Avez-vous remarqué qu'une nouvelle ligne, le « montant net social », a fait son apparition sur votre bulletin de salaire depuis l'été 2023 ? Si jamais vous faites partie des salariés ayant droit à la prime activité de la CAF, en complément de vos modestes ressources mensuelles, cette nouveauté d'apparence technique pourrait vous faire perdre des dizaines d'euros par mois...

A partir du 1er janvier 2024, le « montant net social » apparu voici quelques mois sur vos fiches de paie sera le seul et unique montant accepté par les CAF pour toute demande de RSA ou prime d'activité. Ce montant net social sera transmis automatiquement par les employeurs aux administrations. Objectif affiché : la simplicité. Conséquence collatérale : le mode de calcul du montant net social va indirectement réduire votre prime d'activité. Voici pourquoi, en 5 questions.

1 - Ce nouveau « montant net social », c'est quoi ?

Version courte : une version harmonisée de tous les salaires pour éviter les confusions de ressources à déclarer à la CAF pour demander RSA ou prime d'activité. Avec l'apparition de cette nouvelle ligne sur votre bulletin, « les allocataires pourront le repérer facilement et sans besoin de calculer eux-mêmes le bon montant à déclarer », explique le ministère des Solidarités dans un document publié juste avant l'entrée en vigueur de ce montant net social en juillet.

A partir de janvier 2024, les employeurs ont obligation de transmettre ce montant net social aux administrations, et donc indirectement à votre CAF. A terme, vos déclarations CAF pour la prime d'activité seront préremplis, « comme la déclaration d'impôts », appuie le ministère.

Version longue : quelle différence entre ce montant net social et votre salaire net à payer avant impôt ? Par rapport à votre salaire net habituel, « on ajoute par exemple l'intéressement versé, la prime de partage de la valeur [PPV, la “prime Macron”, NDLR], etc., des éléments qui normalement ne sont pas soumis à cotisations et concernent la PPV notamment non pris en compte dans le net imposable », explique Estelle Trichet, co-responsable du groupe de travail social de Walter France, réseau d'expertise-comptable. AU premier abord... cette nouveauté est « technico-technique ». Mais...

Nouvelle fiche de paie : c'est quoi ce nouveau « montant net social » ? A quoi sert-il ?

2 - Qu'est-ce qui change dans le calcul de la prime activité ?

Rien dans le mode de calcul en lui-même. La très complexe formule déterminant cette aide mensuelle soutenant les petits salaires aboutit sur une moyenne de 188 euros à la fin juin 2023. Mais d'un foyer à un autre et d'un ou une salariée à une autre, la formule (montant forfaitaire de 595,25 euros + 61% de vos salaires + les bonifications individuelles - toutes les ressources du foyer) peut aussi bien donner une aide mensuelle se comptant en dizaines qu'en centaines d'euros.

Quelle prime d'activité, si vous gagnez...
(sans autres ressources)
Salaire net mensuelMontant de la prime
1 000 €282 €
Smic (1 383 €)227 €
1 800 €66 €
2 000 €

Source : simulations (théoriques) effectuées sur le simulateur officiel de la CAF pour une célibataire sans enfant, sans aucune autre ressource que le salaire net évoqué, fin novembre 2023.

« Quel revenu minimum pour avoir droit à la prime d'activité de la CAF ? »

D'un point de vue pratique et déclaratif, le montant net social vous simplifie la vie : nul besoin d'hésiter sur la ligne du bulletin à reporter sur la déclaration trimestrielle de ressources (DTR) de la CAF. Et les multiples erreurs de déclaration justifient cette harmonisation : « Le problème de remplissage des ressources est généralisé », expliquait Servane Martin, chargée de mission branche famille et délégation Cnaf à l'Unaf (Union nationale des associations familiales), en juillet dernier à MoneyVox. Désormais, tous les salariés vont déclarer ce montant net social, et non le salaire net à payer. Et les CAF pourront le vérifier grâce à une transmission automatisée.

« Mathématiquement, si les revenus déclarés à la CAF augmentent, la prime d'activité accordée diminue »

3 - Pourquoi le montant net social bouscule le calcul de la prime d'activité ?

« Avant la mise en place du montant net social, seuls les revenus soumis à l'impôt sur le revenu, les revenus de remplacement, les APL et les pensions alimentaires étaient utilisés par les CAF pour calculer le droit au RSA et à la prime d'activité », rappelle Eric Gautron, secrétaire confédéral de Force ouvrière (FO) en charge de la protection sociale collective.

Dans sa première version, celle de l'été 2023, le montant net social ajoutait à cela « la part salariale au financement des tickets restaurant, l'ensemble des cotisations à la protection sociale complémentaire (hors « frais de santé »), la participation des employeurs aux chèques-vacances et au financement des services à la personne (y compris la part exemptée socialement), etc. »

« Mathématiquement, si les revenus déclarés à la CAF augmentent, la prime d'activité accordée diminue », explique Eric Gautron à MoneyVox. « On a au départ une bonne intention : lutter contre le non recours » en simplifiant la démarche et en visant, à long terme, une attribution automatique de la prime d'activité, sans démarche contraignante. Mais cet objectif à très long terme a, à court terme, des effets collatéraux négatifs. Eric Gautron fait un parallèle : « Quand on a voulu simplifier les APL, de nombreux allocataires se sont retrouvés perdants... »

4 - Qu'a changé la récente correction du montant net social ?

Le gouvernement a déjà tenté de rectifier le tir. Si vous suivez ce dossier assidûment, alors la nouvelle ne vous a pas échappé : le 14 novembre, le bulletin officiel de la Sécurité sociale (BOSS) a mis à jour sa définition du montant net social. Principale évolution : la suppression des contributions aux contrats de prévoyance ou de retraite supplémentaire du cadre du salaire net social.

« On se retrouvait avec des salariés pouvant voir diminuer leurs droits aux aides sociales dès lors que l'on négociait des droits complémentaires, comme la mutuelle d'entreprise, la prévoyance lourde... Or c'est de l'argent qui ne se mange pas ! », s'offusque Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT.

« Ce n'est pas acceptable. Car cette diminution des revenus ne touchait que les salariés qui avaient des prestations sociales », autrement dit les plus modestes, les salariés aux plus faibles rémunérations, ce qui ouvre droit à la prime d'activité en particulier. « On a protesté. On a réussi à faire retirer tous les éléments », ajoute Jocelyne Cabanal.

« En intégrant les primes crèche ou aides garde d'enfant dans le montant net social, on va pénaliser les mères célibataires en faisant diminuer leur prime d'activité »

Tous ces éléments alourdissant le salaire net social... à quelques exceptions près. « On continue à demander le retrait de tout ce qui concerne les politiques d'égalité hommes-femmes : les aides garde d'enfants versées par l'employeur ou le CSE [comité social et économique], les primes crèche, etc. », explique Jocelyne Cabanal. « Les CSE vont soutenir des familles monoparentales, donc souvent des femmes... En intégrant ces aides dans le montant net social, on va les pénaliser en faisant diminuer leur prime d'activité. »

Même son de cloche, celui d'une correction incomplète ou insuffisante, du côté d'Eric Gautron, du syndicat FO : « Malgré cette mise à jour mi-novembre, les allocataires y sont encore de leur poche ! Dans l'assiette prise en compte, il reste en particulier les tickets resto et chèques vacances. Ce n'est pas à considérer comme des revenus mais comme des prestations sociales. »

« Dans l'assiette prise en compte, il reste les tickets resto et chèques vacances. Ce n'est pas à considérer comme des revenus mais comme des prestations sociales »

5 - « Combien je risque de perdre sur ma prime d'activité à cause de mes tickets resto ? »

Les syndicats CFDT et FO ont réalisé des simulations sur l'impact du montant net social sur la prime d'activité. Avant la récente mise à jour du salaire net social, la CFDT estimait à « 65 euros par mois » la « perte de pouvoir d'achat » pour une salariée avec un « net à payer avant impôt de 1 599 euros et un net social qui s'élève à 1 765 euros ». Ou un autre exemple de 19 euros en moins par mois pour une salariée proche du Smic.

Et maintenant, après la correction ? Le syndicat FO a livré à MoneyVox deux exemples mis à jour, en les centrant sur la problématique des titres-restaurant :

Exemple 1 : un salarié au Smic (1 383,09 euros nets) célibataire sans enfant, avec un « ticket restaurant à hauteur de 10 euros, son employeur prend en charge 60%, donc 6 euros, le salarié paie 4 euros. Au lieu de 1 383,09 euros de salaire net à déclarer à la CAF, ce salarié au Smic va déclarer 1 467,09 euros en septembre et novembre (84 euros de part salariale titre-restaurant) et 1 471,09 euros en octobre (88 euros de part salariale titre-restaurant). Résultat de la prime d'activité, avec le simulateur CAF : 227 euros par mois avant... et 194 euros par mois avec le montant net social. Soit une perte de 33 euros sur la prime de la CAF, chaque mois.

Exemple 2. « La différence va s'alourdir dans plusieurs autres situations, notamment si le montant de titre-restaurant est plus élevé, si la part employeur n'est que de 50% et si on n'a pas de jour férié dans le mois », explique Eric Gautron. Pour une salariée au Smic avec 50% de part employeur, la perte mensuelle estimée est cette fois de 49 euros !

Une nouvelle évolution possible du montant net social avant janvier 2024 ?

« Aucune négociation » n'est ouverte sur le montant net social entre gouvernement, organisations patronales et syndicats de salariés, comme le répètent les syndicats. Si FO ou la CFDT se félicitent de la mise à jour de la mi-novembre, tout en appelant de leurs vœux une autre mise à jour, ils insistent sur le fait que ces revendications ne passent pas par une discussion officielle mais uniquement par une pression indirecte, notamment en prenant la parole dans les médias.

Seule évolution possible d'ici 2024 : une deuxième mise à jour du bulletin officiel de la Sécurité sociale, corrigeant les aspects évoqués sur les titres-restaurant, les chèques-vacances, les aides garde d'enfants ou autres primes crèche accordées par l'employeur.

Contactée, la Caisse nationale des allocations familiales renvoie « à ce stade » du dossier « montant net social » vers le ministère des Solidarités et des Familles... qui n'a pour l'heure pas donné suite à nos multiples demandes.