Mi-décembre, le gouvernement a dévoilé sa réforme des retraites visant à créer un système par points. Pour les partisans du projet, le but est de sauver la retraite par répartition et d’augmenter le ratio cotisants sur retraités. Ses détracteurs estiment, au contraire, que cette réforme risque d’abaisser le taux de remplacement et d’ouvrir la voie à un système par capitalisation. Vous n’avez rien compris ? Décryptage de ce jargon.

La réforme des retraites ne passe toujours pas. Après une quatrième journée interprofessionnelle de manifestations jeudi, la mobilisation contre ce projet entre ce vendredi dans son 37e jour. Une journée qui pourrait être décisive alors que le Premier ministre a invité les partenaires sociaux à Matignon pour une nouvelle séance de négociations après la proposition de la CFDT de tenir une conférence de financement pour trouver des solutions au financement du système des retraites. Retour sur plusieurs notions phares au cœur des discussions.

La « retraite par répartition » à la française

En 2020, le système de retraite français va fêter ses 65 ans ! Il a été mis en œuvre au sortir de la Seconde guerre mondiale dans le but de permettre « aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours », comme le prévoyait le programme du Conseil national de la résistance publié en 1944. Il est qualifié de « système par répartition » car, pour une année donnée, les cotisations versées par les actifs servent à financer les pensions de retraite distribuées cette même année. Autrement dit, les cotisations vieillesse déduites de votre salaire brut ne servent pas à financer votre retraite future, mais les pensions actuelles de vos aînés.

Cette solidarité intergénérationnelle est toutefois segmentée. En effet, l’ensemble des cotisations ne va pas dans un unique pot commun, réparti ensuite entre les retraités. Dans les faits, il existe 42 situations professionnelles, avec des règles de calcul des pensions et des cotisations différentes : un régime général notamment, qui concerne l’essentiel des salariés (et des retraités), et 11 régimes spéciaux (SNCF, RATP, Comédie Française…).

D’après la dernière évaluation de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), sortie en juin 2019, 17,22 millions de personnes, tous régimes confondus, touchent une pension de retraite à fin 2017. En fonction des carrières professionnelles, un travailleur peut avoir été affilié à plusieurs régimes et percevoir des pensions de plusieurs caisses. Plus de 40% des retraités sont ainsi polypensionnés.

La « retraite par capitalisation » marginale en France

La France a fait le choix d’un système de retraite par répartition. D’autres nations, principalement en Amérique latine, ont opté pour un fonctionnement par capitalisation. Aux Etats-Unis, les deux coexistent. La retraite par répartition, gérée par l’Etat fédéral, y joue le rôle de filet de sécurité contre l’extrême pauvreté des personnes âgées. Mais pour avoir un niveau de vie correct à la retraite – le taux de remplacement (voir plus bas) est inférieur à 50% d’après l’OCDE - les Américains doivent anticiper et se constituer eux-mêmes leur pension. C’est cela la retraite par capitalisation. Les actifs d’aujourd’hui épargnent en vue de leur propre retraite. Et ils placent notamment cet argent sur des fonds d’investissement dédiés, appelés fonds de pension.

Avec un système par capitalisation, le montant perçu à la retraite repose donc sur la stratégie des gestionnaires de fonds et, plus généralement, sur la santé des marchés financiers, ce qui en cas de retournement n’est pas sans conséquence pour les retraités. Un an après le déclenchement de la crise financière de 2008, l’OCDE estimait que les fonds de pension avaient perdu 23% de leur valeur, soit 5 400 milliards de dollars.

En France, le système par répartition est prépondérant. Toutefois, les fonctionnaires de l'Etat, territoriaux, hospitaliers et les magistrats, ont une dose de capitalisation dans leurs retraites. Dans le cadre du régime obligatoire de retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), leurs cotisations sont placées sur les marchés et alimentent leur propre rente. Les salariés du privé peuvent aussi, au travers de systèmes de retraites supplémentaires, se constituer une pension par capitalisation.

En ce sens, un nouveau produit d’épargne a fait son apparition en octobre 2019. Il s’agit du Plan d’épargne retraite (PER) qui, dans sa forme individuelle, vise à remplacer le PERP, le PERCO et autres Madelin, avec l’objectif de faire passer l’encours de l’épargne retraite de 200 à 300 milliards d’euros d’ici 2022. Cette progression pourrait faire les choux gras des gestionnaires d'actifs, dénoncent notamment les forces syndicales. D'ailleurs, depuis plusieurs semaines, la polémique enfle autour de la contribution de la société de gestion américaine BlackRock dans la présente réforme des retraites. Une controverse relancée de plus belle suite à l'attribution, le 1er janvier dernier, de la Légion d'honneur au patron de la filiale française de BlackRock.

Reste qu'aujourd'hui, la place de la retraite supplémentaire par capitalisation (hors RAFP) dans l’ensemble des régimes de retraite demeure marginale, selon la Drees. Ainsi, le montant des prestations versées au titre de contrats de retraite supplémentaire s’élève à 6,6 milliards d’euros en 2017, soit seulement 2,1% de l’ensemble des prestations de retraite versées.

En savoir plus sur le Plan d'épargne retraite (PER)

La retraite à points pour réformer le calcul des pensions et créer un « système universel »

La réforme actuelle des retraites vise notamment à généraliser le système de calcul par points. Aujourd'hui, co-existent en France deux façons de déterminer les pensions, en s’appuyant soit sur les trimestres travaillés, soit en convertissant les cotisations en points.

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Par exemple, la retraite de base (correspondant au régime général qui concerne tous les salariés du privé) est calculée en fonction des trimestres acquis durant votre vie professionnelle. Actuellement, les personnes nées après 1973 doivent accumuler 172 trimestres, soit 43 ans, pour partir à la retraite avec la pension maximale.

D’autres régimes fonctionnent différemment. C’est le cas de la retraite complémentaire des salariés du privé. C’est-à-dire la partie versée par l’Agirc-Arrco et qui concerne plus de 90% des retraités. Pour ce montant complémentaire, les cotisations sont transformées en points. Tout au long de la vie active, vous accumulez des points qui au moment du départ à la retraite sont convertis en pension.

La réforme des retraites, comme présentée par le gouvernement, vise à proposer un « système universel » où « 1 euro cotisé vaudra la même chose pour tous ». Concrètement, le projet de réforme prévoit que 10 euros cotisés correspondent à 1 point et que 1 point soit égal à 0,55 euro brut par an de retraite. Dit autrement, 1 000 euros cotisés = 100 points = 55 euros par an pendant toute votre retraite.

Le taux de remplacement pour mesurer votre niveau de vie à la retraite

Les détracteurs de cette réforme, notamment le collectif « Nos retraites », estiment que le calcul à points va abaisser le niveau de vie des futurs retraités. Pour faire ce constat, nuancé par la suite par Libération, le collectif s’appuie sur la notion de taux de remplacement. C’est-à-dire ce que représente la pension de retraite par rapport au dernier salaire perçu. Exemple, si vous êtes rémunéré 2 000 euros par mois et qu’à la retraite vous touchez 1 200 euros mensuels, votre taux de remplacement est de 60%. D’après l’OCDE, le taux de remplacement en France était en moyenne de 73,6% en 2018, contre 63,5% dans l’Union européenne.

Un âge pivot différent de l’âge légal

Autre évolution attirant les foudres des syndicats de salariés : la création d’un âge pivot à 64 ans, aussi appelé âge d’équilibre. Il s’agit d’une notion différente de l’âge légal de départ fixé, lui, à 62 ans. L’âge légal, c’est l’âge à partir duquel vous pouvez liquider vos droits à la retraite. L’âge pivot, c’est l’âge à partir duquel vous pourriez percevoir une pension pleine. En l'état actuel des négociations, avec la réforme Macron qui s'appliquerait progressivement dès 2022, il resterait possible aux personnes ayant travaillé suffisamment longtemps de prendre leur retraite à 62 ans mais avec une décote de 10% de leur pension, et de 5% pour un départ à 63 ans. Pour l’exécutif, la création de cet âge pivot vise à inciter les Français à travailler plus longtemps dans un souci d’équilibre des finances publiques. Les syndicats dits réformistes comme la CFDT favorable au régime universel de retraite à points sur le principe est opposé à l'instauration d'un âge pivot.

Le ratio cotisants-retraités censé évaluer la soutenabilité du système

D’après le Conseil d’orientation des retraites (COR), il manquera entre 8 et 17 milliards d’euros dans les caisses du système de retraite en 2025. L’une des explications avancées est la baisse du nombre d’actifs rapportés aux retraités. Pour l’exécutif, ce ratio est central. Car s’il y a moins de travailleurs cotisants, il y a moins de cotisations, et donc l’Etat doit s’appuyer sur d’autres ressources pour financer les pensions de retraite. D’après le COR, le ratio cotisants-retraités est aujourd’hui de 1,7. Et le Conseil d’orientation prévoit qu’il y aura 1,5 actif cotisant par retraité à l’horizon 2040.