La loi Pacte a fêté ses 3 ans. Parmi les mesures phares figurait la réforme de l'épargne retraite et la création du PER. Un plan censé être plus souple, plus simple et surtout transportable d'un établissement financier à un autre au fil de la vie de l'épargnant. La promesse de la portabilité intégrale est-elle tenue ? Voici les obstacles qui empêchent la fluidité des démarches voire qui bloquent certains transferts.

Quasiment 3 ans que les épargnants ont la possibilité de transférer et rassembler en un seul produit leur épargne retraite. Une large part des plus de 4 millions de nouveaux PER proviennent ainsi d'une transformation d'anciens plans d'épargne retraite, les Perp et autres Madelin. Mais quid des « vrais transferts », d'une banque à une autre, ou d'un assureur à un courtier qui, eux, ne représentent qu'une faible part (moins d'un PER sur 10) du nombre de Plan d'épargne retraite (PER) ouverts ?

Comment expliquer que ces transferts censés être facilités par la loi Pacte ne soient pas plus nombreux ? Les explications et obstacles sont légion. Fonds bloquant ou ralentissant le transfert, informations parcellaires dans les documents échangés entre les gestionnaires concurrents, nécessité de relancer plusieurs fois pour les compléter, etc. La promesse d'une portabilité intégrale du PER pourra-t-elle un jour être réellement exaucée ?

Des délais de transfert qui dépassent la limite

Si votre courtier vous annonce un délai compris entre 3 et 5 mois pour le transfert de votre épargne retraite, cela peut vous paraître beaucoup. Et pourtant, ce n'est pas le pire ! MoneyVox a interrogé une quarantaine d'acteurs sur les transferts de produits d'épargne retraite vers les nouveaux PER. Sous couvert d'anonymat, certains courtiers, qu'ils soient acteurs historiques ou nouveaux venus dans l'épargne retraite, annoncent des durées de transfert pouvant aller jusqu'à 16 mois.

« Les 4 mois courent à partir de la réception d'un dossier complet. Or tout le monde n'est pas raccord sur les pièces nécessaires à un dossier complet. »

Pourtant il existe des délais légaux : 2 mois maximum pour transférer un PER d'un acteur à un autre, et 4 mois maximum (en comptant le délai de renonciation du client) pour migrer un vieux produit d'épargne retraite vers un nouveau PER. Sollicités par MoneyVox, Bercy et la fédération France Assureurs soulignent justement le fait qu'il existe déjà un délai légal.

Une autre fédération professionnelle, l'AFG, qui représente les gestionnaires d'actifs pilotant notamment l'épargne salariale orientée vers la retraite, se montre moins policée : « Parfois un délai plus long que cette limite légale se justifie car les 4 mois courent à partir de la réception d'un dossier complet, explique Alexis De Rozières, vice-président de la commission Epargne salariale Epargne retraite de l'AFG. Or tout le monde n'est pas raccord sur les pièces nécessaires à un dossier complet. » Et l'AFG d'ajouter : « Il parait nécessaire d'encadrer et de faire respecter les délais de manière stricte. »

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Des frais de transfert parfois décourageants

La loi Pacte prévoit l'absence de frais de transfert si le PER à migrer a plus de 5 ans. Sinon les frais sont limités à 1% de l'épargne accumulée. Un cadre qui semble satisfaire tout le monde...

Sauf que cette limitation des frais de transfert ne vaut que pour migrer un nouveau PER vers un assureur ou un gestionnaire concurrent. Vous voulez transférer un produit individuel (les Perp et Madelin) ou un produit d'épargne retraite en entreprise (Perco, Corem, Préfon, etc.) vers un PER ? Dans ce cas vous n'êtes exonéré de frais qu'au bout de 10 ans de détention. Avant cette échéance, les frais de transfert ponctionnés peuvent aller jusqu'à 5% de l'épargne accumulée. Un tarif bien plus pénalisant, suffisant pour refroidir les ardeurs de ceux qui veulent migrer leur épargne retraite... en attendent de passer ce cap des 10 ans.

Des progrès sur les autres frais

Qui prélève le moins de frais de gestion ? Et les frais de versement ? Pas facile pour les épargnants de comparer les frais des divers PER accessibles sur le marché. Bercy a signé un accord de place avec tous les producteurs de PER. Dès le 1er juin, un tableau unique des frais sera publié sur les sites internet des assureurs et autres gestionnaires d'épargne retraite (et d'assurance vie), « standardisé, simple, clair et lisible par tous », a promis le ministre de l'Economie Bruno Le Maire.

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Des fonds qui ne facilitent pas le transfert

Transférer votre épargne retraite revient avant tout à transférer l'enveloppe fiscale et donc vos avantages fiscaux. La loi Pacte permet théoriquement de transférer les actifs tels quels... mais, dans les faits, les supports investis sont eux systématiquement vendus avant le transfert de l'argent. Et la vente de certains fonds ralentit les démarches.

C'est le cas des fonds immobiliers (SCPI, SCI et OPCI), et plus particulièrement des SCPI, selon les témoignages que la rédaction a recueilli. Ils posent deux soucis : d'une part des frais de souscription (inclus dans le prix de départ) qu'il va falloir payer à nouveau ; d'autre part ils sont souvent plus longs à revendre.

Ce ne sont pas les seuls. Selon certains courtiers en « off », la présence de fonds structurés aboutit à une « position d'attente » : il va falloir attendre l'échéance prévue du fonds à formule pour pouvoir transférer.

1 PER = 3 compartiments : un facteur de ralentissement

Si vous rassemblez toute votre épargne retraite dans un PER, il peut alors être composé de trois compartiments accueillant les versements en fonction de leur catégorie : l'épargne volontaire (les versements en euros effectués par le titulaire), l'épargne salariale (intéressement, participation et compte épargne-temps) et l'épargne obligatoire (basée sur les cotisations de l'employeur ou du salarié au sein des entreprises qui ont mis en place un plan retraite obligatoire).

Or certains assureurs et gestionnaires ne proposent pas encore tous les compartiments dans leur PER. Et ce mix de trois compartiments peut allonger le délai de transfert, le temps de réinvestir les sommes de l'épargne salariale et obligatoire vers l'épargne volontaire.

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Des banques ou assureurs qui rivalisent de mauvaise volonté

Selon de nombreux témoignages concordants, certains établissements « perdants » font preuve de mauvaise volonté lors des transferts d'épargne retraite. La plus simple de ces techniques : utiliser uniquement du courrier papier quand un email accélérerait les échanges. Deuxième technique, du même acabit : « Les teneurs de compte n'acceptant pas les demandes de transferts sortants par signature électronique sans en avertir leurs investisseurs », se désole Charlotte Thameur, directrice conseil chez Yomoni. « Certains acteurs sont sur la défensive et préfèrent décourager le client en compliquant la démarche, confirme Alexis De Rozières, de l'AFG. Les obstacles sont multiples : la non-acceptation de la signature électronique, le fait de privilégier le courrier à l'email pour les échanges, le fait de réclamer une confirmation de la demande de transfert, etc. »

« Les obstacles sont multiples : non-acceptation de la signature électronique, privilégier le courrier, réclamer une confirmation... »

Autre témoignage de la mauvaise volonté : le sujet du bulletin d'information. Selon Charlotte Thameur, directrice conseil chez Yomoni, « il y a un vrai sujet récurrent autour du bulletin d'information (BI) que nous retrouvons aussi lors de transfert de PEA ». A quoi sert ce document d'ordre technique ? « C'est un peu la carte d'identité du placement et il retrace son historique depuis sa toute première ouverture, explique Charlotte Thameur. Si nous investissons les fonds sans ce document nous nous mettons en dehors de la réglementation. Entre les teneurs de compte qui font la sourde oreille, ceux mimant l'incompréhension ou encore les BI erronés c'est un temps considérable de perdu pour les investisseurs ». Ces « cartes d'identité » concernent aussi bien le PER bancaire, assurentiel, le PERP ou encore le Madelin.

En off, apparaît un ultime signe de mauvaise volonté : les disparités entre les bordereaux de transfert. Pourtant, comme l'affirme Bercy, « afin de faciliter les transferts, les fédérations de professionnels (France Assureurs, la FBF, l'AFTI et l'AFG) ont élaboré un bordereau de transfert qui a vocation à être utilisé pour les transferts de PER ». Cette tentative d'harmonisation n'a semble-t-il pas encore porté tous ses fruits : comme en témoignent plusieurs courtiers, les formats sont encore différents d'un assureur à un autre. Certains assureurs gèrent des contraintes techniques et informatiques propres et réclament ainsi des informations supplémentaires. L'harmonisation prend du temps...

Des solutions possibles ?

Pour permettre une meilleure fluidité des demandes de transfert, une même solution revient avec insistance dans les témoignages recueillis par MoneyVox : un accord de place entre les acteurs du marché... voire une loi ou un texte réglementaire si l'accord n'est pas suffisant. Même s'ils ont souhaité rester anonymes, certains s'interrogent. Si Bercy a été capable d'instaurer un processus clair et défini pour la mobilité bancaire, pourquoi ne pas faire de même pour la « mobilité retraite » ? « Les procédures pour investir sont claires, les procédures pour sortir devraient l'être tout autant », complète Charlotte Thameur.

« La loi Pacte a permis le transfert mais n'apporte pas de précisions, excepté pour les frais. C'est un produit récent et il y a un besoin d'accord de place entre les acteurs », explique Lotfi Lahiba, responsable épargne salariale et retraite chez Gay Lussac Gestion. En « off », certains spécialistes de l'épargne retraite évoquent même la possibilité de créer des API (comme pour le secteur de la banque) pour partager les informations du fameux bordereau pour des échanges standardisés.

« Il faudrait comme pour l'encadrement des frais du PER que Bercy se saisisse du sujet, avec France Assureurs, l'AFG et des associations d'épargnants », appuie Alexis De Rozières, vice-président de la commission épargne retraite de l'AFG. « Il faudrait surtout que le législateur force les acteurs de l'épargne retraite à s'engager sur une procédure commune. Et exiger une revalorisation des intérêts de retard en cas de délai dépassé. »

Les négociations s'annoncent ardues. En témoigne la réponse de la fédération France Assureurs, peu optimiste sur l'issue des tractations : « Un accord de place supposerait un consensus entre tous les acteurs, qu'ils soient assureurs mais aussi distributeurs ou gestionnaires d'actifs, afin de standardiser l'ensemble des procédures de transferts de PER. »