Depuis le début de la décennie, les pouvoirs publics cherchent activement à réduire les usages du chèque, auquel les Français restent spectaculairement attachés. Y sont-ils parvenus ? Peut-on aujourd’hui se passer de chéquier en France ?

Michel Sapin a-t-il déclaré la guerre au chèque ? Le mot est sans doute un peu fort, mais depuis plusieurs mois, le ministre du Budget a multiplié les signes de sa volonté de réduire l’usage de ce moyen de paiement inventé en Angleterre et dont l’introduction en France remonte… à un siècle et demi.

Dernier exemple en date : dans le cadre de la loi dite « Sapin II » (1), en cours d’examen par le Parlement, il a proposé de réduire à six mois, contre douze, actuellement le délai de validité du chèque. Une évolution votée par l'Assemblée nationale et soumise à présent au Sénat, qui ne change pas fondamentalement ses usages, mais dont l’objectif est clairement annoncé dans l’exposé des motifs de la loi : « encourager l’utilisation de moyens de paiement alternatifs au chèque, rapides, sécurisés et accessibles ».

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Le chèque plie mais re rompt pas

Michel Sapin n’est pas le premier pensionnaire de Bercy à s’attaquer au chèque. Avant lui, Christine Lagarde avait en son temps, au début des années 2010, demandé aux banques de réfléchir à des alternatives, sous la forme de « virements de proximité ». Mais que reprochent-ils exactement au chèque ? En résumé, d’être insuffisamment sécurisé, source d’incidents de paiement et surtout très coûteux à traiter pour les banques.

Les usagers, de leur côté, lui concèdent aussi de très gros avantages. « Ce qui remonte de nos adhérents, c’est qu’ils souhaitent toujours payer par chèque, car il est gratuit (2) et qu’il leur permet de garder la mainmise sur leurs dépenses. », confirme Sandrine Perrois, juriste à la CLCV, une des principales associations de consommateurs français.

Certes, l’âge d’or du chèque est passé. La carte bancaire l’a délogé, dès 2003, de son statut de moyen de paiement le plus utilisé en France, hors espèces. Depuis cette date, le nombre de chèques émis décline régulièrement, d’environ 5% par an en moyenne. Mais contrairement à ce qui s’est passé dans des pays comparables à la France (la Grande-Bretagne ou l’Italie, notamment), il ne s’écroule pas. Les Français ont ainsi signé en 2014 près de 7 chèques sur 10 émis en Europe. Soit un total de 2,5 milliards, tout de même.

Des alternatives encore insuffisantes

Cette survivance n’est pas seulement la conséquence d’une forme de conservatisme des Français. Même contraint et forcé, se passer de chéquier reste aujourd’hui très compliqué dans l’Hexagone. « Dans certaines situations, c’est le seul moyen de paiement possible : pour faire un cadeau ou rembourser de l’argent à quelqu’un, pour régler l’adhésion à un association, ou son médecin… », confirme Sandrine Perrois.

En mars 2011, une étude sur l’utilisation du chèque en France, commandée par Christine Lagarde, avait ainsi listé 6 situations dans lesquelles il n’existait pas d’alternative au chèque :

  • les adhésions et dons aux petites associations ;
  • les paiements de biens et services fournis par les comités d’entreprises ;
  • les ventes ou les remboursements entre particuliers ;
  • les dépôts de garantie immobiliers ;
  • les règlements aux avocats, aux notaires, aux médecins ;
  • les arrhes versés pour certaines activités de loisirs.

Cinq ans plus tard, certaines évolutions sont évidemment à noter. Depuis mars 2013, les notaires, par exemple, ont l’obligation de recourir au virement pour tous les paiements supérieurs à 3.000 euros. La première directive européenne sur les services de paiement, avec la création d’un statut d’établissement de paiement, a aussi permis l’émergence de nouveaux acteurs proposant des services de paiements entre particuliers. Mais leurs usages restent encore balbutiants. Et « ces alternatives ne sont pas accessibles à tous, car souvent liées au mobile ou au web », déplore Sandrine Perrois.

Vers le tout-carte bancaire dans les commerces

Certains secteurs, à l’inverse, sont proches de se passer du chèque. C’est le cas du commerce de détail. Longtemps, les petits commerçants ont préféré le chèque à la carte pour les paiements de petit montant, en raison notamment du poids des frais fixes facturés par les banques et malgré les risques de fraude et d’impayés. Le gouvernement, toutefois, fait preuve de volontarisme. Dans sa stratégie nationale sur les moyens de paiement publiée en octobre 2015, il a ainsi fait du tout-carte bancaire dans les points de vente physiques un objectif à moyen terme. Sous pression, les banques sont en train de revoir à la baisse leur politique tarifaire. Si on y ajoute la généralisation en cours du paiement sans contact, le règlement par carte bancaire dès le premier euro devrait prochainement devenir une réalité partout ou presque.

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Dans les administrations, l’abandon progressif du chèque est également bien engagé, au profit des prélèvements, des virements, voire de la carte bancaire, de plus en plus souvent acceptée. Le gouvernement s’est aussi engagé à mettre à la disposition des collectivités locales des interfaces permettant d’accepter les prélèvements. En attendant, toutefois, le paiement par chèque reste bien utile dans certaines communes lorsqu’il s’agit de régler la facture de cantine des enfants.

« Laisser le choix »

Au bilan, il apparaît donc bien que le chèque reste indispensable dans la vie de nombreux Français, et notamment des familles. Il a donc encore de belles années devant lui. Prudent, le gouvernement se refuse d’ailleurs à fixer une date pour sa mise à mort. La CLCV, de son côté, « n’oppose pas un non catégorique à sa disparition », explique Sandrine Perrois, mais la refuse « tant qu’il n’existe pas d’alternative gratuite, simple et accessible à tous » et estime que « la meilleure solution est de laisser le choix. » A bon entendeur…

(1) Projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

(2) La gratuité du chèque pour l’usager est inscrite dans le code monétaire et financier.