Toucher une prime, ce n'est que du bonus. Donc, forcément, c'est une bonne nouvelle... sauf que cette prime va parfois éviter à votre employeur d'activer une augmentation durable de votre salaire fixe.

Votre employeur vous propose ou vous a proposé fin 2023 une prime Macron ? Ou prime de partage de la valeur ? Évidemment, vous n'avez aucun intérêt à la refuser ! C'est toujours « ça » de pris. Mais ce bonus ponctuel, « pour le salarié, ça n'est avantageux qu'à court terme », juge Nicolas Aubert, professeur de finance à l'IAE Aix-Marseille. Car rien dans les caractéristiques de cette prime ne vous garantit que vous en reverrez la couleur l'année suivante ou lors d'une prochaine année très florissante pour votre entreprise.

Prime Macron de la fin 2023, l'aubaine qu'il fallait saisir

806 euros, en moyenne, pour « près de 5 millions de salariés ». Fin 2022, la prime de partage de la valeur (PPV), ou prime Macron revisitée, a fait un carton. Pas nécessairement sur le nombre de bénéficiaires, en légère hausse mais sans explosion par rapport à la précédente version de la « prime Macron », nommée « prime exceptionnelle de pouvoir d'achat » lors de sa création face à la crise des Gilets jaunes, puis lors de son maintien en pleine crise sanitaire. Mais le montant moyen était très largement supérieur aux 401 euros de 2019, aux 590 euros de 2020 et aux 506 euros de 2021. En 2022, ce carton s'expliquait notamment par l'explosion de l'inflation et par le vote de la loi pouvoir d'achat

Rebelote fin 2023 ? A la mi-décembre, l'Insee anticipait déjà « des versements massifs de prime de partage de la valeur (PPV) en fin d'année, comme l'an passé ». D'autant que la PPV 2023 est plus intéressante, fiscalement parlant, que la PPV 2024, et ce pour les salariés comme pour les entreprises. Elle était totalement défiscalisée (ni CSG, ni CRDS, ni impôt sur le revenu, etc.) en 2023. A partir de janvier 2024, toute prime Macron versée à un salarié est soumise à l'impôt sur le revenu, à la CSG et la CRDS, mais elle reste exonérée de cotisations salariales sous conditions.

« Un effet d'aubaine, non je ne peux pas confirmer »

D'où un potentiel effet d'aubaine en 2023. « Un effet d'aubaine, non je ne peux pas confirmer », coupe Élodie Chailloux, consultante veille juridique et droit social chez ADP, société voyant passer 3 millions de bulletins de paie chaque mois. « Dans la DSN [déclaration mensuelle permettant de transmettre les informations à France Travail, la CPAM, l'Urssaf, etc., NDLR], nous avons moins de volume de PPV en décembre 2023 que sur décembre 2022. Et cela ne semble pas être la majorité des entreprises qui versent la PPV. »

Le cru 2023 de primes Macron devrait donc s'inscrire dans la lignée du cru 2022 : pas forcément d'explosion en nombre de PPV, mais des montants conséquents.

Prime Macron version 2024 : un bonus ou une alternative « facile » au salaire et à l'épargne salariale ?

A partir de 2024, même fiscalisée, la prime Macron ne sera pas enterrée. Loin de là. D'une part, la prime de partage de la valeur restera totalement défiscalisée jusqu'en 2026 pour les salariés des petites entreprises (moins de 50 salariés) si leur rémunération est inférieure à 3 Smic.

Surtout il sera toujours possible d'être exonéré d'impôt sur le revenu si vous choisissez de la placer sur un plan d'épargne salariale. Exactement le même arbitrage qui existe déjà pour une prime d'intéressement ou de participation.

Impôts. Vous allez toucher votre prime d'épargne salariale... faut-il prendre le cash ou investir ?

« Vous avez d'un côté un système facile et pas cher et de l'autre un système complexe et onéreux... Lequel va choisir le patron de PME ? »

En clair : la PPV est désormais inscrite dans le marbre avec une fiscalité similaire à l'intéressement et la participation... mais avec des contraintes bien moindres. « Pourquoi un dirigeant de PME irait s'embêter avec les dispositifs d'épargne salariale alors qu'il y a la PPV ? », réagit l'universitaire Nicolas Aubert, spécialiste de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié. « Vous avez d'un côté un système facile et pas cher et de l'autre un système complexe et onéreux... Lequel va choisir le patron de PME ? Je caricature mais le risque est évident. »

Une prime Macron durable, une nouvelle prime... Les nouveautés de la loi « partage de la valeur »

Du point de vue de l'employeur, « cette PPV est un outil facile qui, au-delà de l'avantage fiscal, nécessite très peu de travail à la mise en place », rappelle Nicolas Aubert. La participation, elle, est obligatoire, mais dans les entreprises de plus de 50 salariés.

En dessous de 50 salariés, rien d'obligatoire, mis à part depuis l'entrée en vigueur de la loi sur le partage de la valeur, le 1er décembre 2023, la mise en place d'un dispositif si votre entreprise est bénéficiaire pendant 5 ans de suite. Quel dispositif ? Soit la participation, l'intéressement ou... la prime Macron. Or la prime Macron offre une totale liberté de montant au patron, alors que l'intéressement répond à une grille d'objectifs préalablement déterminés. « L'accord d'intéressement c'est ce qui fait le plus de sens pour le management, juge Nicolas Aubert. On peut utiliser des critères extra financiers pour motiver les équipes. »

« Ce que vous ne donnez pas en augmentation de salaire cela passe par la prime Macron... »

La prime Macron, aspirateur de primes d'intéressement ? Potentiellement... Pire : un potentiel aspirateur à augmentations de salaires. Quand une prime ponctuelle et fiscalement intéressante pour l'employeur prend la place d'une augmentation certes plus diffuse mais plus durable sur votre bulletin de paie. « On est pour des augmentations de salaire », appuyait en octobre dernier la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon au micro de RMC : « La prime Macron, c'est un petit coup de pouce, ça ne remplace pas le salaire. »

Crainte justifiée ? « Il y a un énorme problème : l'effet de substitution, confirme Nicolas Aubert. C'est interdit mais cela existe quand même. Une étude de l'Insee l'a parfaitement illustré. Ce que vous ne donnez pas en augmentation de salaire cela passe par la prime Macron... »

Voici ce qu'écrit l'Insee dans l'étude en question, publiée en mars 2023 : « La prime ne peut pas, en théorie, se substituer à des augmentations de rémunération ni à des primes prévues par un accord salarial ou par le contrat de travail. Cependant, l'analyse des dispositifs passés du même type montre qu'en l'absence de cette mesure, des employeurs auraient sans doute versé, sous une forme différente, une partie au moins du montant de la prime à leurs salariés. » Traduction : des patrons ont bel et bien choisi l'option prime Macron, ponctuelle, au montant libre, sans contrainte, à une augmentation de salaire. Un constat voué à se répéter chaque année ?