Le vin est-il un placement juteux ? Au regard de la difficulté à acquérir les grands vins de Bourgogne et de Bordeaux, la réponse est plutôt non. Néanmoins, les amateurs éclairés et bien inspirés peuvent ponctuellement avoir de belles surprises, à condition de se montrer patients.

En ce mois d’octobre, un produit de consommation très français est à l’honneur. Il s’agit du vin ! Ce 1er octobre débute en effet la foire aux vins dans les magasins E.Leclerc, l’enseigne qui a créé le concept au début des années 1970. L’occasion pour la rédaction de soulever une interrogation que les amateurs, plus ou moins avertis, se posent peut-être : le vin est-il un produit d’investissement ? Acheter pour vendre des bouteilles peut-il être rentable ? Pour Raoul Salama, dirigeant de la société de conseil spécialisée dans le vin Vinalys et journaliste pour plusieurs revues, dont Bettane + Desseauve, la réponse est plutôt non. « La finalité du vin n’est pas spéculative, comme peut l’être une œuvre d’art. C’est un produit de consommation », explique-t-il.

La rareté d'une bouteille détermine sa valeur

« Le vin est tout sauf un placement pour néophytes »

Ou plutôt, l’investissement dans le vin peut être profitable, mais dans quelques cas précis et à condition de bien s’y connaître. « Le vin est tout sauf un placement pour néophytes, insiste Angélique de Lencquesaing, co-fondatrice d’iDealwine, plateforme d’achat et de vente aux enchères dédiée au vin. Millésimes, méthodes de vinification, durée de garde, particularités régionales... le produit est complexe. Investir dans le vin nécessite d'acquérir au préalable des connaissances, de lire des guides, de se rendre dans les salons de dégustation, d'échanger avec des passionnés », poursuit-elle. En résumé d'être pointu dans la sélection des bouteilles à acquérir. Car, c’est la rareté d’une bouteille qui fait qu’elle prendra de la valeur. Or, qui dit rareté, dit complexité, voire souvent impossibilité de se la procurer.

« On a tendance à penser qu’en achetant des grands crus classés comme des bouteilles de Romanée-Conti, de Pétrus, de Château Latour ou encore de Mouton Rothschild - des vins dont la valeur est multipliée par 5 ou 10 dès leur mise sur le marché - il va être facile de gagner de l’argent. Mais le problème, c’est que l’offre est extrêmement limitée : les grands vins de Bourgogne ne représentent que 1% à 2% de la production viticole de la région. Romanée-Conti, c’est 8 000 bouteilles par an pour l’ensemble du monde », avertit Raoul Salama.

Et, en pratique, seuls quelques rares initiés peuvent, à leur commercialisation, se procurer ces vins spéculatifs. Leur achat est en effet réservé aux allocataires. C’est-à-dire aux personnes présentes sur une liste très sélective, tenue par le domaine, qui donne la possibilité d’acheter un nombre de bouteilles limité. Par conséquent, investir dans le vin nécessite de connaître le produit mais aussi les bonnes personnes...

Difficiles à acquérir dès la sortie du domaine, quelques grands crus peuvent se retrouver par la suite sur les plateformes de ventes, comme l’explique Angélique de Lencquesaing. « Certains utilisateurs de notre plateforme bénéficient d’allocations dans des domaines prisés. Lorsqu'un millésime sort, ils achètent le nombre de bouteilles qui leur sont allouées pour ne pas perdre leur dotation. Pour financer leurs achats ils peuvent être amenés à revendre rapidement certaines bouteilles ». Mais, là encore, la rareté et la demande souvent irrationnelle pour ces vins d’exception font que les prix flambent rapidement. A plusieurs milliers d’euros la bouteille, autant dire que cet achat ne se destine pas à toutes les bourses, ce que déplore Raoul Salama : « une dichotomie s’est opérée dans le vin. D'un côté, les bouteilles qui sont bues et, de l'autre, les grandes étiquettes qui n’appartiennent plus au monde du vin mais à celui du luxe ».

Les foires aux vins : une bonne affaire pour les investisseurs ?

La foire aux vins est une manne financière pour la grande distribution. Durant ces journées, elle réalise 30% de ses ventes annuelles, pour un demi-milliard d’euros de chiffre d’affaires. Qu’en est-il des acheteurs, trouvent-ils de bonnes affaires ? Pour leur consommation propre, oui. « Les foires aux vins sont l’occasion de redimensionner sa cave, la compléter en achetant des vins jeunes à des conditions tarifaires favorables, souligne Raoul Salama. En revanche, l’époque où l’on trouvait du Petrus en grande surface est révolue. Dans les foires aux vins, vous ne trouvez pas des vins spéculatifs ». Du côté d’iDealWine, la réponse est plus nuancée. « Il est possible de dénicher des vins d'investissement dans les foires aux vins, mais à condition de se méfier des médailles et des offres promotionnelles dites « exceptionnelles », explique Angélique de Lencquesaing. Et surtout, à condition d’avoir préparé en amont sa foire aux vins. C’est-à-dire « d'avoir épluché les guides et les sélections faites par les magazines comme La Revue du vin de France ou Le Point et d’avoir vérifié, comparé les prix avec notre cote iDealwine », ajoute-t-elle.

Un placement spéculatif au rendement au combien incertain

« Ceux qui affirment que le gain fixe sera de 5% ou 10% par an sont bien optimistes »

L’autre stratégie, mise en avant par la co-fondatrice d’iDealwine, pour tenter de revendre à profit ses bouteilles est d’identifier des petits domaines encore méconnus mais prometteurs. « Si vous avez été pointu dans votre sélection, si vous avez eu la chance de repérer avant le plus grand nombre un petit domaine qui bénéficie d’un bon bouche-à-oreille, s’il est en plus bien noté par un dégustateur professionnel, le prix de ce vin va croître rapidement », fait remarquer la co-fondatrice d’iDealwine. Mais, à ce jeu, le choix est vaste - rien qu’en France, la filière du vin compte près de 150 000 viticulteurs, répartis dans 66 départements (1) – et les vignerons adoubés par leurs pairs peu nombreux. Impossible donc d’anticiper et encore moins de chiffrer la plus-value potentielle. « Ceux qui affirment que le gain fixe sera de 5% ou 10% par an sont bien optimistes. Il est variable d'une année à une autre, en fonction des régions et bien sûr du cru mis en vente », insiste Angélique de Lencquesaing.

Optimistes, voire malintentionnés… L’investissement dans le vin attire en effet les velléités des escrocs. Au travers de sa plateforme Epargne Info Service, qui recueille les doléances des épargnants dupés, l’Autorité des marchés financiers (AMF) observe l’envolée des réclamations concernant ce placement atypique. Au premier semestre 2019, 130 demandes ont été adressées, dont 40% concernent une suspicion d’entourloupe. Quant aux fonds d’investissement, ni le gérant de Vinalys, ni la co-fondatrice d’iDealWine ne les portent dans leur cœur… L’approche quantitative des fonds étant incompatible avec la rareté du produit.

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La recherche de profit ne doit pas être la finalité

« Le vin est un liquide qui n’est pas très liquide »

Dans ces conditions, la recherche de profit ne peut être l’unique objectif de l’opération. D’ailleurs, « les vendeurs qui réalisent les plus importantes plus-values ne sont jamais ceux qui ont constitué leur cave dans le seul but d'en tirer un gain. Ce sont des passionnés qui ont acheté un peu trop et qui découvrent au moment de la vente que leurs bouteilles ont pris de la valeur », illustre la porte-parole de la plateforme de ventes aux enchères. Un gain net d’autant plus complexe à retirer que ce placement s’accompagne de frais fixes onéreux.

Les frais de stockage sont ainsi une première barrière à l'entrée. Pour revendre une bouteille au meilleur prix, il faut dans l’idéal s’en séparer au moment où elle est prête à être consommée, ce qui peut nécessiter de patienter plusieurs années. « Le vin n'est pas un investissement de court terme. Il est illusoire d'attendre une rentabilité en 2 à 3 ans. L'horizon d'investissement est sur 8 à 10 ans au minimum », résume Angélique de Lencquesaing. Et le stockage doit se faire dans de bonnes conditions, car les commissaires-priseurs sont intransigeants. En cas de doute, ils peuvent bloquer la vente.

Pour rappel, une cave à vins doit remplir trois conditions essentielles. Sa température doit être stable… L’idéal étant de rester aux alentours de 14 degrés, été comme hiver. Elle ne doit pas être trop sèche pour assurer une bonne conservation. Et elle doit être sécurisée. C’est pour cela que des prestataires proposent des services de stockage et de gestion clés en main, comme U’Wine et Cavissima, mais à des tarifs parfois élevés. U’Wine applique par exemple un ticket d’entrée de 20 000 euros.

A la revente, d’autres frais sont à prévoir. « Le vin est un liquide qui n’est pas très liquide », ironise Raoul Salama. Les canaux de revente sont limités. Si le vendeur ne dispose pas dans son entourage de connaisseurs prêts à y mettre le prix, il doit passer par des sites de vente aux enchères. Et ces intermédiaires prélèvent une commission élevée. Chez iDealWine, le frais vendeurs s’élèvent à 13% du prix d’adjudication du vin.

Quelques vins prometteurs, selon iDealWine

D’après Angélique de Lencquesaing, « on trouve dans la plupart des régions des vins appelés à prendre de la valeur dans une gamme de prix abordable, entre 20 et 30 euros par exemple dans le Languedoc et la vallée de la Loire et entre 40 et 50 euros en Bourgogne ».

Voilà quelques appellations à découvrir :

  • Dans le Languedoc, le Domaine de Montcalmes,
  • Dans la Vallée de la Loire, le Domaine de Gérard Boulay, en Sancerre,
  • Le Domaine de la Taille aux Loups, également dans la Vallée de la Loire.

Les vins de Bordeaux, qui représentaient il y a une dizaine d'années 80% des ventes sur iDealwine sont deux fois moins nombreux. Toutefois, la co-fondatrice de la plateforme a jeté son dévolu sur la cuvée Haut-Carles en appellation Fronsac et le Clos Puy Arnaud en Côtes de Castillon.

(1) Données de Vin & Société, qui fédère 21 organisations interprofessionnelles régionales et 7 organisations professionnelles nationales.