Dans un référé daté du 12 décembre mais rendu public avant-hier, la Cour des comptes critique le relèvement, en 2012 et 2013, des plafonds du Livret A et du LDD, et s’inquiète de la fragilité du fonds d’épargne, qui gère la manne de l’épargne réglementée.

Un relèvement des plafonds de versements inutile ; un modèle économique fragilisé ; une utilisation du fonds d’épargne contestable pour financer les collectivités locales : c’est en substance les trois principaux reproches adressés par la Cour des comptes au gouvernement concernant le Livret A et l’usage de ses fonds au cours des dernières années.

Pour mémoire, une part essentielle de l’argent placé par les Français sur leurs Livrets A, Livrets de développement durable (LDD) et Livrets d’épargne populaire (LEP) - 238 milliards d’euros sur les 396 milliards fin 2015, selon la Cour des comptes - est centralisée au sein du fonds d’épargne, géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), dont la mission principale est de financer le logement social et les opérations liées à la politique de la Ville.

Tout savoir sur le fonctionnement du Livret A

« Bilan très mitigé » du relèvement des plafonds

Le candidat Hollande l’avait promis, il l’a fait : élu président de la République en 2012, François Hollande avait fait relever le plafond de versement du Livret A (de 15.300 euros à 22.950 euros, en deux fois) et le plafond du LDD (de 6.000 à 12.000 euros). La Cour des comptes estime que le bilan de cette mesure, présentée à l’époque comme un effort en faveur de l’épargne populaire, est « très mitigé ». Le succès a pourtant été au rendez-vous : le Livret A et le LDD ont connu en 2012 et 2013 les meilleures collectes de leur histoire. Mais « ce sont (…) les détenteurs de Livret A les plus aisés qui en ont bénéficié », constate l’institution.

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Surtout, cette collecte supplémentaire a eu un coût non négligeable pour l’Etat, l’épargne réglementée étant net d’impôts et de prélèvements sociaux. « La dépense fiscale et sociale associé est passée de 0,9 milliard d’euros à 1,5 miliards entre 2011 et 2012, puis à 2 milliards en 2013 », estime la Cour des comptes. Pourtant, cette collecte n’a pas profité au logement social : en effet, dès 2013, « les ressources supplémentaires (…) ont été restituées aux banques par une modification des modalités de centralisation de l’épargne réglementée », rappelle l’institution. « Cette restitution quasi-immédiate atteste que le fonds d’épargne répondait en fait, dès avant le relèvement des plafonds, aux besoins de financement des organismes de logement social (…) ».

Un modèle économique « fragilisé »

En ce qui concerne le Livret A, l’Etat poursuit « des objectifs contradictoires » estime la Cour des comptes. D’un côté, il maintient artificiellement le taux du Livret A au-dessus de son taux théorique, en n’appliquant pas la formule de calcul réglementaire ; de l’autre, il met en œuvre « une politique de financement des logements les ''plus sociaux'', au moyen de prêts tarifés au-dessous du coût de la ressource ». Résultat : « les nouveaux prêts au logement social octroyés en 2014 l’ont été avec une marge quasi-nulle », note Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, dans le référé.

Cet état de fait, auquel s’ajoute un contexte macroéconomique défavorable, fragilise le modèle économique du fonds d’épargne qui, « dépourvu d’actionnaire », doit être en mesure de « dégager chaque année les fonds propres nécessaires à la croissance de son activité » et de « rémunérer l’Etat pour la garantie, nécessaire à son modèle, qu’il lui octroie ».

Un usage à recentrer sur le logement social

La réglementation veut que le fonds d’épargne soit utilisé « en priorité » pour le financement du logement social. Mais depuis 2004, un autre usage est apparu puis s’est généralisé avec la crise financière de 2008 : le financement des collectivités locales. « Cette offre, initialement limitée à de enveloppes thématiques, ouvertes pour une période et un objet limités, s’est généralisée à des financements destinés à l’ensemble des collectivités locales avec un objet large, de maturité longue (…) », constate la Cour des comptes.

Cet usage, bien sûr, s’est développé pour pallier une « défaillance de marché » : en pleine crise, les banques ont en effet fermé les vannes du crédit. Le fonds d’épargne a donc pris le relais, au même titre que d’autres acteurs publics comme la Société de financement local (SFIL) ou la Banque européenne d’investissement. Résultat : alors que les banques ont fait leur retour sur ce marché, on assiste aujourd’hui à une « surabondance de fonds publics » qui crée notamment « un risque d’éviction du secteur privé (…) » et constitue « un facteur incitatif au recours à un endettement excessif », craint la Cour des comptes.

La Cour des comptes demande donc au gouvernement de mettre en place une « doctrine d’emploi du fonds d’épargne, satisfaisant la double exigence d’une activité d’intérêt général et de l’existence d’une défaillance de marché ».

Bercy : message reçu

Michel Sapin a entendu le message de la Cour des comptes, qui préconise notamment « une plus grande stabilité du cadre réglementaire applicable au fonds d’épargne ». Dans un courrier adressé à Didier Migaud, le ministre de l’Economie explique qu’il partage le diagnostic de l’institution de la rue Cambon sur la fragilité du modèle économique et estime « nécessaire de rééquilibrer la gamme des prêts de fonds d’épargne afin de préserver ses marges pour l’avenir (…) ».

Il réaffirme également le rôle nécessairement limité du fonds d’épargne dans le financement des collectivités locales. Michel Sapin promeut par ailleurs sa récente réforme de la formule de calcul du taux du Livret A, de nature à limiter l’écart avec les taux du marché. Il note enfin la recommandation de la Cour des comptes « d’envisager avec la plus grande prudence toute nouvelle augmentation des plafonds des livrets d’épargne réglementée ».