Apparues en 1985, Les Sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel permettent aux épargnants de soutenir la création française. Mais malgré une alléchante défiscalisation de 48%, leur modèle, essentiel pour l'industrie, ne vise pas de gros rendements.

Quel est le point commun entre Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, Intouchables et la Palme d'Or 2023 Anatomie d'une chute ? Outre leurs succès, leurs génériques affichent des soutiens étranges : Cofimage, Cofinova, Cinémage... Derrière ces noms obscurs se cachent les Sofica (Sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel).

Peu connues du grand public, ce sont pourtant des actrices historiques du 7e art. « Elles ont été créées en 1985 par Jack Lang, dans le contexte de l'exception culturelle », raconte Guillaume Sorne, délégué général de l'association de représentation des Sofica (ARS). « Ce sont en réalité des véhicules d'investissement, qui permettent à des particuliers de mobiliser leur épargne au service de la production audiovisuelle et cinématographique. »

48% de réduction d'impôts

Les Sofica sont sous la triple tutelle du Centre national de la Cinématographie, de l'Autorité des Marchés financiers et de la Direction générale des Finances publiques. Car l'investissement octroie une grosse réduction d'impôts. En respectant certains critères (soutien à l'export, à la télévision...) toutes les sociétés proposent un avantage fiscal de 48%, et permettent l'extension du plafond des niches fiscales à 18 000 euros. Sachant que l'investissement maximum est de 18 000 euros, le placement offre jusqu'à 8 640 euros de réduction d'impôts. Un joli cadeau de fin d'année !

Chaque année, une nouvelle société doit être créée, pour collecter jusqu'au 31 décembre puis investir. C'est pour cela que, pour les acteurs historiques, on voit un petit chiffre accolé au nom du fonds. « Cette année, 13 Sofica(1) ont été agréées par la triple tutelle », précise Guillaume Sorne. Toutes adossées à une ou plusieurs sociétés de production, elles doivent signer une charte avec le CNC, dans laquelle plusieurs objectifs sont déclinés : financer au moins 50% de productions indépendantes, aider les jeunes réalisateurs et les films à petit et moyen budget (inférieur à 8 millions d'euros)...

Collecte express

L'enveloppe globale est fixée à 73 millions d'euros, répartis par le CNC entre les sociétés agréées. « Il y a une pondération en fonction des engagements de chacune, de leur ancienneté, des capacités de collecte... » Cela va de 1,5 million d'euros pour Impact Sofica 2023, apparue cette année, à 11,9 millions pour la 19e mouture de l'historique Cinémage.

L'appel public à l'épargne se déroule d'octobre au 31 décembre. Portée par les banques et conseillers patrimoniaux, la collecte est rapide : les premiers véhicules ont atteint leur plafond en novembre ! « Toutes les Sofica vont aussi vite qu'elles peuvent », assure Alexandra Reveyrand de Menthon, directrice des opérations d'Entourage Sofica. Car dès que l'enveloppe est pleine, elles peuvent demander des rallonges de quelques centaines de milliers d'euros, déduites du budget de leurs « concurrentes ».

« Toutes n'arrivent pas au plafond chaque année mais on voit de très bonnes trajectoires de collecte »

Entourage 3 a bouclé son budget de 3,75 millions d'euros + une rallonge de 500 000. « Toutes n'arrivent pas au plafond chaque année, analyse Guillaume Sorne. Mais on voit de très bonnes trajectoires de collecte. En 2022, on était quasiment aux 73 millions d'euros. »

Les sociétés ont ensuite un an pour investir les fonds. « Chacune est libre de faire ses choix de projets cinématographiques et audiovisuels », expose Kevin Vidalenc, conseiller au pôle patrimonial de Linxea. Le courtier en ligne distribue en exclusivité web Entourage 3, convaincu par le fait que la Sofica soit partenaire avec Mediawan, première société de production en France.

La seule contrainte : respecter les engagements pris auprès du CNC. « Les sociétés mettent en place des comités d'investissement », précise le conseiller. Ils se composent de professionnels issus du milieu du cinéma, de la télévision et de la culture en général. « Ils étudient les projets proposés par les producteurs et distributeurs, et sélectionnent ceux qui les intéressent. » Cela concerne 90% des fonds : le dispositif impose de conserver 10% de trésorerie.

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Un risque, mais des garanties

Les contrats concernent trois étapes de la vie des projets : la production, la réalisation et la distribution. « Les Sofica sont toujours remodelées pour coller aux besoins de l'industrie », note Guillaume Sorne. Un exemple : depuis la crise sanitaire, elles peuvent financer les distributeurs, mis à mal par la fermeture des cinémas.

Le principal volume d'activité concerne les « contrats d'association de production », la participation au budget des projets. « Il y a une forte capacité de levier, assure Guillaume Sorne. Dans le plan de financement, il y manque souvent 5 ou 10%. » Dès lors, le producteur sollicite les Sofica. « Avec des montants assez faibles, elles permettent d'engager la mise en production du film. » Il y a également le « contrat d'association à distribution », qui accompagne la sortie des films.

Les 13 fonds s'engagent aussi auprès des producteurs sur le développement de projets qui n'ont pas forcément vocation à sortir, dans l'esprit « recherche et développement ». Enfin, l'adossement consiste en un prêt à taux 0 à une ou plusieurs sociétés de production, qui peut représenter jusqu'à 35% de l'investissement total. Sauf catastrophe, l'adossement et les fonds « développement » seront récupérés.

Côté distribution, les films étant sur le point de sortir, le placement est moins aléatoire. « On est sûr que le film va sortir, on sait qui est au casting, comment c'est écrit », analyse Kevin Vidalenc. Le risque principal se concentre sur les contrats de production, car les projets peuvent ne pas aboutir. « L'inconnue est plus forte, complète-t-il. C'est là qu'intervient le savoir-faire de chaque Sofica pour lisser le risque. » Cette structuration évite l'effondrement des véhicules. « Il y a des paris, mais un certain nombre de garanties », résume Guillaume Sorne.

Rentabilité limitée

On a tendance à imaginer qu'un carton au box-office dopera le résultat. Guillaume Sorne nuance cette idée reçue. « Les contrats font que la rémunération est assez rapidement capée. Même si elles financent un grand succès, cela ne rapportera jamais +50 ou 100%. » Car l'idée est avant tout de soutenir la production. « Les Sofica ne sont pas des fonds de pension, rappelle le délégué général de l'ARS. Ce n'est pas la logique du système. La gestion se veut plus raisonnable. »

Entourage investit à la fois dans le cinéma et la télévision, en s'imposant de privilégier les « films à impact » et les sujets de société. « On a connu un gros succès avec Les Petites victoires, et on a pu obtenir 110%, se satisfait Alexandra Reveyrand de Menthon. Dans nos deals, quand un film fonctionne, on peut avoir des bonus, et arriver à la fin à 115 ou 120%. Mais cela ne va pas au-delà. » Les investissements pour la télévision ont des rentabilités plus limitées. Pour les séries, tout dépendra si elles intègrent les plateformes ou se vendront à l'étranger.

Naturellement, dans le « panier », d'autres œuvres auront des résultats décevants. La perte peut alors être plus marquée. Il serait donc exceptionnel que la Sofica récupère 100% du capital investi. « C'est vertueux pour l'industrie, soutient Guillaume Sorne. Cela explique pourquoi le rendement est calculé avantage fiscal compris. Il garantit que les Sofica s'y retrouvent. » Le taux de retour sur investissement est souvent positif, mais pas faramineux : autour de 3 à 5% annuels.

« Il y a beaucoup de marge. On est sûrs de ne pas être en perte, avantage fiscal inclus. »

Gagner en perdant

Plutôt que de performer, l'enjeu est avant tout de « limiter la casse », juge la directrice des opérations d'Entourage. « En général, les Sofica récupèrent 70 à 75% de leur capital de départ, même si on a espoir de faire bien plus. » L'essentiel est de ne pas dépasser -48%, pour ne pas annuler l'avantage fiscal. Les Sofica se fixent un objectif : un rendement annuel de 3 à 5%, avantage fiscal inclus.

Pour le moment, les indicateurs d'Entourage sont plutôt positifs, avec des réussites comme Le règne animal, ou le téléfilm Comme mon fils avec Tomer Sisley. De toute façon, le modèle limite la poche de risque. Sur les 90% à placer, les Sofica allouent près de la moitié à l'adossement (le prêt à taux zéro) et aux contrats de développement. Ces deux éléments ne sont pas rentables, mais « quasi garantis ».

Au final, les Sofica risquent moins de 50% du capital. En additionnant la réduction fiscale de 48%, sauf faillite majeure, les épargnants devraient retrouver leur mise. Et comme certains paris vont fonctionner, livrer 3 ou 4% par an est plausible. On comprend mieux pourquoi les parts s'arrachent en quelques semaines ! « Il y a beaucoup de marge, appuie Alexandra Reveyrand de Menthon. On est sûrs de ne pas être en perte, avantage fiscal inclus. » Les Sofica ayant changé de formule récemment, il n'y a pas encore d'historique de performance. Mais on entend des bruits de couloirs optimistes...

Frais à prévoir

9 véhicules sont portés par des banques et proposés à leurs clients (BNP Paribas, La Banque postale, Société Générale, Crédit Agricole...). Pour les autres, cela passe par un conseiller en gestion de Patrimoine. Les sociétés imposent souvent un minimum de 5 000 euros. On ne peut donc dépasser 180 00 euros. Mais sachant que le versement ne peut excéder 25% du revenu net, il faut alors gagner 72 000 euros. « Le ticket moyen se situe autour de 8 000 euros », estime Guillaume Sorne.

« Le ticket moyen se situe autour de 8 000 euros »

Les frais d'entrée sont variables. « Mais l'avantage fiscal porte sur la somme globale », nuance Kevin Vidalenc. 48% seront donc récupérés via la réduction d'impôts. Il faut prévoir également autour de 2% de frais de gestion. Ces prélèvements expliquent en partie le rendement limité. Attention : les fonds sont bloqués de 5 à 10 ans, même si en pratique, c'est fréquemment 6 ans. Ce qui a une logique : la production cinéma ou télé impose souvent un temps long. Au moment du débouclage, le capital est redistribué aux investisseurs avec un document résumant la performance globale.

« Les gens sont contents d'avoir investi dans les films dont on parle, qui ont du succès »

Investissement passion

Fonctionnement un peu complexe, incertitude sur le résultat... Ces produits ne sont pas destinés à tout le monde ! « Une certaine gymnastique est nécessaire, prévient Guillaume Sorne. On doit comprendre qu'une Sofica cherche à se retrouver en comptant l'avantage fiscal. » Il rappelle tout de même que « leur but premier est de maximiser le retour sur investissement de leurs souscripteurs, compte tenu des contraintes réglementaires qui leur sont imposées. » Le profil-type de l'investisseur est une personne dont l'impôt sur le revenu est « dans la fourchette entre 5 000 et 8 000 euros, synthétise Guillaume Sorne. Cela représente à peu près la moitié des Français. »

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Les Sofica sont destinés à la défiscalisation, mais au-delà, elles plairont aux amateurs de films et séries. Cet « investissement plaisir » permet de diriger son impôt au profit de la culture française. Parfois, les épargnants bénéficient de petits plus, comme des invitations à des avant-premières. « C'est valorisant de contribuer au développement de notre industrie cinématographique », se réjouit Guillaume Sorne. Car les Sofica sont « essentielles ». « Elles financent près d'un film français sur deux. » C'est même 80% des films d'auteur et/ou dont le budget se situe entre 2 et 10 millions d'euros. « Sans leur apport, on estime que la moitié de ces films ne se feraient pas. »

Il est possible d'investir jusqu'à la dernière semaine de décembre, mais le délégué de l'ARS se dit « plutôt confiant » dans le fait d'atteindre l'enveloppe de 73 millions d'euros. Ensuite, les épargnants auront la fierté de voir leur Sofica dans les génériques. « Les gens y sont sensibles, sourit Alexandra Reveyrand de Menthon. Ils sont contents d'avoir investi dans les films dont on parle, qui ont du succès. » Financer une Palme d'Or, c'est quand même sympathique !

(1) Les 13 Sofica : Cineaxe 6, Cinécap 8, Cinémage 19, Cinéventure 10, Cofimage 36, Cofinova 21, Entourage Sofica 3, Impact Sofica 1, Indéfilms 13, La Banque Postale image 18, Palatine étoile 22, SG image 2023, SofiTVciné 12