Le 1er janvier 2002, les pièces et les billets en euros ont fait leur entrée dans votre porte-monnaie. Pour le meilleur, ou pour le pire ? Vingt ans après, c'est l'heure du bilan.

Un changement d'ère. Adoptée comme monnaie officielle des Etats membres dès le 1er janvier 1999, l'euro devient une réalité pour les habitants de la zone euro au 1er janvier 2002.

Adieu les francs, les marks et la lire. L'euro se glisse alors dans les portefeuilles des 340 millions d'habitants de la zone euro sous la forme de pièces et billets. Mais si le projet suscite l'enthousiasme, ce changement d'unité monétaire - le premier en France depuis l'introduction du nouveau franc, en janvier 1960 - apporte aussi son lot de craintes.

Partout, on claironne alors la question à 100 000 euros (soit 655 957 francs très exactement) : le passage à l'euro a-t-il un coût pour les Français ? Et si oui, quel est-il ?

D'après les estimations du Centre de politique européenne, chaque Français aurait perdu 55 996 euros de pouvoir d'achat sur la période 1999-2017, soit environ 260 euros par mois sur 10 ans. Un chiffre choc, qui a depuis largement été remis en question. L'étude, en date de 2019, est en effet décriée pour ses méthodes, jugées peu scientifiques. A sa sortie, elle avait toutefois bénéficié d'une couverture médiatique importante, signe que le débat sur l'euro persiste, même 20 ans après.

Inflation sous contrôle

Pourtant, l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) l'a prouvé à plusieurs reprises : le passage à l'euro n'a eu qu'un impact modéré sur les prix.

Avant même son adoption, la maîtrise de l'inflation était en effet une problématique centrale pour l'euro. « L'Allemagne, traumatisée par la période d'hyperinflation qu'a connu le pays sous la république de Weimar, n'a accepté la monnaie unique qu'à condition que l'euro soit doté d'un mandat pour garantir la stabilité des prix, comme le mark avant lui », explique Eric Dor, directeur des recherches économiques à l'IÉSEG School of Management.

« L'objectif principal du Système européen de banques centrales (...) est de maintenir la stabilité des prix », peut-on ainsi lire dans l'article 127 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Mission accomplie ? Oui, si l'on en croit l'Insee : entre 2001 et 2016, les prix à la consommation auraient augmenté de 1,4% par an. C'est moins qu'au cours des quinze années qui précèdent l'introduction de l'euro, période durant laquelle l'inflation moyenne s'établit à 2,1% en France.

Malgré cela, rien n'y fait : les Français ont l'impression d'avoir été dupés. « Un décalage subsiste entre la froide réalité des statistiques et le ressenti des populations. Le jugement des consommateurs est d'autant plus surprenant que la France avait au cours des années 1970 et 1980 connu une inflation importante », note Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l'Epargne.

Inflation réelle ≠ inflation ressentie

Comparaison entre l'inflation perçue par les ménages et l'inflation réelle
Comparaison entre l'inflation perçue par les ménages et l'inflation réelle - Source : Insee

Sondage exclusif : les Français sont-ils attachés à l'euro ? Ont-ils l'impression que l'euro a provoqué une hausse des prix ? Et convertissent-ils encore en francs ?

Plusieurs explications sont avancées pour expliquer ce décalage. Les ménages accorderaient tout d'abord plus d'importance aux hausses de prix qu'aux tarifs stables ou en baisse.

Surtout, leur attention se serait concentrée sur les variations de prix des produits achetés les plus fréquemment. Or la recherche a prouvé que la transition du franc vers l'euro avait provoqué une légère hausse des prix sur les produits du quotidien : +0,3 points sur le pain et la pâtisserie et +1,5 point pour la consommation dans les cafés, observe notamment l'Insee. C'est ce que les économistes appellent « l'effet d'arrondi ».

Les commerçants sont alors pointés du doigt, accusés de profiter du changement de monnaie pour revaloriser leurs prix. Une hausse qu'il est toutefois difficile d'attribuer exclusivement à l'euro. « Au même moment, les boulangers, les restaurateurs et les cafetiers subissaient de plein fouet une augmentation du coût de leurs matières premières et la mise en œuvre des 35 heures », rappelle Philippe Crevel.

D'autant que l'impact de cet effet d'arrondi sur les prix s'avère anecdotique. « L'Insee estime que le basculement des grilles tarifaires du franc vers l'euro a provoqué une augmentation des prix de 0,1 à 0,2% sur l'année 2002 », poursuit l'économiste.

Les prix de certains produits, comme les gros appareils ménagers, auraient même baissé. Mais les hausses de prix touchent des produits emblématiques du quotidien. Il n'en fallait pas davantage pour que l'idée d'une perte de pouvoir d'achat liée à l'euro s'ancre durablement dans l'imaginaire collectif.

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Revenus en hausse

Le pouvoir d'achat n'est pas uniquement tributaire de la hausse des prix. « Le pouvoir d'achat, c'est ce que je peux m'acheter avec mon revenu », rappelle Eric Dor. « Toute la problématique, c'est donc de déterminer si l'euro a permis une augmentation des revenus plus soutenue que la hausse des prix ».

C'est le cas pour le pain. Selon l'Insee, une baguette coûtait 0,90 euro en moyenne en janvier 2021, contre 0,63 euro il y a 20 ans. Soit une hausse d'environ 40% depuis le passage à l'euro. Dans le même laps de temps, le Smic horaire brut est passé de 6,41 euros à 10,48 euros, soit près de 60% d'augmentation. Résultat : le temps de travail nécessaire pour s'offrir une baguette en étant rémunéré au salaire minimum recule depuis 2000.

Prix de la baguette au kilo - SMIC horaire

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L'euro ne peut pas tout

Quant à savoir si vous auriez gagné plus d'argent sans le passage à l'euro, c'est une autre histoire. Entrée dans la mondialisation, semaine des 35h, bulle Internet... L'apparition de l'euro est en effet concomitante de plusieurs autres phénomènes géopolitiques et financiers. Si bien que, comme le souligne la Banque de France : « Personne ne peut dire ce qui se serait passé sans l'euro. Il est tout simplement impossible d'isoler un phénomène et de faire abstraction de tous les autres ».

L'euro ne serait en somme qu'une variable parmi tant d'autres. « La mise en place de l'euro fiduciaire intervient à la fin d'un cycle de croissance qui a débuté en 1997 et qui s'est achevé avec l'éclatement de la bulle Internet. Le taux de croissance est passé de près de 3% à 1% rendant les négociations salariales plus difficiles à cette période, sans que cela soit directement lié au passage à la monnaie unique », confirme Philippe Crevel.

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Baisse d'impôts

Seule certitude : la France emprunte nettement moins cher depuis qu'elle a adopté l'euro, avec un spread (l'écart entre le taux de rentabilité d'une obligation et le taux d'un emprunt sans risque sur une durée similaire) à 1,9% entre 1986 et 1992 et 0,4% entre 2017 et 2018, d'après les chiffres de la Banque de France. Pour Eric Dor, « une dette libellée en euro, qui est une monnaie avec une forte légitimité, permet d'emprunter plus facilement et à des taux d'intérêt réduits. En ce sens, l'euro protège : sans lui, nous aurions sans doute subi une austérité carabinée suite à la crise sanitaire ».

« La monnaie unique a permis une baisse très nette des taux d'intérêt. Cet accès à un financement bon marché se traduit par des coûts moins élevés pour les ménages, les entreprises et pour l'Etat », abonde Philippe Crevel.

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72% d'opinions favorables

Pour finir, malgré des débuts difficiles, l'euro semble avoir remporté la bataille de l'opinion publique. Les Français se révèlent ainsi très attachés à la monnaie unique : 72% y sont favorables d'après les données de la Banque de France.

« A ce titre, la crise des dettes souveraines a été une période déterminante », décrypte Xavier Timbeau, économiste et directeur de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

A l'époque, tous les regards sont braqués sur la Grèce. Et une question occupe les esprits : un pays peut-il sortir de l'euro ? Mais en dépit des soubresauts qu'elle traverse, la zone euro ressort de la crise plus forte qu'auparavant. « Plusieurs pays ont sérieusement considéré l'idée de sortir de l'euro. Mais aucun ne l'a fait, ce qui marque la fin du fantasme d'un retour aux monnaies nationales », poursuit Xavier Timbeau.

Pour l'économiste, la crise de la dette grecque a également permis aux institutions européennes de réaliser que l'euro n'est pas immortel. « Les institutions ont compris que l'Europe devait apporter quelque chose aux peuples, et non représenter un coût pour eux. La gouvernance a beaucoup évolué, et les politiques se sont adoucies pour rendre l'euro soutenable économiquement mais aussi politiquement ».

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