Certains fournisseurs d'énergie sont épinglés pour avoir revendu à leurs clients de l'électricité au prix fort, pourtant acheté à prix bradé. Un tour de passe-passe qui a fait grimper la facture des particuliers, dénonce l'association de consommateurs CLCV. Explications sur cette pratique dans le collimateur des autorités.

+ 15% en février avant une prochaine hausse des prix de 10% en août, la période est rude pour les 21 millions de clients du tarif réglementé d'électricité (TRV) d'EDF. Mais ces consommateurs sont-ils, en plus, les victimes d'abus qui plombent encore plus lourdement leur facture ?

Début juillet, l'association de défense des consommateurs, CLCV, a demandé à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) de transmettre au procureur des informations qui portent sur des soupçons d'enrichissement de la part de certains fournisseurs alternatifs d'énergie qui profiteraient de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, dit Arenh. Celui-ci autorise l'achat à prix réduit (42 euros le mégawattheure contre près de 100 euros sur les marchés) de l'électricité nucléaire produite par EDF.

« Un impact considérable sur le tarif réglementé de l'électricité »

« La CLCV a calculé que pour 2022 la demande d'Arenh accréditée par la CRE (160 TWh) était trop élevée de 24 TWh (le besoin réel des fournisseurs alternatifs était de 136 TWh sur la base des volumes effectivement distribués en 2022). L'impact sur le tarif réglementé calculé par la CRE (soit avant bouclier) était de 16% (16 points) en 2022 ce qui est considérable, écrit l'association dans un dossier de presse. Pour 2023, en première estimation, la surestimation du guichet Arenh serait de l'ordre de 12 TWh et aurait eu un impact de l'ordre de 5% sur l'augmentation du TRV. »

Notons aussi qu'au cœur de la crise de l'énergie en 2022, c'est le gouvernement qui a demandé à EDF de libérer une plus grande part de sa production aux fournisseurs alternatifs pour éviter les hausses massives de prix.

A partir de ce constat, deux choses se télescopent : une surévaluation des besoins lors de la commande annuelle que les acteurs alternatifs doivent ensuite rembourser et des soupçons d'abus volontaire par certains fournisseurs de rachat d'électricité produite par EDF qui s'apparente à de la fraude dans le but de s'enrichir au détriment du consommateur.

Les commandes de fournisseurs alternatifs remises en cause par la CRE

« Plus les concurrents d'EDF déclarent des volumes importants, plus le tarif réglementé, auxquels sont encore abonnés les trois-quarts des ménages français, sera élevé », répète François Carlier, le délégué général de la CLCV, en écho aux estimations citées plus haut.

Cette surcommande, par rapport au niveau de la production d'EDF, est aussi appelée écrêtement. Plus il est important, plus EDF doit acheter à plein tarif sur les marchés pour honorer ses engagements contractuels. Mais ces prix plus elevés que ceux négociés dans le cadre de l'Arenh influent sur le niveau du TRV et le consommateur en sort perdant.

Surestimé ses besoins en électricité n'est pas interdit et il est prévu chaque année que la CRE fasse un contrôle avant l'été. On parle du complément de prix (CP1 et CP2) que reversent les fournisseurs alternatifs lorsque leur commande a été trop importante. « On ne connait évidemment nos besoins réels qu'une fois l'année écoulée et nous remboursons intégralement ce que nous avons perçu - 300 000 euros en 2023 - , explique le fondateur d'Ekwateur Julien Tchernia à MoneyVox. Nous payons même une pénalité supplémentaire si l'excès est important. »

Selon Hellio et Ekwateur, c'est simplement la crise du secteur de l'énergie qui n'a pas permis de développer leur portefeuille clients comme espéré. L'estimation pour l'année à venir doit être établie en novembre. Selon les fournisseurs cités ci-dessus les différences entre la demande et la réalité sont « dérisoires » et n'ont conduit à aucune plus-value. Un observateur du secteur souligne néanmoins qu'en novembre 2022 (pour 2023) il était tout à fait possible de prévoir que le marché de l'électricité n'allait pas s'emballer et que les ménages resteraient chez leur fournisseur, surtout s'ils y étaient couverts par le bouclier tarifaire.

Pourtant, trois fournisseurs d'électricité - Blanka, une filiale d'Ekwateur, ComparElec et Hellio Solutions - ont été rappelés à l'ordre par le Cordis (Comité de Règlement des Différends et Sanctions) de la CRE, et ce pour avoir surestimé leurs besoins en électricité produite par EDF. La présidente du gendarme de l'énergie, Emmanuelle Wargon a même parlé « d'écart significatif » et souligné à l'adresse des fournisseurs que « s'ils ne respectent pas les règles, ils seront immédiatement rappelés à l'ordre. » Au final, Blanka a dû réduire sa demande de 90%.

En 2022, la CRE a « procédé à 11 relances et 4 enquêtes », sur des fournisseurs ne représentant cependant que « 0,5% du marché de détail de l'électricité ». Pour 2023, la CRE a déjà « effectué 14 corrections et 3 saisines du Cordis », selon rapport du Sénat qui pointe que 72 fournisseurs alternatifs ont surévalué leurs besoins en 2022 pour un total de 1,6 milliard d'euros.

L'abus d'Arenh permet un enrichissement des fournisseurs malveillants

Car ce que Ekwateur ou Hellio craignent par-dessus tout, c'est de voir leur nom associé à l'abus d'Arenh qui est une pratique répréhensible contre laquelle la CLCV en appelle, cette fois, au procureur de la République. De quoi parle-t-on ?

Des fournisseurs malveillants font « le plein de clients grâce à des prix très attractifs au printemps avant de liquider leur portefeuille à l'automne » et de les pousser vers les TRV d'EDF, explique Julien Tchernia à MoneyVox. Un procédé que confirme Vincent Maillard de chez Octopus energy. Plus un fournisseur dispose de clients, plus il est en mesure, en théorie, de leur faire profiter de cette énergie nucléaire à prix bradé. Donc, grâce aux clients du printemps, ils perçoivent de l'Arenh à 42 euros le megawattheure qu'ils revendent au prix fort sur les marchés pour réaliser une jolie culbute, après avoir conseillé à leur client de retourner chez EDF, au TRV, sous peine de voir leur facture s'emballer.

Par exemple, plusieurs fournisseurs comme Ohm Energie et Mint Energie ont pratiqué des tarifs ultra attractifs entre avril et début août 2022 avant de faire exploser leurs prix de 80%. Ils ont même été nommément pointés du doigt par le médiateur de l'énergie. Sollicité par MoneyVox, ce dernier n'a pas voulu faire de commentaires complémentaires sur ces pratiques qui pénalisent et fragilisent les consommateurs.

Selon Vincent Maillard, « ces fraudeurs représentent une petite part du secteur et pénalisent peu de consommateurs car ils ont peu de clients. Pour autant, ils pèsent sur l'Arenh et le calcul du TRV. Seule la CRE a les chiffres précis pour déterminer les effets sur le consommateur. Le raisonnement de la CLCV est juste mais je ne sais peux pas juger les pourcentages donnés. Mais les estimations me semblent hautes. »

Cette situation pèse non seulement sur la facture des 21 millions de clients au tarif réglementé d'EDF, mais aussi sur les clients des fournisseurs alternatifs qui ont un contrat basé sur l'évolution du tarif réglementé.

Début juillet, lors des conclusions de l'enquête menée au Sénat, entre 25 propositions, les rapporteurs se sont entendus sur une révision du mécanisme de l'Arenh, le renforcement des contrôles et sanctions, la consolidation des obligations des fournisseurs en termes d'informations ainsi que l'amélioration de la protection des consommateurs. Comment ?Introduire « une logique de name and shame » pour alerter les clients sur les mauvais fournisseurs alternatifs.