L'an passé, vous pensiez avoir bien négocié ? Une augmentation de 3% suffisait pour battre l'inflation... A l'approche de l'année 2023, l'inflation navigue au-dessus de 6% avant un probable pic début 2023. Faut-il se baser sur ces chiffres pour négocier ?

Négocier une augmentation est toujours une affaire individuelle. Selon vos projets, le marché de l'emploi, votre charge de travail, votre rôle dans l'entreprise, etc. Mais en cette période où la France fait face à une forte inflation pour la première fois depuis les années 1980, la question se pose aussi de façon collective : faut-il réclamer a minima que votre salaire suive la hausse des prix ? Et si oui, laquelle ? Les 5,2% d'inflation estimée par l'Insee sur l'année 2022 (en comparaison à 2021) ? Les 6,2% estimés pour novembre 2022 par rapport à novembre 2021 ? Ou les plus de 7% pronostiqués (1) pour janvier ou février 2023, la faute à l'évolution prévue du bouclier tarifaire ? Le point en 3 questions.

1 - Combien les entreprises prévoient-elles d'accorder ?

4%. Environ. Ce pourcentage ressort de toutes les études récentes sur les hausses de salaires 2023 et sur les négociations annuelles. « Pour 2023, les entreprises prévoient une augmentation moyenne de 4%, soit 0,5 point de pourcentage de plus que l'augmentation réelle accordée en 2022 [3,5%, et 2,3% en 2021, NDLR] », annonce WTW, qui a mené une étude auprès de 627 entreprises françaises. 4,05% selon l'étude annuelle sur les rémunérations de People Base CBM, qui se base sur les données individuelles de 644 entreprises. Et même 4,3% voire un peu plus selon l'enquête Inflation-salaires 2022-2023 du cabinet de conseil RH Alixio. Même la Commission européenne estime à 4,5% la progression du salaire moyen en France dans ses prévisions économiques 2023.

« On estime à +3,5% les augmentations de salaires sans évolution de poste »

« Nous anticipons une hausse globale d'environ 4% en 2023 », confirme Franck Chéron, spécialiste du conseil RH et associé Deloitte, qui mesure l'évolution globale des budgets d'augmentation. « C'est bien une hausse de la masse salariale. Dans le détail, on estime à +3,5% les augmentations de salaires [sans évolution de poste], et à +0,5% les hausses de rémunération dues à des évolutions de poste. »

Salaire 2023 : qui va profiter de l'augmentation globale de 4% ?

2 - Cadre ou non, proche du Smic, PME... Qui sera le plus augmenté en 2023 ?

Des entreprises qui n'accordent aucune augmentation en 2023 ? Elles existent mais elles sont extrêmement rares. 99% des entreprises étudiées par le cabinet People Base CBM vont a minima procéder à des augmentations individuelles, pour plus de la moitié de leurs salariés. Et quasi 58% des sociétés vont verser une augmentation généralisée à leurs salariés, à hauteur de 2,99% d'augmentation généralisée, contre un peu moins de 42% sociétés enclines à la hausse globale l'an passé ou 31% en 2019.

« Les salaires des non-cadres devraient plus progresser que ceux des cadres »

Qui en profitera le plus ? « Les salaires des non-cadres devraient plus progresser que ceux des cadres », affirme Franck Chéron en reconnaissant que cette prévision est « inhabituelle ». Première explication : un rattrapage des petits salaires, « plus durement touchés » par l'érosion du pouvoir d'achat que les autres, face à l'inflation, comme le rappelle le secrétaire national de la CFDT Luc Mathieu. Seconde explication : les trois hausses automatiques du Smic qui ont émaillé 2022, pour une progression globale de 5,6%. Or « 12% de la population salariée est au Smic », appuie Luc Mathieu. Et la progression du Smic pousse par ricochet les entreprises à augmenter les « petits » salaires, situés entre le Smic et le salaire médian, actuellement situé à 2 005 euros nets.

« Même le secteur non lucratif prévoit des augmentations »

Dernier signe que les négociations annuelles de cette fin 2022 et du début 2023 vont détonner : Franck Chéron, de Deloitte, souligne que « même le secteur non lucratif [associatif, ESS, etc.] prévoit des augmentations, en moyenne de 2%, ce qui est inhabituel ». Un phénomène qui dépasse donc le cadre des seuls secteurs moteurs (énergie, finance, pharmacie, etc.). Les augmentations concernent bien l'ensemble des salariés : « c'est effectivement bien plus généralisé qu'à l'accoutumée », reconnaît Franck Chéron.

Autrement dit, quel que soit votre poste ou votre secteur d'activité, la question de l'augmentation de salaire n'a donc rien de tabou cette année. Elle concerne tous les salariés.

3 - Faut-il viser les 4% d'augmentation moyenne ou les 6% d'inflation ?

Votre patron vous annonce 5% d'augmentation : devez-vous vous estimer chanceux, puisque vous faites mieux que la moyenne... ou perdant face à l'inflation qui va bientôt briser la barre des 7% ? Le secrétaire national de la CFDT n'hésite pas une seconde : « Que les négociations salariales aboutissent à des augmentations est évidemment satisfaisant... mais attention : quand on défalque l'inflation, le pouvoir d'achat net va reculer ! Et c'est une nouveauté, une première depuis environ 40 ans ! » Sous-entendu : demander 7% n'a cette année rien d'indécent.

« Le pouvoir d'achat net va reculer ! C'est une première depuis 40 ans ! »

« Avec l'inflation, on est dans une logique d'instantané, nuance Franck Chéron, spécialiste des ressources humaines chez Deloitte. Si jamais elle avait atteint 15%, les entreprises n'auraient pas pu suivre. Comparer les hausses salariales à l'inflation est logique... mais il faut prendre un peu de recul. » Franck Chéron rappelle la hausse globale des salaires de 2,5% effectuée en 2022, et ajoute : « Il ne faut pas oublier le gain de pouvoir d'achat des 15 dernières années : environ 14% en 15 ans, donc quasiment 1% par an. »

L'argument de l'instantanéité de l'inflation se retrouve aussi dans les dernières prévisions économiques de La Banque Postale, qui planche sur le risque tant craint par Bercy d'une « spirale prix-salaire en France » : l'inflation va décliner mais rester très élevée 2023, notamment poussée par la hausse des salaires, prévoit La Banque Postale, avant « une nette décélération des salaires (+2,6%) » en 2024 et une stabilisation des hausses de prix entre 2% et 4% selon les différents scénarios envisagés.

« Aujourd'hui, il n'y a pas de boucle inflation-salaire »

« Aujourd'hui, il n'y a pas de boucle inflation-salaire », s'agace le syndicaliste Luc Mathieu. « Ce serait le cas si les salaires augmentaient plus vite que les prix, ce qui a pu se passer pendant les années 1970. Ce n'est pas le cas aujourd'hui ! » Luc Mathieu rappelle en outre que les hausses programmées de 15% des prix du gaz et de l'électricité début 2023 vont non seulement pousser l'inflation ponctuellement au-dessus de 7% (1) mais aussi mécaniquement enclencher une nouvelle hausse automatique du Smic à l'issue du 1er trimestre 2023, et ce malgré l'augmentation annoncée de 1,8% au 1er janvier. A ce rythme, le Smic va rapidement se rapprocher du salaire médian.

Salaires du privé : les chiffres clés

  • 1 329,05 euros : Smic net en cette fin 2022, avant une probable revalorisation de 1,8% au 1er janvier 2023, soit environ 1 353 euros,
  • 1 343 euros : salaire net des 10% des salariés gagnant le moins en 2020 selon l'Insee,
  • 2 005 euros : salaire net médian (50% des salariés gagnent plus, 50% gagnent moins) en 2020,
  • 2 518 euros : salaire net moyen, à temps plein, en 2020,
  • 4 033 euros : salaire net des 10% des salariés gagnant le plus.

Outil interactif : Combien de salariés gagnent plus ou moins que vous ?

(1) Prévision de l'OCDE au 1er trimestre 2023.