Les dépôts à vue des particuliers frisent les 550 milliards d'euros, un record. En moyenne, chaque ménage détient plus de 18 400 euros sur son compte courant. Une somme colossale qui soulève de nombreuses questions.

C'est un placement qui fait un carton et sur lequel les Français ont encore misé près de 30 milliards d'euros depuis le début de l'année : le compte courant. Selon les dernières données publiées par la Banque de France, les dépôts à vue représentaient un pactole de près de 544 milliards d'euros. C'est bien plus que les 491,8 milliards d'euros déposés sur le Livret A et sur le Livret de Développement Durable et Solidaire (LDDS), d'après les chiffres de la Caisse des dépôts et consignations arrêtés à fin juillet.

Et surtout, cela représente une moyenne de 18 430 euros sur les comptes courants de chacun des 29,5 millions de ménages français, contre moins de 7 000 euros il y a encore 15 ans. Un montant a priori hallucinant. Et pourtant. Sur le forum de MoneyVox, un internaute rapporte ainsi que sa mère de 70 ans « laisse dormir » 160 000 euros de liquidités sur son compte courant.

Comptes courants des ménages en France

L'inflation grignote l'argent du compte courant

Autre exemple : dans sa dernière déclaration de patrimoine, publiée en décembre 2021, le chef de l'Etat, Emmanuel Macron, indiquait posséder 166 685,90 euros sur son compte courant joint du Crédit Mutuel, l'équivalent de près d'un an de son salaire. Bien au-delà des 3 à 6 mois de revenus de précaution qu'il est conseillé de garder en cas de coup dur. Et une très mauvaise affaire pour les personnes concernées au moment où l'inflation flirte avec les 6%. En effet, hormis à la Macif ou chez Groupama, aucune banque ne rémunère les dépôts à vue. Laisser trop d'argent sur son compte courant, c'est la garantie de perdre encore plus de pouvoir d'achat.

Epargne de précaution : quel montant, sur quel compte ou livret ?

« Le conseiller bancaire, par son devoir de conseil, doit orienter le client vers des produits qui lui évitent une dévalorisation trop importante de ses avoirs particulièrement dans ce contexte de forte inflation. Cela passe d'abord par de l'épargne réglementée sans risque (Livret A, LDDS, PEL...). Mais j'ai constaté que certaines typologies de ménages, notamment chez les personnes âgées, même avec un patrimoine moyen, préfèrent coûte que coûte avoir un pied de compte important de plusieurs dizaines de milliers, voire plusieurs centaines de milliers d'euros. Elles préfèrent un compte courant très bien rempli plutôt que de placer leurs économies ailleurs même sur des produits très peu voire pas risqués », explique Aurélien Soustre, représentant de la CGT-banques et assurances au Comité consultatif du secteur financier.

Une succession de crises

Une hausse des dépôts bancaires qui s'est amplifiée à partir de la crise financière de 2008 puis de celle des dettes souveraines, du coronavirus et désormais de l'inflation. « En période de crise, il y a une volonté très forte de conserver de la liquidité », explique l'économiste Philippe Crevel. La crise du Covid a entraîné par exemple une épargne supplémentaire des Français évaluée à 175 milliards d'euros entre 2020 et 2021, d'après la Banque de France.

« En 2008, les encours des dépôts à vue des ménages pesaient 18% de leur revenu disponible. Ce chiffre a grimpé progressivement à 37,4% en 2021. Si jusqu'ici les ménages gardaient autant d'argent sur leurs comptes courants, c'était lié au peu d'intérêt à aller placer leurs liquidités sur des produits d'épargne comme le Livret A, les produits bancaires ou les fonds euros de l'assurance vie, dont l'ensemble des rendements étaient déprimés », explique Cyril Blesson, macroéconomiste et co-fondateur des Cahiers de l'épargne.

D'après ce spécialiste, le recours massif aux dépôts à vue devrait s'arrêter avec la hausse des taux d'intérêt. En effet, le Livret A dont la rémunération est passé à 2% au 1er août pourrait ainsi être relevé au-delà de 3% lors de sa prochaine révision au 1er février. Par ailleurs, les rendements des fonds euros de l'assurance vie devraient eux aussi se redresser. Et les meilleurs pourraient même dépasser le taux du Livret A. Dans ce contexte, les particuliers auront plus d'intérêt à déposer leur argent sur des produits qui rapporteront un peu plus.

Un double risque sur son compte courant

« D'après nos calculs, les comptes courants devraient voir leur encours augmenter encore de 32 milliards d'euros cette année et de 5,6 milliards d'euros seulement en 2023. Ensuite, à partir de 2024, il devrait y avoir le début d'une décollecte sur les dépôts à vue. Mais le mouvement pourrait même être plus rapide à se matérialiser ! » souligne Cyril Blesson.

En attendant, garder un maximum d'argent disponible sur son compte courant est une pratique doublement risquée. « D'une part, la garantie des dépôts sur les comptes bancaires en cas de faillite de la banque est de 100 000 euros maximum, prévient Aurélien Soustre. D'autre part, en cas de fraude sur le compte bancaire, celle-ci peut être plus difficile à détecter par le client. Il est plus compliqué de s'apercevoir d'une fraude de 1 000 euros sur son compte bancaire qui contient 50 000 euros plutôt que 5 000 euros par exemple. »