5,3 millions de personnes vivent avec moins de 885 euros par mois selon un rapport sur la pauvreté en France, diffusé ce jeudi. Et les conséquences de la crise économique liée à l'épidémie de coronavirus risquent d'aggraver ce constat, notamment chez les jeunes. Mais certains cadres, chefs d’entreprises ou encore indépendants ne seront pas épargnés.

C’est une étude qui va être très scrutée. Le rapport sur la pauvreté en France, réalisé par l’Observatoire des inégalités et publié ce jeudi, fait état d’une hausse sensible du nombre de personnes qui vivent avec moins de 885 euros par mois. Selon les dernières statistiques disponibles de l’Insee, en 2018, 5,3 millions de pauvres étaient sous ce seuil de 50% du niveau de vie médian, soit 8,3% de la population. Et ils sont de plus en plus nombreux, souligne ce document qui consacre une partie de son analyse aux nouveaux visages de la pauvreté.

600 000 personnes pauvres en plus

En 20 ans, 600 000 personnes de plus sont devenues pauvres, c’est plus que la population de la ville de Lyon par exemple. Parmi elles, plus d’un tiers sont en âge de travailler mais en incapacité de le faire ou sont découragés par le manque d’emplois. Deuxième catégorie : les enfants vivant dans les familles pauvres. « Le niveau de vie des enfants est particulièrement sensible à la hausse du chômage, parce que leurs parents sont généralement actifs et donc concernés. Les enfants sont touchés également par l’augmentation du nombre des séparations des couples qui expose de plus en plus de mères, en particulier, à la pauvreté », note le rapport. L’autre population qui a vu son effectif augmenter, ce sont les salariés pauvres. Ils sont 163 000 de plus.

Au global, « ouvriers et employés représentent à eux seuls 60% des personnes pauvres qui vivent dans un ménage dont la personne de référence est active, selon les données 2017 de l’Insee. Le taux de pauvreté est de 9% chez les ouvriers et de 10,9% chez les employés », constate l’Observatoire des inégalités. Parmi eux, les plus touchés sont les ouvriers non qualifiés et les personnels des services aux particuliers (femmes de ménage notamment) avec un taux de pauvreté respectif de 15 et 25%.

« Une frange des indépendants vit avec de très faibles revenus »

La pauvreté est le plus souvent le résultat de revenus du travail insuffisants, lesquels découlent pour une grande part du niveau de qualification. Mais « le lien n’est bien sûr pas systématique », écrit le rapport. En effet, même s’ils sont proportionnellement beaucoup moins touchés, la pauvreté au sein des ménages dont la personne de référence appartient à la catégorie des cadres et des professions intellectuelles dites supérieures atteint 203 000 personnes (adultes et enfants confondus), soit un taux de pauvreté de 2,3%. Il s’agit de cadres avec des salaires « faibles » ayant des charges familiales importantes et dont le conjoint ne travaille pas, par exemple, ou bien encore d’une personne qui élève seule ses enfants.

La situation est encore plus prononcée pour les « agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise » avec un taux de pauvreté qui atteint 16,3% et concernent plus de 730 000 personnes. « Les données de ces professions sont difficilement comparables à celles des salariés car les méthodes de comptabilisation des revenus ne sont pas les mêmes. Une partie d’entre eux peuvent déclarer des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, mais disposer de conditions de logement et de vie décentes grâce à leur activité professionnelle. Pour autant, toute une frange des indépendants vit avec de très faibles revenus : les écarts sont gigantesques au sein de ce groupe », signale le rapport.

Et avec la crise actuelle, la situation risque de s’aggraver. « On peut voir arriver de nombreux chefs d’entreprise ou d’indépendants - jusqu’ici considérés comme plus favorisés - qui vont perdre leur activité et basculer vers le RSA car ils n’ont pas de chômage », poursuit l’Observatoire contacté par MoneyVox. Malgré les dipositifs d’aides mis en place par le gouvernement pour soutenir les entreprises en difficultés, une vague de faillites est redoutée en 2021. Un reportage diffusé ce jeudi matin sur France Inter faisait ainsi état de la détresse psychologique de nombreux patrons, au bord du suicide pour certains. « Un chef d'entreprise doit s'occuper de ses salariés, de ses clients, adopter des règles, des normes. La question c'est : qui s'occupe de lui quand tout va mal ? », indique Marc Binnié, le président de l’association spécialisée Apesa (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë).

L'impact inquiétant de la récession

Au final, « quel sera l’impact de la récession causée par la pandémie de coronavirus ? 500 000 personnes pauvres de plus ? Un million ? », s’inquiète Louis Maurin, le directeur de l’Observatoire des inégalités. Nous allons en payer les dégâts, avec une progression attendue et dévastatrice du chômage. Compte tenu aussi de la perte de revenus subie par les demandeurs d’emploi, de la baisse d’activité de certains non-salariés, plusieurs centaines de milliers de personnes ont déjà basculé sous le seuil de pauvreté ».

Pour Louis Maurin, si « la France reste l’un des meilleurs modèles sociaux au monde, qui protège mieux les pauvres que la plupart des autres pays riches, cela ne veut pas dire que la situation n’est pas inquiétante ».

Quel est le seuil de pauvreté ?

Selon l’Insee, 9,3 millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté monétaire, qui correspond à 60% du niveau de vie médian de la population, soit 1 063 euros par mois pour une personne seule en 2018. Ce seuil « prend en compte des situations sociales très hétérogènes, qui vont de ce que l’on appelait il y a quelques années le quart-monde jusqu’à des milieux sociaux que l’on peut qualifier de très modestes », estime l’Observatoire des inégalités pour qui « ce mélange de situations sociales très différentes entretient la confusion ». Dans ce contexte, ce rapport fait principalement référence à un seuil de pauvreté de 50% plutôt que pour celui de 60%.