C'est un avantage régulièrement contesté mais qui existe toujours. A quoi correspond l'abattement spécifique accordé aux journalistes ? Premier épisode de notre série sur les niches fiscales qui posent question.

Elles sont 475. Voici le nombre de niches fiscales recensées par la loi de finances 2021. Un maquis dont il est difficile d’évaluer l’efficacité bien que leur coût global est évalué à près de 90 milliards d’euros chaque année. Alors que la déclaration de revenus bat son plein, MoneyVox a décidé de s’intéresser à cinq d’entre elles à destination des particuliers, et dont l’utilité peut poser question. Commençons cette semaine par celle réservée aux journalistes.

C’est quoi cette niche fiscale ?

L’article 81 du Code général des impôts prévoit explicitement que les « journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux » bénéficient d’un abattement spécifique de 7 650 euros sur leurs revenus nets. Un exemple : si un journaliste gagne 45 000 euros nets durant l'année, il ne déclare que 37 350 euros. Dans la brochure pratique de la déclaration de revenus 2021, le fisc précise que cet abattement est réservé aux journalistes et assimilés dont le revenu brut annuel n’excède pas 93 510 euros. Concrètement, les personnes concernées doivent indiquer sur les lignes 1AJ à 1DJ de leur déclaration le montant du salaire après déduction des 7 650 euros et inscrire dans les lignes 1GA à 1JA le montant de cet abattement. Une opération qui fait que les journalistes ne font pas partie des contribuables encore éligibles à la déclaration automatique.

« Cette exonération est acquise aux intéressés sans qu'ils aient besoin d'apporter la justification de l'utilisation de cette somme qui ne peut donner lieu à aucune vérification de la part de l'administration », précise une note du fisc qui détaille, entre autres, la portée de cet abattement. Avec des limites : en cas de congés maladie ou maternité ou de chômage, le bénéfice de cet abattement disparaît, tout comme à la retraite.

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D’où vient-elle ?

Créé en 1934, cet abattement fiscal était justifié par les frais professionnels des journalistes auxquels ils subvenaient eux-mêmes (matériel de reportage, déplacements…). L’abattement était alors de 30% comme pour une centaine d’autres professions, trois fois plus élevé donc que l’abattement de 10% pour frais professionnels en vigueur pour tous les salariés. Supprimé en 1996 par le gouvernement Juppé, l'abattement de 30% a refait surface en 1998 - « après trois longues années de lutte par les organisations syndicales » via l’abattement de 7 650 euros, précise le Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT).

Combien coûte la niche ?

Difficile d’avoir un chiffrage exact. En effet, malgré les demandes répétées de la Cour des comptes, l’information ne figure pas dans les documents budgétaires annexés chaque année au projet de loi de finances. D’après une récente note du spécialiste des finances publiques François Ecalle, « seules 410 dépenses fiscales sur 475 sont chiffrées et, pour 142 d’entre elles, il s’agit seulement d’un ordre de grandeur ». Selon les estimations publiées dans un rapport de 2018, les magistrats de la rue Cambon estiment que l'abattement pour les journalistes entraîne des pertes pour les caisses de l'Etat de 35 millions d'euros d'impôts sur le revenu par an auxquels il faut ajouter 100 millions d'euros de cotisations sociales pour la seule presse écrite.

En effet, les journalistes peuvent en outre bénéficier d'un abattement de 30% sur les cotisations sociales salariales et patronales dans la limite de 7 600 euros par an. En clair, l'écart entre le salaire net et le salaire brut d'un journaliste est bien plus ténu que pour un salarié « lambda », sans que cela n'ait de conséquence sur le calcul de la retraite de base ou les droits au chômage. Mais ce choix peut avoir un impact sur la retraite complémentaire, prévient le Syndicat national des journalistes (SNJ).

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Faut-il être titulaire de la carte de presse ?

Selon la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, il y avait 35 000 titulaires de la carte de presse en 2020. Mais, la simple possession de cette carte d’identité ne permet pas à elle seule de bénéficier de l’abattement de 7 650 euros sur les revenus, selon le fisc. À l’inverse, l’exercice de la profession de journaliste de manière effective et continue sans détention de la carte ouvre droit au bénéfice de ces dispositions.

Pourquoi cette niche fiscale fait-elle débat ?

Dans un rapport de 2013, déjà, la Cour des comptes pointait du doigt les arguments traditionnellement avancés pour justifier cet abattement, et notamment la faiblesse de la rémunération des journalistes compte tenu de leur niveau d’études. Certes les chiffres sont anciens mais, à l’époque, la Cour des comptes estimait que le niveau de salaire médian brut de la profession (3 348 euros en CDI, 2 200 euros en CDD et 1 853 euros en piges) était assez proche des salaires de l’ensemble des salariés.

En 2018, la Cour regrettait que sa demande de 2013 sur un réexamen des justifications sous-tendant le régime de l’abattement pour frais professionnels des journalistes n’avait pas été suivie d’effet. Une mesure pas au goût du SNJ expliquant que « son montant en euros constants s’amenuise d’année en année, sa valeur nominale étant inchangée depuis plusieurs dizaines d'années ! Qu’en outre cet abattement représente une planche de salut pour une fraction importante de la profession, de plus en plus rémunérée à la pige ».

Fin 2018, les parlementaires ont d'ailleurs raboté l’avantage des journalistes en limitant son bénéfice aux journalistes dont le revenu mensuel est inférieur à 6 000 euros net. Mais certains voulaient aller plus loin en le supprimant, une mesure réclamée d'ailleurs par certains Gilets jaunes. Mais les amendements des députées Emmanuelle Ménard (extrême droite) et Sabine Rubin (La France insoumise) avaient alors été rejetés. La première dénonçait un cadeau fiscal créant une inégalité entre les contribuables et qui pose « le problème d’indépendance des journalistes vis-à-vis de l’Etat ». De son côté, Sabine Rubin parlait d'un « privilège fiscal qui n’a plus de sens aujourd’hui ».

L'abattement, ça rapporte combien ?

La Cour des comptes a chiffré, en 2013, l'avantage fiscal procuré par l'abattement pour les journalistes de 7 650 euros. Sur la base du salaire mensuel moyen brut des journalistes de 3 775 euros pour les journalistes en CDI et de 2 280 euros pour les pigistes, il pouvait être estimé à 1 850 euros pour un journaliste en CDI célibataire sans enfant, à 1 000 euros pour un journaliste en CDI célibataire avec deux enfants à charge, à 1 250 euros pour un journaliste pigiste célibataire sans enfant ou encore à 130 euros pour un journaliste pigiste célibataire avec deux enfants à charge.