Face à la crise de la dette, la Belgique et l’Italie ont choisi de recourir à des emprunts souscrits auprès de leur population. La France aurait-elle intérêt à faire de même ? Réponse avec Philippe Crevel, économiste et secrétaire général du Cercle des Epargnants.

Philippe Crevel, depuis 1993, et l’emprunt Balladur, aucun gouvernement n’a souhaité utiliser le levier de l’emprunt au grand public pour financer la dette nationale. Pourquoi cette disparition ?

« Pour des raisons technologiques d’abord. Avec la numérisation des marchés financiers et la cotation continue, c’est devenu plus simple et moins coûteux de demander aux grandes banques, françaises ou étrangères, de dispatcher les OAT (obligations assimilables au trésor, titres de dette de l’état, NDLR). Du coup, on a supprimé le petit emprunteur. Pour des raisons de volume ensuite. En 1993, le déficit budgétaire représentait quelques milliards d’euros. Aujourd’hui, ce sont des dizaines de milliards. Pour placer un tel volume, il fallait un changement de méthode. »

Avec la crise de la dette, la France aurait-elle un intérêt à revenir à ce type d’emprunt citoyen ?

« A l’heure actuelle, aucun. Malgré la crise, le taux des OAT françaises reste à un niveau historiquement bas. Se financer sur les marchés reste moins coûteux qu’un emprunt au grand public. Choisir cette option reviendrait donc à dépenser plus pour se financer, ce qui serait un mauvais signal envoyé aux agences de notation. Il y a aussi un problème de volume. En 2012, le besoin de financement de l’Etat représentera près de 200 milliards d’euros. Même en empruntant 10 milliards aux Français, il faudrait encore aller chercher 190 milliards à l’extérieur, sur les marchés. Il y a enfin d’autres effets pervers potentiels : l’effet d’éviction pour le crédit aux entreprises (ce qui ira au financement de la dette n’ira pas au financement des entreprises) ou l’impact sur d’autres supports, comme l’assurance-vie... »

D’autres pays, comme l’Italie ou la Belgique, ont pourtant annoncé leur intention d’y avoir recours.

« Oui, mais la situation française est très différente de celle de l’Italie ou de la Belgique. L’Italie, par exemple, n’a plus grand chose à perdre : elle emprunte déjà à plus de 7% sur les marchés. Et même dans son cas, le geste est avant tout politique, comme l’avait été en son temps l’emprunt Balladur. C’est un symbole, plus qu’un acte d’efficience économique. »

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Quel scénario pourrait amener la France à envisager d’émettre un emprunt citoyen ?

« La première des conditions serait une hausse brutale du taux des OAT françaises. A 7 ou 8%, un emprunt au grand public pourrait redevenir une priorité. Emis à 5% par exemple, il aurait l’avantage de faire prendre en charge par les citoyens une partie du risque liée à la dette. Il s'agirait alors d’afficher la mobilisation des épargnants. Ce serait une manière de dire aux agences de notation : vous dégradez notre note, mais le public français, lui, y croit. Une manière, également, de montrer que la France peut se passer des investisseurs extérieurs. »

Cette dimension politique, à quelques mois de l’élection présidentielle, ne pourrait-elle pas prendre le dessus et encourager le gouvernement à passer le pas ?

« Je ne crois pas, car ce serait trop périlleux. Il faudrait que le gouvernement soit sûr de son coup. Imaginons qu’il annonce un objectif de 10 milliards, et qu'il n’y parvient pas. Le signal envoyé serait celui d’une désaffection du public. A l’inverse, si le montant est trop modeste, cela passera pour une simple manoeuvre. Par ailleurs, cela signifierait également que nous continurions à nous endetter. Par contre, pourquoi pas après l’élection présidentielle ? On pourrait par exemple imaginer, pour le symbole, la mise en place d’un emprunt obligatoire pour les foyers les plus riches. »

Selon un récent sondage, les deux tiers des Français sont réticents à l’idée de prêter leurs économies à l’Etat. Pourquoi, selon vous ?

« Ce sondage interroge les Français sur un principe général. Mais pour obtenir une réponse pertinente, il faudrait connaître les conditions du prêt : son taux serait-il supérieur au Livret A ? Serait-il défiscalisé ? Serait-il indexé, et sur quel indice ? De plus, la question est posée à un échantillon représentatif de l’ensemble de la population. Mais un tel emprunt ne s’adresserait évidemment qu’à une partie des Français, ceux qui en ont les moyens. »