Une bonne surprise dans cette période morose : votre compte bancaire est, peut-être, plus que jamais dans le vert grâce au confinement. Que faire de cette « épargne surprise » ? La placer ? La conserver en cas de coup dur ? Le point, en 8 questions.

1 - Combien les Français ont-ils « mis de côté » ?

Indépendants, artisans, salariés en contrats courts, saisonniers… La liste (non exhaustive) des Français durement touchés par la crise du Covid-19 est longue. Mais, paradoxalement, de nombreux ménages ont massivement « épargné » lors du confinement. « Le phénomène d’épargne forcée, voire d’épargne surprise, s’explique principalement par chute de la consommation alors que les revenus ont été partiellement préservés », explique Cyril Blesson, associé au sein du cabinet Pair Conseil, qui édite les Cahiers de l’Epargne.

Sur le seul mois de mars, les Français ont stocké près de 14 milliards d’euros supplémentaires sur leurs comptes bancaires. Les statistiques officielles et globales sur l’épargne à la fin du confinement ne sont pas encore disponibles mais le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a lui-même estimé le 6 mai devant l’Assemblée nationale que cette « épargne forcée » des Français devrait atteindre « une soixantaine » de milliards d’euros.

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2 - Où ont-ils stocké cet argent pendant le confinement ?

Le produit financier ayant amassé les plus grosses sommes, en mars, est de loin le compte courant. Derrière lui : les Livrets A et Livrets de développement durable, qui ont amassé 3,8 milliards d’euros supplémentaires. Plus grosse collecte nette (hors cas particulier du versement des intérêts en janvier) depuis 2009 ! Les livrets bancaires « classiques », hors épargne réglementée, ont eux capté 2,3 milliards d’euros.

En revanche, aucun mouvement notable n’est à signaler sur les Plans d’épargne logement (PEL) en mars. Et, a contrario, les Français ont choisi de piocher dans leur assurance vie, qui accuse une décollecte de 2,2 milliards d’euros en mars. La bourse ? Le gendarme bancaire note certes l’intérêt de nouveaux boursicoteurs, mais de façon marginale face à la masse des épargnants français.

En résumé : pendant le confinement, les Français ont privilégié l’épargne de précaution, disponible rapidement en cas de coup dur. Ou tout simplement choisi de laisser cet argent dormir sur leur compte courant : « Nous n’avons pas attendu le Covid-19 pour constater des flux records sur les dépôts à vue : c’est avant tout la conséquence des taux bas », analyse Cyril Blesson. « Entre un Livret A à 0,50% et un compte courant à 0%, certains ne voient pas l’intérêt de placer leur argent. »

3 - Quels seront les placements privilégiés lors des prochains mois ?

Quel produit pourrait « gagner » la confiance des Français face à la crise ? L’économiste Cyril Blesson insiste sur le caractère exceptionnel de cette crise : les placements « préférés » ne seront pas les mêmes que d’habitude ! « Le marché du crédit immobilier s’est tari et, indirectement, cela change la donne pour le marché des placements financiers qui est habituellement en partie alimenté par le crédit habitat et la vente des biens immobiliers. Or la plus-value réalisée par les vendeurs, éventuellement nouveaux retraités, est souvent placée en assurance vie. Les crédits font les dépôts ! Là, les placements forcés proviennent clairement des revenus et non d’une vente immobilière dans l’ancien ! »

Cyril Blesson insiste sur le fait qu’il s’agit d’une épargne transitoire, « presque contrainte » : « Elle devrait principalement profiter à l’épargne liquide, receptacle habituel de l’épargne de précaution : les livrets, les dépôts à vue [les comptes courants, NDLR]… » Un constat partagé par Marc Tempelman, cofondateur de Cashbee, qui constate un boom des sommes épargnées via son application mobile (13 millions d’euros en 2020 contre 2 millions de septembre à décembre 2019) : « Pour l’heure, la crise favorise surtout les comptes courants et les livrets. Il est probable qu’elle favorise aussi, dans les prochains mois, les fonds en euros de l’assurance vie. »

4 - Trois mois de salaire sur un Livret A : est-ce une épargne de précaution suffisante en temps de crise ?

Conserver environ un mois de dépenses sur votre compte courant, puis 2 à 4 mois sur un livret : tel est le conseil largement répandu concernant l’épargne de précaution, pour y piocher en cas de coup dur. Cette règle vaut-elle toujours face au Covid-19 ? « Tout dépend de la situation », répond Marc Tempelman, co-fondateur de Cashbee, application d’aide à l’épargne régulière. « Quelqu’un qui est au chômage partiel dans la restauration a probablement raison de gonfler son épargne de précaution. En revanche, si votre emploi n’est pas menacé, il n’est pas nécessaire de changer cette règle : 2 à 4 mois en épargne de précaution, sur un livret. »

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5 - Que faire du surplus, une fois l’épargne de précaution constituée ?

Dans l’idéal, si vous avez plus de 4 mois de revenus sur votre Livret A, et si votre emploi n’est pas menacé, vous pouvez viser d’autres types de placements, comme l’explique Marc Tempelman, de Cashbee : « Sur des placements à plus long terme et potentiellement plus rémunérateurs, comme l’assurance vie, un PEA, de l’épargne retraite… Ce serait le plus rationnel, même si l’on peut comprendre que certains choix soient guidés par l’émotion actuellement. »

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6 - Que proposent les banques pour cette « épargne forcée » ?

« Nous n’avons pas communiqué auprès de nos clients précisément sur le fait de les inciter à allouer leurs (éventuelles) économies récentes sur un produit particulier », répond BforBank. « [Notre] rôle n’est pas de conseiller un produit plutôt qu’un autre », ajoute Fortuneo. Les différentes banques interrogées insistent bien plus sur l’accompagnement offert à leurs clients faisant face à des difficultés financières (frais annulés, etc.) liées à la crise, notamment car le conseil en placements financiers est très strictement encadré : « Nous proposons à nos clients une démarche d’approche globale de leur patrimoine via Trajectoires Patrimoine, répond par exemple le Crédit Agricole. C’est un peu plus difficile en ce moment mais nous pensons que les entretiens vont pouvoir à nouveau se développer dans les semaines à venir. » Le Crédit Mutuel de Bretagne appuie lui aussi sur l’importance de la « personnalisation de la relation et surtout la disponibilité des conseillers ».

7 - Banques et assureurs vont-ils devoir revoir leur offre ?

Difficile à dire. Mais certains produits s’adaptent mal au contexte actuel. La Société Générale a par exemple annoncé qu’elle va renoncer à certains fonds structurés, ces placements fondés sur la promesse d’un rendement… sauf en cas de forte chute des marchés.

Les assureurs pourraient aussi être contraints de revoir leur politique commerciale : ils incitent actuellement très ouvertement leurs clients à privilégier les unités de compte, sans garantie en capital, aux fonds en euros, plus sécurisés. Or, « les épargnants vont rechercher au moins une garantie en capital », relève Cyril Blesson, de Pair Conseil. « Cela devrait être favorable au fonds en euros. Nous n’avons pas encore constaté de chute de la collecte sur les unités de compte mais nous ne disposons que d’informations à la fin mars… La logique voudrait que les assurés se détournent des unités de compte pour favoriser le fonds en euros. S’ils ne le font pas, cela s’expliquera surtout par l’effet d’offre négatif des assureurs. J’ai peur que le choc sur la collecte en assurance vie soit tel que les assureurs ne soient contraints de revoir leur politique d’incitation aux unités de compte. » Pour permettre, à nouveau, aux épargnants de miser à 100% sur les fonds sans risque de l’assurance vie ?

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8 - Le gouvernement va-t-il vous contraindre à dépenser ou épargner « utile » ?

Le souhait du gouvernement est limpide : que l’épargne accumulée soit dépensée et vienne à nouveau rebooster l’économie. « Pour retrouver les chemins des commerces, il faut qu’ils le puissent et qu’un minimum de confiance soit restauré », observe toutefois l’économiste Philippe Crevel, dans les Dossiers du Cercle de l’Epargne.

Le gouvernement pourrait-il être tenté de taxer l’épargne pour forcer à la consommation ? « La taxation de l’épargne serait assez contreproductive, juge Philippe Crevel. Au-delà des tentations dirigistes, une réflexion sur une meilleure corrélation entre avantages fiscaux et prises de risques en matière d’épargne serait peut-être plus utile. Actuellement, tous les compartiments de l’épargne française bénéficient d’avantages fiscaux, du court terme au long terme, ceux avec risques comme ceux sans risque. » Bref, cesser de favoriser le Livret A, par exemple. Mais le sujet n’apparaît pas prioritaire aux yeux de Cyril Blesson, de Pair Conseil : « La priorité du gouvernement sera plutôt de redonner le goût de consommer. Même si la sur-épargne ne sera pas intégralement consommée quand nous sortirons de cette crise. »

Rémunération de l'épargne : chiffres clés

  • Livret A et LDDS : 0,50%, les intérêts étant totalement défiscalisés.
  • Livret d'épargne populaire (LEP) : 1%, rémunération totalement défiscalisée.
  • Livrets bancaires classiques : en moyenne 0,14%, hors fiscalité, mais certaines offres de bienvenue permettent de bénéficier d'un taux boosté à 1% ou 2% pendant quelques mois.
  • Fonds en euros de l'assurance vie : en moyenne 1,40% en 2019, hors fiscalité.
  • Gestion pilotée (avec unités de compte) de l'assurance vie : jusqu'à 26% en 2019, pour des baisses souvent équivalentes début 2020.
  • CAC 40 : 4 737 points début 2019, 6 111 points le 19 février 2020, 3 755 points le 18 mars, 4 472 points le 12 mai.

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