La campagne de distribution des avis d'impôt sera-t-elle celle des mauvaises surprises, suite au lancement de la déclaration automatique, et suite à la crise sanitaire ? Faut-il s'attendre à une vague de réclamations ?

La déclaration fiscale 2020 est spéciale à double titre : d'une part Bercy a lancé la déclaration automatique pour plus de 10 millions de contribuables, d'autre part la campagne déclarative a été lancée en plein confinement... Malgré cela, et malgré le passage à la déclaration en ligne pour tous, 4 à 5 millions de foyers sont restés fidèles au formulaire papier. En parallèle, la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) a constaté une forte baisse des demandes de remises gracieuses - ces « faveurs » réclamées au fisc par les contribuables - en 2019. Avant un rebond de ces demandes gracieuses en 2020, à cause de la crise sanitaire ? Comment l'administration fiscale se prépare-t-elle aux éventuelles réclamations faisant suite aux avis 2020 ? Les réponses de Christophe Céron, secrétaire national de Solidaires Finances publiques, le premier syndicat de l’administration fiscale.

Les demandes de remises gracieuses ont très fortement baissé en 2019, aussi bien pour l’impôt sur le revenu ou la taxe d’habitation que pour la redevance TV et la taxe foncière. Pourquoi ?

Christophe Céron : « Pour l’impôt sur le revenu, c’est dû à l’année blanche des revenus 2018, l’impôt à payer en 2019 ayant été annulé pour une large partie de la population. Pour la taxe d’habitation, cela s’explique par la suppression progressive, pour 80% des foyers. Pour la taxe foncière et la contribution à l’audiovisuel public, il n’y a pas d’explications évidentes, hormis le fait que l’absence ou la baisse de taxe d’habitation et d’impôt sur le revenu permet de limiter le risque de difficultés financières causées par les impôts, à l’automne. »

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Cette baisse va-t-elle se confirmer en 2020, selon les retours que vous avez du terrain ?

C.C. : « Difficile à dire, pour l’instant. Les demandes gracieuses sont généralement effectuées en fin d’année, après la distribution des avis de taxes et d’impôt. La tendance devrait se poursuivre dans le sens où la taxe d’habitation est cette année totalement supprimée pour 80% des foyers. Et les demandes de remises gracieuses sont traditionnellement moins nombreuses pour la taxe foncière. Enfin, pour l’impôt sur le revenu, la mise en place du prélèvement à la source et la possibilité d’échelonner le paiement du solde sur 4 mois - s’il est supérieur à 300 euros – permettent d’envisager un flux plus limité de demandes gracieuses. En revanche, nous anticipons une forte hausse des contentieux cette année ! »

Pourquoi pensez-vous que les réclamations contentieuses vont augmenter en 2020 ?

« Les collègues craignent un afflux massif de contribuables dans les centres d’impôt »

C.C. : « Car la tempête déclarative s’est déroulée en plein confinement, et lors du déconfinement. L’administration a renforcé les services d’accompagnement à distance, mais il y a toujours plus d’incompréhensions à distance… Par exemple, en 2019, plus de 4 millions de contribuables se sont déplacés en centres de Finances publiques lors de la saison déclarative ! Or, en 2020, toutes les demandes d’aide ont été gérées ou par mail ou par téléphonne. Il est donc probable qu’un grand nombre de contribuables n’aient pas obtenu toutes les informations nécessaires pour bien remplir leur déclaration de revenus 2019, et qu’ils effectuent des réclamations après avoir reçu leur avis, à partir d’août. L’autre élément à prendre en compte, c’est le lancement de la déclaration automatique. De nombreux contribuables s’étant contentés de la déclaration automatique risquent de se rendre compte à la réception de leur avis d’impôt qu’ils ont oublié de déclarer leurs charges professionnelles en frais réels ou de réclamer des réductions ou crédits d’impôt. Les collègues craignent un afflux massif de contribuables dans les centres d’impôt, suite à la distribution des avis d’impôt sur le revenu. La Direction générale des Finances publiques s’attend elle-même à un vague d’appels de réclamations puisque les effectifs dédiés à l'accueil à distance vont être renforcés. Par ailleurs, au-delà d’omissions lors de la déclaration, de nombreux contribuables risquent de ne pas comprendre pourquoi il reste un solde à payer, malgré le prélèvement à la source. »

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Combien de réclamations recevez-vous habituellement lors de cette phase « contentieuse » ?

« Une part de la population aura toujours besoin de contact, d’une explication directe »

C.C. : « Plus de 7 millions de contribuables se sont déplacés dans les centres des finances publiques, en 2019, lors de ce que l’on appelle la campagne de recouvrement [ou ‘‘campagne des avis’’, NDLR]. A cela, il faut ajouter 4 millions d’appels et 6 millions d’emails reçus lors de cette phase faisant suite à l’envoi des avis d’impôt. Ce sont les réclamations suite à ses visites et à ses appels qui pourraient bondir à la fin de l’été 2020. »

4 à 5 millions de foyers fiscaux ont remis une déclaration papier en 2020, malgré l’obligation théorique de la déclaration en ligne… sur 38 millions de foyers. Est-ce plus que prévu ?

C.C. : « Les foyers qui n’ont pas d’accès Internet ou qui ne sont pas capables de déclarer en ligne peuvent rendre un formulaire papier. Nous nous rendons compte dans les services des Finances publiques que cela concerne encore beaucoup de monde, et pas uniquement des personnes âgées. Il faut le respecter : une part de la population aura toujours besoin de contact, d’une explication directe. Même la direction [des Finances publiques, NDLR] le reconnaît. »

La réponse de la DGFiP

Sollicitée par MoneyVox, suite à cet entretien, la DGFiP a insisté sur « le renforcement de l'accueil à distance » des services fiscaux. Un renforcement qui figurait « déjà dans les objectifs de la DGFiP » mais qui a été accentué « dès le mois d'avril » face à la crise sanitaire. La DGFiP souligne avoir ainsi répondu « au défi qu'a constitué la campagne déclarative 2020, démarrée pendant le confinement ». A l'approche de la « campagne des avis », la DGFiP précise maintenir ce service à distance : « La perspective d'une éventuelle deuxième vague [du coronavirus] en septembre nous oblige également à anticiper et maintenir une offre à distance qui tienne compte de cette réalité ».

Quant à la question d'un afflux de réclamations, la DGFiP s'appuie sur la relative stabilité du nombre de « procédures contentieuses » effectivement engagées (3,8 millions en 2019) pour préciser : « Le contentieux est donc un phénomène connu et géré par DGFiP. La mise en place du droit à l'erreur, avec la possibilité pour l'usager qui s'est trompé de bonne foi, de pouvoir corriger ses déclarations sans être pénalisé, va justement permettre d'éviter aux usagers et à nos services de s'engager dans des procédures contentieuses inutiles, dans l'éventualité où certaines nouveautés ou l'impact de la crise sanitaire aurait entraîné des erreurs dans les déclarations de revenus. »

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