Confrontés, depuis 2 ans, à une nette baisse de pouvoir d'achat, les Français, notamment les plus modestes, ont fait preuve de rigueur budgétaire pour éviter les incidents de paiement. Voici les trois stratégies qu'ils ont déployées.

Associations, pouvoirs publics, banques : tout le monde est en alerte ! La poussée de fièvre inflationniste, déclenchée il y a maintenant près de 2 ans, laissait craindre le pire pour le budget des ménages les plus fragiles financièrement. Le pire, sans doute, est arrivé pour certains d'entre eux. Pourtant, cela ne s'est concrétisé ni par une explosion des cas de surendettement, ni par une flambée des interdictions bancaires liées à des incidents de paiement.

Face à ce paradoxe, l'Observation de l'inclusion bancaire (OIB) a décidé de mener l'enquête. L'instance, chargée au sein de la Banque de France de surveiller les signes de dégradation de la situation financière des ménages français, a demandé au Crédoc (1) de poser à 3 000 individus une dizaine de questions sur l'évolution de leur situation financière. Une étude qualitative qui permet d'ouvrir une lucarne sur les stratégies mises en œuvre par les ménages français, notamment les plus modestes (2), pour éviter de sombrer.

Sans surprise, en effet, ces ménages à petits revenus ont été les plus affectés par la hausse des prix. La moitié d'entre eux estime avoir été plus souvent dans le rouge que d'habitude, c'est-à-dire avoir connu des moments où leurs revenus ne suffisaient plus à couvrir leurs dépenses. Pourtant, cela n'a pas entraîné d'explosion des incidents de paiement. 30% d'entre eux en ont connu au moins un durant l'année écoulée, mais c'est resté exceptionnel (13%) ou ponctuel (8%) pour les deux tiers d'entre eux.

Un ménage sur deux a puisé dans ses réserves

Comment, concrètement, ont-ils réussi à limiter les dérapages ? La réponse est simple : ils ont été plus rigoureux dans leur gestion budgétaire, afin d'augmenter leur reste à vivre en proportion de l'inflation.

1er temps : ils ont veillé à diminuer leurs charges. 71% des ménages modestes (58% de l'ensemble des ménages) ont repoussé ou renoncé à des dépenses : des achats d'équipement, mais également des courses alimentaires (42%), des soins médicaux (30%), parfois des factures (26%)...

2e temps : ils ont cherché des solutions pour augmenter leurs revenus. 46% des Français, toutes catégories confondues, ont puisé dans leurs réserves (celles notamment engrangées pendant la pandémie). Un petit tiers d'entre eux ont également cherché à augmenter leurs revenus du travail, en demandant des augmentations (19%), des avantages en nature (11%) ou en cherchant une source de revenu complémentaire (9%). Chez les plus modestes, on a aussi eu un recours plus important aux aides : aides sociales (20%), aides d'urgence (12%) ou soutien financier des proches (24%).

3e temps : les Français ont négocié des arrangements avec leurs banques (36%, 41% des plus modestes) ou leurs créanciers (9%, 14% des plus modestes). A défaut, ils ont recouru au paiement en plusieurs fois (23%), au découvert autorisé (20%) ou au crédit conso (12%).

Des stratégies qui ont fonctionné, mais pour combien de temps ?

Reste désormais une question : combien de temps ces stratégies permettront-elles de maintenir à flot les ménages fragilisés ? Dans un contexte de début 2024 marqué par « une décélération de l'inflation » mais aussi « une légère dégradation du chômage » et peut-être « une difficulté à reconstituer le levier de l'épargne » dépensée en 2023, Mark Béguery, directeur des particuliers de la Banque de France, se dit « prudemment optimiste » : « Nous ne prévoyons pas à ce stade d'explosion des incidents (...), peut-être davantage une légère augmentation ».

(1) Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation des Conditions de Vie. (2) Pour les besoins de l'étude, le Credoc a isolé les résultats des 30% des Français les plus modestes, ceux dont les revenus sont inférieurs à 1 347 euros par mois et par unité de consommation. Soit 2 828 euros par mois, par exemple, pour une famille avec deux enfants âgés de moins de 14 ans.