Le combat contre le Covid-19 plonge la France dans une situation économique inédite. Aux grands maux, les grands remèdes : l'Etat a sorti le chéquier pour parer à l'urgence. Mais qui va payer la facture ? Economiste à l'OFCE, Mathieu Plane se penche sur la question.

Mathieu Plane, économiste à l'OFCE

Mathieu Plane est directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques

La lutte contre la pandémie de coronavirus, avec la décision de confiner la population, a amené le gouvernement à présenter mercredi un plan d’urgence économique de 110 milliards d’euros. A quel point la situation est-elle grave ?

Mathieu Plane : « Nous sommes dans une situation très, très grave. Nous perdons 2 milliards d’euros d’activité par jour en France, soit une chute de 32% du PIB par mois. Pour le moment, la violence du choc économique mondial est supérieure à la crise de 1929. C’est du jamais-vu en période de paix. Mais la phase la plus délicate est encore à venir avec la perspective du déconfinement progressif à compter du 11 mai chez nous. Sauf si l’épidémie de Covid-19 venait à disparaître rapidement, la transition sera longue. C’est donc un arbitrage sanitaire et économique très délicat : soigner les malades, protéger les personnes à risques en les confinant, tout en relançant la machine économique mais en limitant les lieux où il y a de nombreuses intéractions sociales comme les restaurants, les cafés, les festivals…

D'où la nécessité de relancer rapidement la machine économique ?

Une chose est sûre, il faut redémarrer car sinon les conséquences économiques pourraient être aussi dramatiques que la crise sanitaire. Pour le moment, le plan d’urgence du gouvernement avec la mise en place du chômage partiel qui protège actuellement plus d’un salarié sur 3 a permis de contenir une explosion du chômage et de nombreuses faillites d’entreprises. Mais plus le confinement va durer et plus la transition sera longue, plus il sera difficile d’éviter les fermetures en cascade et les licenciements massifs. »

« La réserve d'épergne augmente de 20% par mois pour de nombreux ménages »

Pour l’instant, les ménages sont plutôt préservés donc ?

M.P. : « La situation est difficile pour les salariés avec des contrats précaires et les indépendants. Mais vu l’ampleur du choc, toutes les mesures prises (chômage partiel, indemnisation de la garde des enfants…) permettent de préserver au mieux le revenu des ménages qui sont en CDI. Tant que les entreprises gardent leurs salariés et que l’Etat socialise les salaires, indemnise les indépendants et prolonge les droits au chômage, les conséquences sur les particuliers restent contenues. La baisse des revenus pour eux pourrait être inférieure à 10% en moyenne alors que dans le même temps, la consommation chute d’environ 30%. De nombreux ménages pourraient voir ainsi leur réserve d’épargne augmenter de 20% par mois. Ce qui devrait les inciter à dépenser plus quand le système va repartir. Ce scénario est possible si le choc est transitoire et que la phase de déconfinement est rapide. »

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Emmanuel Macron a dit que l’Etat serait là face à cette crise « quoi qu'il en coûte ». Mais en a-t-il les moyens ?

M.P. : « Pour le moment, l’Etat a les moyens de financer son plan d’urgence qui se chiffre aujourd’hui à 110 milliards d’euros. Même si le déficit va se creuser, la France emprunte à des taux d’intérêts toujours faibles. Par ailleurs, la Banque centrale européenne (BCE) a sorti l’artillerie lourde en promettant de racheter pour 750 milliards d’euros de dettes des pays de la zone euro. Les sommes injectées aujourd’hui permettent d‘éviter le pire à court terme qui auraient des conséquences irréversibles. »

« 110 milliards d'euros pour éviter le pire »

Qui va payer la facture de cette crise ?

M.P. : « C’est un des gros enjeux à venir. Nous allons nous retrouver en Europe notamment avec une dette coronavirus qui n’est pas liée à une mauvaise gestion financière. La question est de savoir s’il faut la gérer comme les autres dettes. Du coup, est-ce que cette dette sera mutualisée avec des corona bonds ? Est-ce que la BCE acceptera de garder à son bilan de façon perpétuelle les dettes rachetées aux pays européens ou à tout le moins les lisser sur le long terme ? Tout dépendra des choix politiques qui seront pris par les pays européens et la BCE. Dans tous les cas, toute la dette issue de cette crise ne sera pas effacée comme par magie. Cela ne coûtera pas zéro. On peut imaginer un mix entre de la solidarité européenne, un geste de la BCE mais aussi des efforts à faire pour chaque pays.

« La crise fait émerger une forte demande d’aides et de besoins nouveaux »

Faut-il craindre des mesures d'austérité ?

Contrairement à ce qu’il s’est passé après la crise des subprimes, je n’imagine pas de grandes cures d’austérité à venir en Europe, rajoutant une crise à la crise. Au contraire, cette crise fait émerger une forte demande d’aides et de besoins nouveaux : pour les hôpitaux par exemple mais aussi pour les salariés précaires (CDD, intermittents, intérimaires…) et les personnes sans emploi qui prennent de plein fouet le ralentissement de l’activité économique. Ensuite, il va falloir aider des secteurs sinistrés comme le tourisme, l’hôtellerie-restauration, le spectacle ou le transport aérien par exemple. Il va y avoir des besoins importants à financer et trouver des ressources nouvelles. A moyen terme, il ne faut pas exclure une hausse des impôts pour financer cela, même si ce n’est bien sûr pas la priorité du moment. »