La semaine passée, le précurseur du crowdlending en France, Unilend, a annoncé sa fermeture. Un échec révélateur des limites du prêt participatif aux entreprises, ou bien des difficultés d’une seule et unique plateforme ?

Jusqu’à la fin de l’année 2015, Unilend a été le fleuron du prêt participatif aux TPE-PME en France. Le seul à s’être aventuré sur le marché du « crowdlending » (prêt par la foule) en visant le crédit aux entreprises dès 2013, avant même l’entrée en vigueur du cadre réglementaire du crowfunding, en octobre 2014. La disparition du pionnier et ex-leader est donc hautement symbolique ! Serait-ce le marqueur d’un marché sans avenir ? A chaud, après avoir ficelé la procédure extinctive de sa plateforme, le fondateur d’Unilend Nicolas Lesur s’est montré pessimiste : « Malheureusement, c’est un constat d’échec concernant le marché du crowdlending », a-t-il déclaré. Il estime que le marché s’est retourné à partir de 2015, quand la Banque centrale européenne (BCE) a lancé sa politique de rachats massifs d’actifs (QE) et baissé, à nouveau, ses taux directeurs. Les banques, volontiers prêteuses, ont alors rogné le marché des plateformes de crowdlending.

L’échec d’un marché ou de certaines plateformes ?

Ce constat n’est évidemment pas unanimement partagé dans la profession. « Ce n’est pas mort ! », réagit Benoît Granger, vice-président chargé des questions déontologiques au sein de l’association Financement participatif France (FPF), qui regroupe la plupart des plateformes de crowdfunding. « Le marché est effectivement devenu plus difficile et plus sélectif qu’en 2014. La vigueur des plateformes de crowdlending a poussé les banques à réagir, à s’améliorer sur la rapidité de traitement des dossiers de demandes de prêt de TPE et PME. Et les taux bancaires sont anormalement bas. Mais il ne faut pas pour autant en conclure que le marché n’existe plus. »

« Il ne faut pas virer au catastrophisme »

Du côté des plateformes, les réactions se partagent entre prudence et optimisme à toutes épreuves. Prudence par exemple du côté de Lendopolis, cette plateforme historique lancée par les fondateurs de KissKissBankBank ne souhaite pas « rebondir sur cette actualité ». Optimisme du côté du désormais leader incontesté du crowdlending (1) , Lendix, qui croit encore fermement en ce marché. « Il y a eu une réaction forte la semaine dernière suite à l’annonce de cette cessation d’activité : il ne faut pas virer au catastrophisme », réagit le président de Lendix Olivier Goy, qui nuance ensuite l’idée d’une déflagration : « C’est loin d’être la première fermeture de plateforme. Beaucoup ont mis la clé sous la porte sans même avoir lancé leur activité. Et ce ne sera pas la dernière. Mais c’est une fermeture triste et symbolique, effectivement : Unilend était la première plateforme à se lancer sur le marché du crowdlending. Nous avons été les deux premières à passer le cap des 20 millions d’euros collectés. Puis leur croissance s’est ralentie. »

PlateformesLancementMontant total prêtéCollecte 2018
LendixMars 2015174,5 millions d’euros*46,4 millions d’euros*
Credit.frMars 201533,6 millions d’euros13,6 millions d’euros
BoldenAvril 201513,5 millions d’euros8,8 millions d’euros
LendosphèreDécembre 201430,9 millions d’euros8 millions d’euros
LendopolisNovembre 201421,1 millions d’euros7,9 millions d’euros
WeShareBondsJuin 201610,5 millions d’euros6,5 millions d’euros
EnerfipJuillet 20159 millions d’euros4 millions d’euros
UnilendNovembre 201333 millions d’euros3,5 millions d’euros
PretUpJuin 20158,1 millions d’euros2,9 millions d’euros
Les EntreprêteursAvril 20163,9 millions d’euros1,9 millions d’euros
Source : statistiques publiques des plateformes, en intégrant les fonds collectés auprès d’acteurs institutionnels, et crowdlending.fr pour les statistiques non publiées.
* Les données ci-dessus ne concernent que les collectes en France. Au total (France, Espagne, Italie, Allemagne et Pays-Bas), Lendix a collecté 229 millions d'euros depuis sa création, dont 85 millions d'euros en 2018

L’échec du modèle « 100% foule » ?

En filigrane, derrière la disparition d’Unilend, certains voient la preuve que l’avenir du crowdlending se situe dans un modèle mêlant prêts de particuliers et financements de professionnels (fonds institutionnels, family offices, etc.). Après s’être longtemps attaché à se concentrer sur les prêteurs individuels, Unilend avait d’ailleurs fini par ouvrir la porte aux institutionnels, mais 2% seulement de sa collecte venait d’entreprises. « Malheureusement, le modèle consistant à parier quasi exclusivement sur la foule de particuliers prêteurs est difficile », avance Olivier Goy. Sa plateforme Lendix a souvent été pointée du doigt pour la faible proportion de particuliers (19% de prêteurs particuliers et 13% de particuliers « avertis »). Lui insiste sur ce modèle hybride qui rassure les particuliers, et qui permet de limiter l’incertitude des entreprises quant à la réussite de leur collecte : « Il y a des prêteurs ! Nous pouvons atteindre 3 500 prêteurs par projet. Nous devons même parfois gérer leurs frustrations de ne pas pouvoir investir sur les plus petits projets. »

« Comme sur tout marché de start-ups, certaines meurent. »

Sa vision est partagée par Yoann Coumes-Gauchet, cofondateur et directeur opérationnel de WeShareBonds. Cette plateforme a elle aussi rapidement choisi de s’écarter de l’idée originelle du « 100% foule » : la Banque Postale est entrée au capital fin 2016 et elle participe au financement des projets de PME présentés sur la plateforme par le biais de fonds d’investissement. D’autre part, contrairement à la plupart des plateformes de crowdlending, WeShareBonds n’est pas immatriculé IFP mais CIP (2). Le support des crédits n’est ainsi pas un contrat de prêt mais une obligation : « L’outil diffère mais le marché est le même, nous recherchons d’un côté des entreprises emprunteuses et de l’autre des investisseurs », coupe Yoann Coumes-Gauchet, qui voit l’arrêt d’Unilend comme le résultat d’un marché encore en pleine évolution : « Il y aura encore de la casse. Comme sur tout marché de start-ups, certaines meurent. Le financement des PME est un marché concurrentiel. »

Yoann Coumes-Gauchet insiste aussi sur le choix de financer les PME plutôt que les TPE, pour limiter les frais engagés par la plateforme sur de trop nombreux projets à petit montant. A l’image des tarifs affichés par les autres plateformes, le modèle économique de WeShareBonds repose sur l’importance des montants levés, et non sur le nombre de projets proposés : « Nous prenons 4% du montant levé par projet, et 1% du capital restant dû chaque année. »

La prime aux leaders

Sur ce marché concurrentiel, il n’y a donc pas de place pour les dizaines de plateformes créées entre 2014 et 2016. A ce jour, le registre unique des intermédiaires financiers Orias recense très exactement 200 sociétés ayant été immatriculées IFP, dont beaucoup de sociétés radiées. « Ça coûte cher de créer une plateforme ! », rappelle Olivier Goy, de Lendix, en faisant référence aux multiples petites plateformes s’étant positionnées sur ce marché. « On peut facilement créer un site basique, mais cela nécessite de forts investissements quand on veut investir dans l’analyse crédit, le recouvrement, le recrutement des emprunteurs ou une technologie propriétaire… »

« Ça coûte cher de créer une plateforme ! »

La phase de consolidation s'accélère. Un acteur comme Credit.fr affiche ainsi un développement exponentiel depuis qu’il a été racheté par la société d’investissement Tikehau Capital. Lendopolis a pour sa part été racheté – avec l’ensemble du groupe KissKissBankBank – par la Banque Postale. Faut-il donc s’attendre à voir survivre une poignée de grosses plateformes, et à voir les autres disparaître ? Pas nécessairement selon Benoît Granger, de l’association FPF : « Si la plateforme a développé un savoir-faire spécifique sur un marché de niche, elle peut tenir sur la durée », malgré des volumes moindres, car les coûts fixes (salariés, dépenses marketing, etc.) sont moins élevés. Les « petites » plateformes spécialisées dans les financements de projets estampillés énergie renouvelable ou les plateformes régionales ne seraient donc pas forcément condamnées.

Un marché qui reste à construire et développer ?

Surtout, Benoît Granger estime que le crowdlending est loin d’avoir capté tous les prêteurs potentiels : « 3 à 4 millions de Français sont aujourd’hui des épargnants ou investisseurs actifs. Or, à ce jour, même si près de 4 millions de Français ont un jour eu recours au crowdfunding, on ne recense environ qu’un million d’investisseurs actifs. Je suis persuadé que l’on ira lentement vers un marché de 4 millions d’investisseurs actifs. »

« Il faudra communiquer à nouveau sur le crowdlending »

Paradoxalement, au-delà de sa cessation d'activité, la gestion extinctive d’Unilend aura d'importantes répercutions – positives ou négatives – sur le marché du crowdlending. Si cette extinction supervisée par le régulateur bancaire, l’ACPR, permet aux clients prêteurs de récupérer la majeure partie de leurs fonds, alors ce mauvais coup pourrait se transformer en exemple de modèle sain. A contrario, si les défauts de remboursement se multiplient, la plaie va s'agrandir. Dans tous les cas, « il faudra communiquer à nouveau », reconnaît Benoît Granger, de Financement participatif France. « Nous travaillons à la création d’un conseil scientifique. Nous allons probablement accélérer sur ce point afin de publier des données objectives sur le crowdlending. »

Plus d'info sur l'investissement en crowdlending

(1) En se concentrant sur le prêt aux entreprises, donc en écartant Younited Credit.

(2) Intermédiaire en financement participatif (IFP) et Conseiller en investissements participatifs (CIP). Plus d’infos sur les statuts des plateformes de crowdfunding.