Lorsqu’on les interroge sur le sujet, les Français affichent une vraie réticence à utiliser leur smartphone pour régler des achats en magasin. Pourtant, le paiement mobile finira par s’imposer, annonce Christophe Pecquerie, directeur de l'exploitation d’Airtag, un des acteurs français les plus dynamiques dans ce secteur. Mais il faudra du temps.

Selon un récent sondage, plus de 8 Français sur 10 ne se sentent pas prêts à utiliser leurs téléphones mobiles pour régler des achats. Comment expliquez-vous cette réticence ?

Christophe Pecquerie : « On l’oublie souvent, mais la carte bancaire a, elle aussi, mis une dizaine d’années avant de s’imposer. Le paiement est un acte important, qui touche à l’argent, et il est compréhensible que les Français affichent un certain conservatisme en la matière. Il y a aussi un problème d’offre : les solutions existantes sont souvent trop complexes et pas assez universelles. »

Qu’est-ce qui ne fonctionne pas avec ces solutions ?

C.P. : « Les acteurs du paiement mobile ont en général abordé la question par son versant sécurité, avec la logique suivante : « Trouvons d’abord le meilleur moyen de sécuriser les transactions, puis construisons ensuite un service autour ». L’élément sécurisé qu’ils ont choisi est la carte SIM du téléphone. Mais ça n’a pas marché : aucune solution n’a vraiment réussi à se déployer, à l’image de l’américain SoftCard, qui a finalement été absorbé par Google (1). »

Orange Cash, qui vient d’être lancé en France, s’appuie également sur la carte SIM comme élément sécurisé. Ce service est-il voué à l’échec ?

C.P. : « Ce n’est pas sûr, car le service d’Orange a le mérite de la simplicité. Il s’appuie sur un porte-monnaie électronique prépayé et s’adresse uniquement aux clients d’Orange, qui savent d’emblée qu’ils disposent d’une carte SIM compatible. Il n’y a donc pas de problème d’interopérabilité. »

Que préconisez-vous pour démocratiser le paiement mobile ?

C.P.: « Il faut renverser la perspective : construire d’abord une solution offrant une bonne expérience pour l’utilisateur, puis s’employer à la sécuriser, à gérer le risque. C’est le parti pris, de manière assez révolutionnaire, par Apple pour Apple Pay, et force est de constater que ça semble fonctionner. »

Apple Pay s’appuie sur une technique appelée « tokenisation » pour sécuriser les transactions. Comment fonctionne-t-elle ?

C.P. : « La tokenisation consiste à remplacer le numéro de carte bancaire, une donnée sensible car réutilisable, par un « jeton » (ou token), sorte de clé de paiement à usage unique, qui rend inutile tout vol de données. Dans le cas d’Apple Pay, ce token est statique, stocké dans le téléphone. De notre côté, nous commercialisons un module, baptisé Airpass HCE [pour Host Card Emulation, NDLR], capable de communiquer avec un terminal de paiement NFC, de crypter les données bancaires sensibles et d'effectuer le paiement grâce à un token dynamique envoyé par le serveur de la banque. Plusieurs enseignes françaises utilisent déjà cette technologie dans leurs applications : le Crédit Mutuel, BNP Paribas, la Banque Postale et plus récemment Arkéa, qui teste actuellement le paiement mobile HCE. »

Plus concrètement, à quoi pourrait ressembler une bonne expérience de paiement mobile en point de vente ?

C.P. : « Tout d’abord, il faut cesser d’opposer carte bancaire et paiement mobile. Les deux peuvent parfaitement coexister. Le mobile est un moyen de paiement supplémentaire, qui peut répondre à certains usages, contribuer à simplifier le parcours du client dans le magasin. Certains consommateurs trouveront ainsi un intérêt à payer avec l’application proposée par le commerçant, en collectant du même coup des points fidélités, des coupons de réduction, etc. D’autres utiliseront l’application native de leur téléphone, fournie par exemple par Google ou Apple. D’autres, enfin, qui ne voudront pas confier leur numéro de carte à ces entreprises, préféreront utiliser l’application de leur banque. Au final, il n’y a pas une réponse unique, ce sera au client de choisir. »

Y a-t-il un risque que le paiement mobile n’entre jamais dans les mœurs ?

C.P. : « Avant l’arrivée d’Apple Pay sur le marché, la question pouvait encore se poser. Aujourd’hui, je n’ai plus aucun doute : le fait de payer sans contact avec un mobile, en utilisant la biométrie pour l’authentification du paiement, finira par s’imposer. Reste à savoir quand. Cela prendra du temps. On le voit aujourd’hui avec le paiement sans contact NFC : malgré de fortes réticences chez une partie des consommateurs, les chiffres commencent à décoller [En septembre 2015, le nombre de paiements réalisés sans contact en France s’est approché des 22 millions, en hausse de 218% sur un an, NDLR]. Cela dépendra aussi de l’attitude des banques. Il faut toutefois noter qu’elles ont beaucoup avancé sur le sujet en 2015. Mais elles restent encore majoritairement dans une posture défensive. Elles craignent assez logiquement l’arrivée d’acteurs aussi puissants qu’Apple et Google sur un marché des paiements déjà de moins en moins profitable. Je pense que le vrai décollage du paiement mobile se fera lorsque Apple Pay finira par arriver en France. »

Airtag, un acteur français en pointe sur le paiement mobile

Fondé en 2006 à la suite d’un voyage de ses créateurs au Japon, Airtag exerce à la fois dans le domaine des cartes de fidélité dématérialisées à destination des commerçants de détail (KFC, Mac Donald’s, Carrefour, etc.) et dans celui du paiement mobile, à destination notamment des banques (Crédit Mutuel Arkéa, La Banque Postale, ING, etc.). La société fait aujourd’hui partie du top 10 mondial dans le domaine du paiement mobile HCE.

(1) Softcard est un service de paiement créé en 2010 par AT&T, T-Mobile USA et Verizon, les trois principaux opérateurs téléphoniques aux Etats-Unis. Sa technologie a été rachetée en février 2015 par Google, qui l’a intégrée dans son propre service, Wallet.