Face au choc économique qui frappe les entreprises, le gouvernement a assoupli les règles encadrant notamment la prise de congés et le chômage partiel. Est-ce la porte ouverte à des inégalités entre collègues ?

A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. La crise entraînée par l'épidémie de coronavirus a poussé le gouvernement à adapter la législation afin de limiter la casse pour les entreprises. Ainsi, quelques jours après l’annonce du confinement, le recours à l’activité partielle (ou chômage partiel) a été largement facilité et réformé. Le dispositif couvre depuis la totalité des indemnisations versées par l’employeur aux salariés dans la limite de 4,5 Smic. Les salariés reçoivent quant à eux au moins 84% de leur rémunération nette durant les heures chômées. Résultat, les entreprises ont massivement recours à ce dispositif : 10,8 millions d'employés, soit 1 salarié sur 2, sont désormais au chômage partiel.

Pour accompagner la relance de l'activité, le gouvernement a décidé la semaine dernière de lâcher un peu plus de lest. Une ordonnance adoptée le 22 avril en Conseil des ministres donne la possibilité aux entreprises d’individualiser le chômage partiel selon le salarié. « Avant, les entreprises pouvaient individualiser les heures chômées au sein d'un même établissement, service ou atelier mais alternativement, de sorte que, sur la totalité de la période d'activité partielle, les salariés aient le même nombre d'heures chômées », rappelle à MoneyVox Mohamed Materi, avocat associé au sein du cabinet Fromont Briens. Désormais, il est possible que les salariés ne passent pas le même nombre d’heures au chômage technique. Ainsi, en théorie, certains pourraient être mis au repos forcé total quand, au même moment, leurs collègues directs continueraient à travailler à un rythme normal et à toucher leur salaire habituel.

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Des garde-fous anti-discrimination

« Les principes du droit du travail n'ont pas été mis en sommeil »

Toutefois pour éviter les risques de discrimination injustifiée par la crise actuelle, des garde-fous ont été prévus. Pour avoir recours au chômage partiel individualisé, l’employeur doit obtenir au préalable un accord collectif, ou, à défaut, un avis favorable du comité social et économique (CSE) ou du conseil d'entreprise (CE). De plus, le document doit décrire précisément « les compétences identifiées comme nécessaires au maintien ou à la reprise de l'activité », « les modalités et la périodicité », ainsi que « les critères objectifs, liés aux postes, aux fonctions occupées ou aux qualifications et compétences professionnelles » justifiant une répartition différente des heures chômées. « Les principes du droit du travail n'ont pas été mis en sommeil. Pour qu'il y ait une inégalité de traitement, il faut qu'elle s'explique par des critères objectifs. La situation de crise ne peut pas justifier toutes les pratiques. Et, dans les prochains mois ou années, les éventuels contentieux donneront aux juges l'occasion de le rappeler », tempère Mohamed Materi.

Parmi ces critères objectifs : le fait, par exemple, que le projet sur lequel travaillent quelques salariés soit totalement à l’arrêt à cause de l’épidémie (sans que cela affecte tous les membres du service). En revanche, les différences de traitement fondées sur la personne, sa productivité ou sa situation familiale sont interdites. « L'employeur ne peut pas décider de mettre quelqu'un en activité partielle car il a des enfants. Le basculement de l'arrêt garde d'enfant en activité partielle est décidé par le salarié », illustre Mohamed Materi.

Des congés imposés facteur d’inégalités ?

« L'entreprise ne peut pas imposer à la « tête du client » la prise de congés »

Pour aider les entreprises à adapter leurs effectifs au ralentissement de l’activité économique, l’exécutif a également ouvert la possibilité d’imposer jusqu’à 6 jours de congés payés aux salariés du privé, sous réserve d’avoir obtenu un accord collectif. Là encore, les inégalités de traitement non justifiées restent interdites. « L'entreprise ne peut pas imposer à la « tête du client » la prise de congés. L'idée de la mesure est notamment de solder les congés pour les collaborateurs que l'employeur prévoit de placer en activité partielle », assure le spécialiste en droit du travail.

Un dispositif semblable de congés imposés a également été pris dans le secteur public. Les fonctionnaires et agents de l’Etat se retrouvant en autorisation spéciale d’absence (ASA) – notamment pour garder leurs enfants – vont devoir prendre 10 jours de congés. Cette mesure a attiré les foudres des organisations syndicales. « Les femmes, notoirement discriminées dans le versement des primes, risquent fort de l’être une fois de plus, notamment parce que ce sont elles très majoritairement qui se retrouvent en position d’ASA pour la garde des enfants », ont notamment pointé la CGT, FO, FSU, Solidaires et FAFP de la Fonction publique dans un communiqué commun.