Près de 200 milliards d’euros, c’est déjà le coût de l’épidémie de la Covid-19 pour les finances publiques. Mais cette note très salée n’a pas fini de grimper. Qui va la payer et quand ? Les Français s’attendent déjà à des hausses d’impôts.

Une inquiétude qui progresse. Selon une enquête publiée début novembre par l’Institut Montaigne, 83% des sondés se disent inquiets du niveau de la dette publique, dont 48% très inquiets, c’est 10 points de plus qu’au mois de juin. Et c’est vrai que la situation a de quoi donner le vertige. Explications.

Quel est le coût de la crise ?

L’épidémie de coronavirus entraîne la crise la plus sévère depuis 1945 et pousse l’exécutif à sortir le carnet de chèques pour éviter un effondrement de l’économie. C'est le fameux « Quoi qu'il en coûte » du chef de l'Etat. A l’occasion du premier confinement, il a mis près de 60 milliards d’euros sur la table afin de financer des mesures d’urgence : chômage partiel, fonds de solidarité pour les petites entreprises… Et la note s’est encore alourdie avec le reconfinement puisque 20 milliards d’euros de plus ont été mobilisés, soit près de 80 milliards d’euros de dépenses budgétaires. C’est sans compter sur les plus de 400 milliards d’euros de garantie et d’aides en trésorerie et en capital pour les entreprises dont le coût final est incertain. Tout dépendra si ces dernières seront en capacité dans le temps de rembourser leur emprunts et leurs charges.

Mais ce n’est pas tout. Car les confinements ont bridé le fonctionnement de l’activité économique et selon le dernier projet de loi de finances rectificatives pour 2020, la chute sera de 11% du PIB. Ce qui va de facto entraîner une forte baisse des recettes fiscales. Entre le rendement de la TVA qui dévisse car les ménages consomment moins, les impôts sur la production des entreprises qui diminuent, près de 50 milliards d’impôts se seront envolés cette année. Le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt, a fait l'addition fin octobre : l'épidémie « nous a coûté 186 milliards d'euros ».

Résultat, le déficit devrait atteindre 11,3% d’ici la fin décembre. A ce moment-là, la dette française représenterait 119,8% du PIB, contre 98,1%fin 2019. Le stock de dettes qui était de « seulement 1 000 milliards d’euros » en 2008 a ainsi atteint 2 638,3 milliards d’euros à la fin juin, selon l’Insee.

Est-ce que ça ira mieux en 2021 ?

La situation va encore être très difficile en dépit des promesses encourageantes sur l’arrivée prochaine de vaccins contre la Covid-19. « Cette crise économique affecte la France en particulier car elle frappe de plein fouet des secteurs qui font sa force : l’aéronautique, le tourisme, la culture… Il faudra du temps pour retrouver une situation normale », explique Mathieu Plane. Cet économiste à l'OFCE, interrogé par MoneyVox, s’inquiète en même temps de la capacité de nombreuses entreprises ayant profité de prêts garantis par l'Etat à tenir à moyen terme. Ces « entreprises zombies » maintenues artificiellement en vie mais qui vont devoir rembourser les emprunts contractés. « Il y a un vrai mur de dettes devant nous. Ce sera un sujet brûlant en 2021 ».

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Le retour à un niveau d’activité d’avant crise n’est donc pas pour tout de suite. C’est ce qui a amené le gouvernement à présenter un plan de relance de 100 milliards d’euros sur les 2 prochaines années. Le projet de budget pour 2021 table ainsi sur un déficit de 6,7% du PIB, soit plus de 150 milliards d’euros. Mécaniquement la dette va donc encore s’alourdir.

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Cette situation financière est-elle inquiétante ?

« Attention à la bombe à retardement, s’alarme Eric Woerth. Il y a un risque : que l'on s'habitue à l'endettement », a averti le président de la commission des Finances de l'Assemblée, fin octobre dans un entretien au Journal du dimanche. « Dans ce contexte, la soutenabilité à moyen terme des finances publiques et en particulier celle de la dette publique constitue évidemment un enjeu central de la stratégie financière de la France. Elle appelle de notre part la plus grande vigilance collective », a estimé récemment Pierre Moscovici, le président de la Cour des comptes, interrogé par les députés.

« Un Etat en déficit, comme en France depuis 45 ans, rembourse ses dettes en réempruntant simultanément les montants nécessaires à ces remboursements. Il doit en outre emprunter pour financer le déficit de l’exercice en cours. La dette publique ne peut pas augmenter indéfiniment car les créanciers de l’Etat finissent par douter de sa capacité à emprunter suffisamment pour pouvoir toujours rembourser ses dettes anciennes et financer son déficit », prévient François Ecalle, ancien rapporteur général du rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Pour cet économiste sollicité par MoneyVox, la France peut encore s’endetter dans le contexte actuel car les taux d’intérêt sont très bas, bien aidés par l’action massive de la Banque centrale européenne (BCE) qui va racheter 1 000 milliards d’euros de dettes des pays européens d’ici la fin de l’année. « Mais cela ne pourra pas durer, notamment en cas de retour de l’inflation puisque son mandat est de lutter contre une hausse des prix trop forte. Dans ce cas, elle devrait augmenter les taux d’intérêt », selon cet expert qui anime Fipeco, un site d'informations de référence sur les finances publiques.

Faut-il rembourser ou annuler la dette ?

« Cette dette Covid, nous devrons la rembourser. Nous la rembourserons par la croissance », promet le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. Une amélioration de l’activité qui entraînerait une hausse des recettes fiscales. Sauf qu’au regard des incertitudes, il faudra être patient avant de voir une reprise franche et durable de l’activité. Une des pistes du gouvernement est d’ailleurs de cantonner la dette liée au coronavirus afin d’étaler son remboursement sur une très longue période. Il l’évaluait fin juin à 150 milliards d’euros. Pour la financer, la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), un prélèvement de 0,5% s’appliquant à l’essentiel des revenus, pourrait être prolongée de 2033 à 2042. Une idée qui fait sourire François Ecalle : « C’est de la communication politique. Cela ne change strictement rien au montant total de la dette ».

De son côté, Mathieu Plane rappelle qu’une partie du surplus de dettes lié au coronavirus pourrait être mutualisé par les pays européens. Le plan européen de relance exceptionnel de 750 milliards d’euros, annoncé en juillet par les chefs d'Etat et de gouvernement européens, prévoit ainsi 390 milliards d’euros de subventions pour les Etats les plus frappés par la pandémie et 360 milliards d'euros de prêts pour les pays demandeurs.

Mais vu la gravité de la crise qui touche l’ensemble des pays européens, ne serait-il pas envisageable d’effacer la dette liée au coronavirus, comme le suggère le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon ?

« Les citoyens risqueraient de perdre confiance dans la monnaie, comme on l’a vu dans certains pays où, pour payer, les gens devaient transporter des billets dans des brouettes parce que la monnaie avait perdu sa valeur », répond dans un entretien au Monde, Fabio Panetta, membres du directoire de la BCE. « La dette que nous accumulons sera et doit être remboursée », a rappelé début novembre le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt en annonçant la création d’un groupe de travail composé d'experts pour réfléchir aux pistes de rétablissement des finances publiques. Selon lui, la France doit « reconstruire une trajectoire des finances publiques qui soit à la fois crédible dans le temps et solide pour garder notre crédibilité sur les marchés financiers ». Le Fonds monétaire international insiste d’ailleurs sur le fait que cet « effort d'assainissement des dépenses » ne devait être entrepris qu'une fois la reprise « bien engagée », quand l'activité aurait « globalement retrouvé son niveau d'avant la crise ».

Mais diminuer la dépense publique est loin d’être facile, surtout dans un contexte social hautement inflammable. « En 2021, on risque d’avoir une situation très dégradée avec une montée de la pauvreté, des difficultés croissantes pour les jeunes. Le système social est un rempart. Je ne vois pas comment il serait possible de tailler dans les dépenses de santé ou d’éducation par exemple. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de marge de manœuvre. Faire des économies, au-delà des slogans politiques, c’est souvent plus compliqué que ce que l’on croît », rappelle Mathieu Plane.

Si on rembourse, faudra-t-il augmenter les impôts ?

Reste une dernière piste : les hausses d’impôts. Pour l’instant, l’exécutif s’y refuse. Pas question d’entamer encore un peu plus la confiance des ménages. Même si ce n’est pas la priorité du moment, c’est l’option la plus probable. Selon Mathieu Plane, « les épargnants sont les candidats naturels ». En effet, le surplus d’épargne accumulée par une partie des ménages dutant le confinement est chiffré à quelque 100 milliards d’euros rien que sur 2020 par la Banque de France. « La crise va creuser les inégalités de patrimoine. Ce qu’il faut, c’est demander un effort à ceux qui le peuvent et à ceux qui ont profité de la crise », explique la députée socialiste Christine Pires Beaune qui suggère ce jeudi dans Le Monde un retour de l’ISF. Les Français d’ailleurs anticipent déjà une hausse des taxes. Dans le même article, Frédéric Dabi de l’institut de sondage Ifop souligne que « 86% ont déjà intériorisé que ces milliards seront payés par des hausses d’impôts ».