Surveiller et punir. Chargées de veiller à la stabilité du secteur financier, l'ACPR et l'AMF ont également une mission de contrôle, et le cas échéant de sanctions, des pratiques commerciales. Un volet répressif qui souffre d'un manque de moyens.

Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ; Autorité des marchés financiers (AMF). En matière de protection de la clientèle, la mission des deux « gendarmes » des banques, des assurances et de la bourse ne se limite pas à surveiller la place financière française et informer les épargnants. Elle comporte également un volet coercitif, qui se concrétise par des contrôles des pratiques commerciales et, le cas échéant, des sanctions.

Au rayon contrôles, l'AMF organise par exemple, chaque année depuis une décennie, des campagnes de visites mystère. Elle envoie dans les agences bancaires de faux clients, chargés de tester la qualité du conseil en investissement fourni et le respect de la réglementation en la matière : informations précontractuelles, analyse de la situation financière du client et de ses objectifs, appétence au risque, etc. Un travail qui permet de repérer des pratiques commerciales problématiques, voire trompeuses.

Un pouvoir de sanction utilisé avec parcimonie

L'AMF possède également un pouvoir de sanction. En 2021, derniers chiffres disponibles, elle a publié 19 décisions de sanctions, pour un total de plus de 61 millions d'euros d'amende. L'ACPR, de son côté, prononce, en moyenne, une dizaine de sanctions par an.

La dernière en date ? Un blâme et une amende d'un million d'euros contre le compte de paiement Nickel, sanctionnant des carences de ses dispositifs de suivi et d'analyse des opérations de ses clients, qui ont affecté sa capacité à assumer ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). Un motif qui justifie d'ailleurs l'essentiel des sanctions publiées par le régulateur, bien qu'elle ne concerne qu'indirectement la protection de la clientèle.

Pour Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste et spécialiste, notamment, de la régulation bancaire, ce pouvoir de sanction des superviseurs pourrait être exercé de manière plus active. Par exemple en publiant plus systématiquement le nom des établissements sanctionnés. « Il est important qu'il y ait sanction et qu'on sache qui est sanctionné, que les banques soient conscientes que leurs pratiques peuvent être dénoncées et nuire à leur réputation », développe la maîtresse de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. « Les autorités françaises ont historiquement peu activé cet instrument. Cela a heureusement un peu évolué. Espérons que cela continue, par exemple pour sanctionner le greenwashing et inciter ainsi la finance à se mettre davantage au service du financement de la transition écologique. »

Le périmètre des missions confiées aux superviseurs français peut expliquer, en partie, la (relative) modération des superviseurs. « Ils sont dans une position paradoxale : à la fois garants de la stabilité et de la confiance dans le système, et lanceurs d'alerte, aptes à dénoncer les dérives », détaille Jézabel Couppey-Soubeyran. « Il y a une tension permanente entre ces deux missions. En pointant du doigt un gros établissement, ils risquent de mettre le feu aux poudres. C'est un sujet d'appréhension pour les superviseurs. »

Des moyens plus limités qu'ailleurs

L'autre limite à l'action répressive des superviseurs concerne les moyens qu'ils peuvent allouer à cette mission. Avant de porter une affaire devant la commission des sanctions, il faut, en effet, enquêter pour trouver les cas problématiques, puis les instruire. Un travail de fond qui prend du temps et nécessite de la main-d'œuvre. Or les moyens manquent.

Exemple à l'ACPR. Entre 2013 et 2021, le nombre de collaborateurs de l'institution est resté à peu près stable, autour de 1 050. Sur cette décennie, pourtant, le travail du « gendarme » a changé. Depuis la dernière crise bancaire, dite des subprimes, qui éclate en 2007-2008, « la réglementation est devenue de plus en plus complexe, à défaut d'être plus contraignante, et génère des masses d'informations », constate Jézabel Couppey-Soubeyran. « Les traiter absorbe beaucoup de ressources chez les régulateurs, des ressources en moins pour le contrôle. »

Ainsi, sur les 1 050 collaborateurs de l'ACPR fin 2021, près de la moitié est dédié au contrôle de la stabilité des banques et assurances. Les effectifs chargés de la surveillance des pratiques commerciales sont plus restreints : 8%, soit 84 personnes environ, alors que le nombre d'acteurs à surveiller dépassent les 1 200.

« Les superviseurs font du bon travail, aussi bon que possible. Mais ils auraient besoin de plus moyens pour faire tout ce qu'ils ont à faire », résume un excellent connaisseur du sujet. La comparaison avec les régulateurs de pays comparables, comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne, est de fait très défavorable. En additionnant les effectifs de l'ACPR et de l'AMF, on arrive à peine à 1 600 emplois à équivalent temps plein (ETP). A titre de comparaison, la Financial Conduct Authority (FCA), qui couvre à peu près les mêmes missions au Royaume-Uni, en employait près de 3 800 début 2022. Soit un rapport de 1 à 2,4.

Une surcharge de travail, un turnover important

Comment expliquer un tel écart ? Il s'agit avant tout d'un choix politique, puisque c'est la puissance publique qui fixe, dans une loi de finances, les effectifs cibles des deux régulateurs. « Pour se rapprocher des autres pays, il faudrait un vrai choc politique », confirme Hugo Coldeboeuf, secrétaire général de la CGT Banque de France. Il doute, toutefois, que cela fasse partie de l'agenda du gouvernement ou du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, engagé au contraire dans une réduction des effectifs de l'institution monétaire.

En attendant, cette tension entre des missions plus complexes et des effectifs qui stagnent pèse sur le personnel de l'ACPR. Selon une enquête menée par la CGT, près de 9 agents sur 10 estiment que leur charge de travail est trop élevée. Un exemple récent l'illustre. Depuis le 1er avril 2021, une nouvelle direction a été mise en place, chargée d'intensifier la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Plus d'efforts, donc, sur ce sujet prioritaire, mais à effectifs constants. Résultat : suite à une alerte syndicale, la surcharge de travail a donné lieu, dès février 2022, à une intervention de la médecine du travail, demandant à l'ACPR de mettre en place une politique de prévention des risques professionnels et des moyens adaptés.

Ce surmenage est une des explications du turnover très important à l'ACPR. « En moyenne, l'ensemble de l'effectif est renouvelé tous les 6 ans », avance Hugo Coldeboeuf, de la CGT. « Cela représente une énorme perte d'énergie pour l'organisation. » Contactée, l'ACPR a décliné notre demande d'interview.

Un manque d'effectifs à la DGCCRF aussi

Outre les deux « gendarmes », un autre acteur est habilité à contrôler les pratiques commerciales des acteurs du secteur financier : la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la Répression des fraudes (DGCCRF). Malheureusement, elle aussi manque de moyens.

Dans un rapport daté de septembre 2022, les sénateurs Thierry Cozic et Frédérique Espagnac ont alerté sur son affaiblissement : « Entre 2007 et 2022, la DGCCRF a perdu 911 postes, soit un quart de ses effectifs. Dans 14 départements, les effectifs sont inférieurs à 6 équivalents temps plein (ETP). »

En 2021, un autre rapport sénatorial pointait l'impact direct de ces réductions sur la capacité de la DGCCRF à mener à bien ses missions. « (...) Les inspecteurs ayant principalement vocation à se déplacer pour effectuer des contrôles, les gains de productivité et d'efficience ne sont, par nature, que très limités sur ce type de mission. La réduction des effectifs n'a ainsi d'autre conséquence que la limitation des capacités d'enquête de la direction. »

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