande une réduction d'impôts !

Mélanie Kabla préfère donc présenter le Girardin comme un « placement offrant 10% sur 7 mois, bénéficiant d'une garantie maison ». « Souvent, les clients prennent le temps d'y réfléchir la première année. La seconde, ils passent le cap, puis reviennent. » L'avantage d'un one shot, c'est qu'il ne bloque qu'un an. « C'est très souple. On peut l'augmenter pour un revenu exceptionnel, ne pas en faire l'année suivante... »

Haro sur les impôts

La cible, ce sont les passionnés de défiscalisation. « Il est clair que les clients cherchent avant tout à réduire leur impôt, admet Frédérique Hazemann d'Inter Invest. Si ce n'était pas les DOM-TOM, ils le feraient ailleurs. »

Mélanie Kabla sourit en entendant dire que le Girardin séduit les « allergiques aux impôts » : « On transforme un centre de coût en centre de profit. On arrive donc à sortir une rentabilité de cette allergie ! » Mais elle y voit un autre volet : « donner du sens » à sa contribution fiscale. « Quand on explique que la vocation est d'aider les DOM-TOM, les gens ne sont pas insensibles, rebondit Frédérique Hazemann. C'est aussi un moyen de flécher son argent. » Car elle souligne que cet investissement a un réel « intérêt social et économique ». « L'administration fiscale ne fait pas de cadeaux par principe. Le Girardin permet de compenser le fait que tout est plus cher dans les départements et territoires d'outre-mer. On aide les entreprises locales à se développer et continuer leur activité. »

En règle générale, l'investissement est accompagné par un conseiller patrimonial. Au moyen de simulateurs, il peut définir le budget idéal pour réduire l'impôt au maximum. Une fois signés, les contrats sont mis en œuvre « très rapidement ». Et puisque l'on n'achète rien, il n'y a pas de frais ! « Les clients avancent l'argent, on leur offre un rendement, et voilà », glisse Frédérique Hazemann.

Les enveloppes arrivent à leur terme. « En fin d'année, cela va assez vite, prévient-on du côté d'Inter Invest. À partir du 20 décembre, c'est plus complexe. » Ecofip, de son côté, offre encore des opportunités à 8 et 10%. « On pense terminer le 27, annonce Mélanie Kabla. Tout doit être enregistré avant le 31. » Avis aux « allergiques » : il ne reste plus beaucoup de temps pour se soigner !

Impôts 2023 : ces 5 pièges de la défiscalisation de fin d'année