Information des usagers, hausse des litiges, interdiction du démarchage à domicile : un peu plus de 3 mois après sa nomination, le nouveau médiateur national de l’énergie, Olivier Challan Belval, a accepté de faire le point sur les dossiers chauds qui l’occupent.

Olivier Challan Belval, février 2020

Olivier Challan Belval est médiateur national de l’énergie depuis le 25 novembre 2019 et pour 6 ans

Olivier Challan Belval, quelles sont les missions du médiateur national de l’énergie ?

Olivier Challan Belval : « Sa première mission est d’informer le consommateur sur ses droits en matière de fourniture d’électricité et de gaz. Il dispose pour cela d’un site web, qui a permis de renseigner deux millions de personnes l’an dernier, ainsi que d’un numéro vert, pour celles et ceux qui préfèrent parler à quelqu’un. Le médiateur national met également à disposition des consommateurs, toujours sur internet, un comparateur d’offres d’électricité et de gaz. Celui-ci est totalement neutre et indépendant, à la différence d’autres comparateurs dont le modèle économique consiste à mettre en avant certains fournisseurs plutôt que d’autres, en échange de commissions. Il s’agit d’un outil très utile, dans le contexte de l’ouverture des marchés, et en vue notamment de la fin des tarifs réglementés de vente du gaz, à horizon 2023 pour les particuliers. »

Votre rôle est également d’aider le consommateur à trouver une solution équitable lorsqu’un litige l’oppose à son fournisseur d’énergie Ces litiges sont-ils fréquents ?

Olivier Challan Belval : « Oui, et ils le sont de plus en plus : +30% en 2019, ce qui est préoccupant. Je constate que nous sommes fréquemment saisis pour des litiges simples, qu’une entreprise correctement organisée devrait être capable de régler par elle-même, en quelques jours. Un exemple : nous avons demandé au fournisseur ENI d’indemniser un de ses clients de la somme de 50 euros. Il en a accepté le principe, mais 6 mois plus tard, l’indemnité n’a toujours pas été versée. Ce genre de dysfonctionnement arrive trop fréquemment. »

Le nom d’ENI semble revenir souvent ?

« ENI est dans le déni »

Olivier Challan Belval : « Effectivement, il s’agit du fournisseur qui génère le plus de litiges. Je m’en suis entretenu avec eux, avec fermeté. Malheureusement, ENI, sans faire de jeu de mots, est dans le déni et a tendance à relativiser ses problèmes. »

Y a-t-il, plus généralement, un problème avec la qualité de service des fournisseurs d’énergie ?

Olivier Challan Belval : « Certains d’entre eux semblent en effet avoir de gros soucis d’organisation, et pas seulement des petits fournisseurs : ENI, par exemple, est une grosse société. Heureusement, si vous n’êtes pas content de votre fournisseur, vous avez aujourd’hui la possibilité d’en changer : c’est un des avantages de l’ouverture des marchés. »

Justement, que peut-on conseiller au consommateur qui souhaite changer de fournisseur ?

Olivier Challan Belval : « Prendre le temps de se renseigner, de comparer les offres et de ne rien signer avant cela. Il n’y a pas d’urgence à changer. Il faut y réfléchir. »

Quel est le litige qui revient le plus souvent ?

Olivier Challan Belval : « La contestation des niveaux de consommation facturés représentait environ 30% des plus de 16 000 litiges que nous avons reçus en 2018. C’est un bon exemple de souci qu’un fournisseur bien organisé devrait être capable de régler sans que cela ne remonte jusqu’au médiateur. Ce problème intervient généralement à l’occasion d’un changement de fournisseur, parce que ce dernier fait l’économie d’envoyer quelqu’un pour relever le compteur de son futur ex-client et s’appuie sur une estimation de consommation, qui est très souvent contestée. Il faut convaincre les fournisseurs de bannir cette pratique et de s’appuyer, au moins, sur un auto-relevé par l’usager. Heureusement, la généralisation du compteur communicant Linky va régler ce problème. »

Justement, y a-t-il des litiges spécifiquement liés à Linky ?

« Linky permet de consommer plus intelligemment »

Olivier Challan Belval : « Très peu. Il arrive que certains abonnés s’étonnent du niveau de leur consommation après l’installation du nouveau compteur. Mais c’est parce que l’ancien compteur avait tendance à sous-estimer leur consommation : Linky rétablit la réalité. Plus généralement, le compteur communicant annonce une petite révolution en matière de consommation électrique, qui va permettre de mieux adapter les contrats à la réalité des besoins des usagers et les inciter à consommer plus intelligemment et plus écologiquement. »

Le top des litiges les plus courants

En attendant la publication de l’édition 2019, le rapport annuel 2018 du médiateur national de l’énergie permet de se faire une idée des litiges les plus courants. La contestation des niveaux de consommation facturés représente ainsi 29% des saisines. Vient ensuite la résiliation inexpliquée (11%), qui intervient à la suite d’une erreur ou d’une démarchage frauduleux, les problèmes de paiements et de règlements (10%), de tarification et de prix (10%), de raccordement et de réseaux (8%). Les litiges concernant les pratiques commerciales, généralement des démarchages à domicile frauduleux, représente également 8% du total.

Vous avez récemment plaidé pour une interdiction du démarchage à domicile. Pourquoi ?

« Au moins 60 000 usagers abusés »

Olivier Challan Belval : « Tout simplement parce que les litiges liés à ces démarchages ont explosé en 2019. Nous avons enregistré près de 1 900 saisines sur le sujet, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : nous estimons qu’il y a environ une saisine pour 30 cas dans la réalité, ce qui signifie que 60 000 consommateurs, au bas mot, ont été abusés par des démarchages frauduleux. C’est intolérable. L’ouverture des marchés crée une opportunité pour les fournisseurs, qui veulent logiquement capter un maximum d’abonnés. Mais je ne peux pas accepter, en tant que médiateur, que cela se fasse aux dépens du consommateur. »

Lire aussi : Gaz et électricité : le médiateur réclame l'interdiction du démarchage à domicile

Comment régler le problème, concrètement ?

Olivier Challan Belval : « La meilleure solution, je pense, serait d’interdire le démarchage pendant toute la période couvrant la fin des tarifs réglementés de vente, qui va contraindre des millions d’usagers à changer d’offre. C’est possible, et même conforme au droit communautaire, qui permet de prendre ce genre de mesures dans l’intérêt des consommateurs. A défaut, il faut l'encadrer très strictement.

Quelle forme doit prendre cet encadrement ?

Olivier Challan Belval : « Il faut a minima que les fournisseurs recontactent systématiquement les personnes démarchées, pour s’assurer qu’elles ont bien compris ce qu’elles avaient signé et leur rappeler qu’elles disposent d’un délai pour se rétracter. Cela représente un coût supplémentaire pour les fournisseurs, mais c’est le prix à payer pour établir la confiance. Mais j’ai proposé d’aller plus loin, en interdisant tout simplement aux commerciaux de recueillir sur le champ la signature du démarché, qui pourrait intervenir dans un second temps, à tête reposée. »

Avez-vous eu des retours depuis cette prise de position ?

« Les fournisseurs favorables à un encadrement »

Olivier Challan Belval : « Oui, j’en ai eu beaucoup, tous très favorables. Des parlementaires m’ont appelé, notamment un vice-président de l’Assemblée qui considère que ces démarchages frauduleux sont une véritable plaie. Certains fournisseurs sont également favorables à l’idée d’encadrer le démarchage à domicile, moins de l’interdire. Ils font remarquer que c’est le démarchage qui leur apporte une bonne partie de leurs nouveaux clients, et qu’il est donc très important si l’on veut ouvrir efficacement le marché. »

Le sujet nécessite-t-il une loi ?

Olivier Challan Belval : « Oui, il y a clairement des dispositions législatives à prendre. Cela pourrait aller très vite, nous avons déjà commencé à travailler sur le texte. »

A consulter : le comparateur partenaire électricité et gaz