Un transfert vers l'Urssaf dont « personne » ne veut ? Une réforme déguisée ? Un risque d'erreurs sur les retraites complémentaires ? Un report qui ne suffit pas ? D'aspect technique, le transfert de la collecte des cotisations de retraite complémentaire à l'Urssaf irrite et inquiète. Le point en 5 questions.

1 - De quel transfert s'agit-il ?

Parole à l'un des premiers intéressés, l'Urssaf : « Afin de simplifier la vie des entreprises, les pouvoirs publics ont inscrit dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020, l'unification du recouvrement des cotisations sociales auprès du réseau des Urssaf, et notamment celle des cotisations de retraite complémentaire obligatoire des salariés et des cadres du secteur privé (Agirc-Arrco). Ainsi, progressivement, les employeurs s'appuieront sur un interlocuteur unique, l'Urssaf, pour la déclaration et le versement de la quasi-totalité de leurs cotisations sociales. » Le motif affiché de ce changement d'organisme collecteur est donc de simplifier et d'harmoniser la perception des cotisations sur les salaires.

2 - Quand et pourquoi ce transfert a été reporté ?

Entre phases de test, tests non concluants selon nos informations, et crise sanitaire, ce transfert de la collecte des cotisations a été repoussé deux fois. Il devait initialement entrer en vigueur en janvier 2022 : report en 2023. Et nouveau report cette année à l'occasion du vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 à l'Assemblée nationale : le gouvernement a reporté à 2024 ce transfert du recouvrement des cotisations, accédant ainsi à une demande très pressante des partenaires sociaux régissant le régime complémentaire Agirc-Arrco.

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3 - Pourquoi ce transfert fait encore polémique, malgré le report en 2024 ?

Le conseil d'administration du régime Agirc-Arrco, qui mêle patronat et syndicats salariés, a unanimement réclamé ce report d'un an supplémentaire, le 6 octobre dernier. Répétant ainsi une demande officielle, par courrier, faite au ministre délégué aux Comptes publics Gabriel Attal fin juillet 2022.

Cette demande a donc été entendue... Mais, si le fait de réclamer un report répondait à l'urgence d'éviter un transfert périlleux, la question de fond demeure. Les partenaires sociaux, côté salariés et côté patronat, restent opposés à ce transfert. Tout comme les divers partis politiques, qui s'en sont fait écho à l'Assemblée nationale. Tous ou presque doutent de l'intérêt d'un tel transfert, si ce n'est pour « mettre la main sur un régime bien géré », pour reprendre les mots du sénateur LR Bruno Retailleau dans Le Parisien, lequel y dénonce un « scandale ». Les députés LFI fustigent eux, dans l'exposé d'un amendement (non adopté) visant à « annuler » ce transfert, la « visée destructrice pour le système de retraite » de ce transfert de recouvrement des cotisations. A gauche comme à droite, au Sénat comme à l'Assemblée, les oppositions sont contre.

« Le sujet, c'est de capter 80 milliards d'euros de ressources annuelles »

Brigitte Pisa, représentante de la CFDT et vice-présidente du conseil d'administration du conseil d'administration Agirc-Arrco, a tiré elle la sonnette d'alarme dans un entretien à Capital : « Le sujet, c'est de capter 80 milliards d'euros de ressources annuelles [le montant des cotisations salariales collectées, NDLR], plus éventuellement les 60 milliards d'euros de réserve de l'Agirc-Arrco. Il n'y a aucun autre argument que celui-là aujourd'hui. » Elle ne cache pas sa crainte que les réserves et la gestion équilibrée de ce régime complémentaire ne serve à financer autre chose... « C'est le casse du siècle en fait, s'emporte Brigitte Pisa. On pique l'argent là où il est pour boucher les trous. »

Par ailleurs, ce transfert s'inscrivait en 2020 en parallèle d'une réforme des retraites visant à créer un régime unique et universel. Or, « aujourd'hui, nous n'en sommes plus là du tout. Donc il n'y a aucune raison logique que l'Agirc-Arrco transfère le recouvrement de ses cotisations aux Urssaf », ajoute Brigitte Pisa dans Capital.

4 - Pourquoi ça pourrait parasiter la réforme des retraites ?

Le président de la République Emmanuel Macron l'a encore répété sur France 2 cette semaine : la réforme des retraites va voir le jour, pour entrer en vigueur dès l'été 2023.

Or, ce transfert du recouvrement des cotisations risque de tendre encore plus les discussions avec les partenaires sociaux... Le projet de réforme des retraites « s'accommode mal d'un projet de transfert qui, dans les mêmes délais, ne manquera pas d'entretenir un doute sur les intentions des pouvoirs publics à l'égard d'un régime complémentaire », écrivaient les partenaires sociaux (patronat + salariés) pilotant conjointement l'Agirc-Arrco dans un communiqué début octobre.

Le gouvernement lui-même a reconnu le risque de mélange des genres dans l'exposé de l'amendement qu'il a fait adopter : « Ce report [du transfert à 2024] vise également à prioriser la réforme des retraites dans le cadre des discussions engagées avec les partenaires sociaux et éviter qu'aucun autre sujet, même déconnecté, n'interfère avec les concertations en cours. »

5 - Quels risques pour les retraités du privé ?

L'Agirc-Arrco n'est évidemment pas menacé de disparition. Mais le régime complémentaire de ex-salariés du privé, qui verse chaque mois une pension à 13 millions de retraités, n'aurait plus la main sur la perception des cotisations salariales qui abondent ses caisses. Un intermédiaire, les Urssaf, figurerait entre « la caisse » et ceux qui y versent, les entreprises. C'est l'arrivée d'un intermédiaire qui inquiète : car le régime de l'Agirc-Arrco assure avoir l'habitude de gérer les problématiques individuelles des salariés et retraités, et craint donc que la gestion centralisée à l'Urssaf n'engendre bugs et erreurs...

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Le conseil d'administration d'Agirc-Arrco a alerté début octobre sur les « risques pour la garantie du lien entre cotisations et droits, nécessaire à l'accès au ‘‘juste droit'' des prestations sociales en général et des retraites en particulier », en cas de transfert. Ce régime complémentaire pilote aujourd'hui ses ressources, les cotisations, et les droits, les pensions versées aux retraités.

Des « risques réels de dégradations du service et d'erreurs dans les droits à retraite des salariés »

Le chef de file LR au Sénat, Bruno Retailleau, qui étudie actuellement le PLFSS 2023, a confié à Previssima ses craintes sur les « risques réels de dégradations du service et d'erreurs dans les droits à retraite des salariés ». De son côté, l'Urssaf répète que son réseau est prêt, comme Yann-Gaël Amghar, le directeur général, l'a redit mi-octobre au Sénat. Insuffisant pour rassurer les partenaires sociaux : Gérard Mardiné, secrétaire général de la CFE-CGC, déclarait la semaine passée au Monde que « ce transfert s'avère, à ce jour, être un non-sens car il induit un risque majeur sur l'attribution des droits et génère un surcoût pour l'Agirc-Arrco ».

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