L'amour et l'argent peuvent faire des étincelles. Afin d'éviter les mauvaises surprises, Héloïse Bolle, conseillère en gestion de patrimoine chez Oseille & compagnie et auteure de « Les bons comptes font les bons amants (1) » et de « Aux thunes, citoyennes ! (2)», nous donne cinq conseils.

Au moment de s'installer à deux, on oublie de penser à ses intérêts, dites-vous ! L'amour rend-il aveugle ?

Héloïse Bolle : « Aujourd'hui, personne ou presque ne vous dira : « je vais me marier avec quelqu'un qui est riche et donc, je vais être à l'abri », et heureusement ! Le mariage d'intérêt n'existe plus. L'époque où on épousait son voisin pour agrandir les terres de la famille, c'est fini. Mais à l'inverse, on en vient à oublier ses intérêts. Or ce n'est pas égoïste que d'y penser. C'est même faire preuve de réalisme. Nous vivons dans un monde où 40% des couples mariés finissent par divorcer. Donc même si a priori, ce n'est pas très romantique de penser à l'argent au début d'une relation, mieux vaut envisager les conséquences d'une séparation pour éviter de finir le bec dans l'eau. »

« Il y a une confusion entre ce qui vous appartient en propre et ce qui est commun au couple. »

D'où l'importance de bien choisir son régime matrimonial ?

HB : « Pour les couples mariés, le régime matrimonial c'est la structure qui va régir leurs finances et donc une partie de leur vie quotidienne. L'immense majorité ne sait pas ou ne comprend pas le fonctionnement du régime qui lui est appliqué. Pourtant, c'est essentiel de savoir dans quoi on s'embarque et les conséquences potentielles. Aujourd'hui, 80% des couples mariés n'ont pas de contrat et se voient appliquer par défaut le régime de la communauté réduite aux acquêts. Ce régime prévoit en résumé que tout ce qui est acheté au cours du mariage est commun, même si un seul des époux paye. Résultat, il y a une confusion entre ce qui vous appartient en propre et ce qui est commun au couple. Si vous vivez avec quelqu'un qui est dépensier et qu'à l'inverse vous faites l'effort d'épargner, sachez qu'en cas de divorce, vous devrez lui régler la moitié de ce que vous avez économisé durant votre vie de couple marié.

C'est pour cela que je recommande d'opter pour le contrat de mariage en séparation de biens. C'est le système le plus clair : rien n'est mis en commun. Tous les biens, revenus tirés de ces biens ou encore l'épargne restent la propriété de l'époux avant ou après le mariage. Vous pouvez ensuite décider d'avoir des poches de dépenses communes. Dans un monde où de plus en plus de personnes créent leur propre activité professionnelle, ce régime a, en plus, l'avantage de protéger les biens du conjoint des créanciers professionnels. Encore faut-il qu'il ne se soit pas porté caution personnelle.

Je conseille même aux couples récemment mariés sans contrat d'aller voir leur notaire pour prendre le régime de séparation de biens. Cela vaut aussi pour ceux qui ont opté pour le régime de la participation aux acquêts, qui mélange séparation et communauté, ou pour le régime de la communauté universelle. Surtout qu'il n'est plus nécessaire d'attendre 2 ans pour effectuer ce changement. Mais il faut le faire le plus tôt possible, quand la valeur du patrimoine commun n'est pas encore trop importante. En effet, la liquidation du précédent régime matrimonial peut coûter très cher car il y a des émoluments et des taxes à régler, proportionnels à la valeur des actifs communs. En clair, plus la communauté s'est enrichie, plus le changement de régime coûte cher.

Attention, la séparation de biens suppose que les deux continuent à travailler à plein temps et à avoir une capacité d'épargne à peu près équilibrée. Dans les couples où l'un s'arrête de travailler longtemps ou passe à temps partiel pour s'occuper davantage du foyer, cela peut être dangereux.

Celui (ou celle, le plus souvent) qui sacrifie sa carrière sacrifie aussi alors sa capacité d'épargne, son patrimoine futur, et ses revenus futurs en cotisant moins, ou pas du tout, pour sa retraite. Dans ce cas, la séparation de biens est ce qui se fait de pire car elle renforce la précarité financière.

Si philosophiquement, pour vous, il est important de ne pas être en séparation de biens et de partager vos biens avec votre époux, c'est un choix qui se respecte, mais choisissez en connaissance de cause ».

Et pour le Pacs ?

H.B. : « Je préfère le régime applicable par défaut de la séparation des patrimoines. Chacun est propriétaire des biens qu'il acquiert durant le Pacs même s'il est possible d'acheter un bien ensemble en indivision où la participation de chacun est consignée dans l'acte. Si vous optez pour le régime de l'indivision pour le Pacs, les biens achetés à deux ou séparément durant le Pacs vous appartiennent seulement pour moitié, peu importe si votre conjoint a financé en partie, en totalité, voire pas du tout l'achat ».

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« ll faut fuir le 50/50 si on n'a pas les mêmes revenus : chacun doit contribuer à hauteur de ses moyens. »

Et comment gérer l'argent au quotidien dans un couple ?

H.B. : « En premier lieu, il faut fuir le 50/50 si on n'a pas les mêmes revenus : chacun doit contribuer à hauteur de ses moyens. Ensuite, il faut opérer un partage des tâches financières. Les finances d'un couple, ce n‘est pas un aspect qu'on peut déléguer à son partenaire. C'est la porte ouverte aux pires conséquences : se retrouver démuni sur tous les sujets financiers en cas de séparation ou de deuil. Avoir une idée précise de ses finances et de celles de son couple permet un équilibre dans les prises de décisions importantes : un choix éclairé avec deux avis qui ne seront pas forcément les mêmes au départ.

Dans ce contexte, faites la déclaration de revenus à 2 et ne déléguez pas à votre conjoint les rendez-vous chez le banquier, surtout pour les décisions financières importantes : pas besoin d'être bac + 12 pour comprendre le fonctionnement d'un crédit immobilier ou d'un placement financier. Petit rappel : si vous ne comprenez pas un placement, surtout ne le prenez pas. »

Vous recommandez d'ailleurs d'ouvrir deux comptes joints !

H.B. : « Pour les dépenses courantes (nourriture, facture d'énergie, crèche...), un compte joint, c'est quand même plus simple pour s'y retrouver et plus équitable. Chacun doit y contribuer à la hauteur de ses moyens. Pour les impôts et le remboursement des échéances du crédit immobilier, j'estime qu'il faut ouvrir un autre compte joint spécifique. Optez pour un compte support, sans moyen de paiement (pas de chéquier, pas de carte bleue) car les frais seront réduits à la portion congrue. Ce compte, sur lequel il y aura peu d'opérations au final, va permettre de tracer plus facilement ces grosses dépenses. De plus, que ce soit le fisc ou la banque pour le crédit immobilier, ils ne font le prélèvement que sur un seul compte.

Avoir un compte joint dédié évite que seul l'un des deux époux ne paye ses grosses dépenses et l'autre se charge des courses par exemple. Les impôts sont considérés comme une dépense personnelle, pas comme une dépense de ménage. Dans un contrat en communauté réduite aux acquêts, c'est sans incidence puisque tout est commun. Mais en séparation de biens, il y a déjà eu des cas où lors d'un divorce, Monsieur réclamait à Madame 40 années d'arriérés d'impôts ! Mieux vaut donc que les 2 membres du couple participent à ces dépenses et qu'elles soient clairement identifiées. »

Ouvrir un compte joint gratuit

Idem pour l'apport financier lors de l'achat d'un bien immobilier ?

H.B. : « C'est une précision qui est trop souvent omise par les couples. L'immobilier, c'est le plus gros poste de dépenses et l'élément du patrimoine le plus important. Les conséquences financières sont énormes en cas de séparation. Il est donc important de préciser exactement comment se répartissent les apports des deux époux, et surtout, dans une communauté, s'ils sont issus de biens propres ou de biens communs. En cas de séparation ou de disparition d'un des deux époux, cela permet à l'autre de prouver facilement la part de son apport financier.

Pour la partie financée à crédit en revanche, même chez les couples mariés sous le régime de la séparation de biens, la jurisprudence considère que la résidence principale est une dépense du ménage. Même si le remboursement a été fait de manière inégale, les tribunaux demandent aujourd'hui des partages à 50/50. Mieux vaut, donc, viser un remboursement à parts égales du crédit immobilier car au final la somme est divisée en deux, même si l'un des époux a davantage participé au financement que l'autre. »

(1) Les bons comptes font les bons amants, Héloïse Bolle, publié en mai 2019 au Cherche midi

(2) Aux thunes, citoyennes !, Co-écrit avec Insaff el Hassini, publié en janvier 2023 aux éditions Alisio