L'économie va bien, mais les bourses mondiales ont inscrit cette semaine des baisses sévères. Quelques éléments pour comprendre ce paradoxe.

L'euphorie porteuse

Depuis 2009, « nous avons un environnement favorable pour les marchés boursiers », explique à l'AFP Véronique Riches-Flores, économiste indépendante, présidente du cabinet d'analyse RichesFlores Research. Une évolution positive due notamment, selon elle, aux politiques monétaires généreuses, qui ont inondé les marchés de liquidités, et à « la réduction du risque d'implosion de la zone euro ».

Les faibles taux d'intérêt ont poussé les investisseurs vers les actions, plus rentables que les emprunts d'Etat, ce qui a fait monter les indices boursiers mondiaux. En janvier encore, les Bourses de Wall Street et Hong Kong évoluaient à des niveaux record, tandis que celle de Tokyo s'affichait au plus haut depuis 1991. « Ces politiques monétaires ont fini par porter quelques fruits », explique l'économiste : les croissances américaine et européenne sont reparties à la hausse. Si la plupart des indicateurs macroéconomiques sont aujourd'hui au vert, notamment ceux du chômage américain, « la croissance mondiale, due aux taux ridiculement bas, fait monter le risque inflationniste », c'est-à-dire le risque d'une flambée des prix, note-t-elle.

Réaction des banques centrales

« L'environnement économique a donné lieu à la formation d'anticipations idylliques de poursuite de taux durablement bas et d'ajustements très graduels », relèvent aussi les analystes de Mansartis. Mais cette configuration ne pouvait durer éternellement. En effet, face au risque de l'inflation, les banques centrales ont entamé une politique de resserrement monétaire, « un facteur négatif » pour les marchés, explique à l'AFP Christopher Dembik, responsable de la recherche économique chez Saxo Banque.

« Depuis décembre 2015, la Fed a procédé à 5 hausses de taux, dont 3 rien qu'en 2017 »

En effet, des taux plus élevés entraînent des coûts d'emprunts plus hauts pour les sociétés. Et peuvent inciter certains investisseurs à vendre leurs actions, empocher leurs plus-values et les réinvestir dans des obligations, c'est-à-dire des titres de dette publique ou privée, devenues plus rémunératrices. « Depuis décembre 2015, la Fed, la banque centrale américaine, a procédé à cinq hausses de taux, dont trois rien qu'en 2017 », rappellent les analystes de Mansartis. Et si « la normalisation monétaire de la première économie mondiale semble, à ce stable, bien intégrée par les investisseurs », notent ces analystes, toute accélération de cette tendance peut créer la panique.

L'emploi américain déclencheur

Les bons chiffres du chômage américain publiées récemment pourraient entraîner une « normalisation plus rapide de la politique monétaire » américaine, commente Andrea Tuéni, analyste de Saxo Banque. « Si on recrée plus d'emplois, et plus d'emplois qualifiés, il y a un risque de tension salariale, et donc d'inflation », abonde Véronique Riches-Flores.

Vendredi 2 février, le département américain du Travail a en effet publié son rapport mensuel sur l'emploi, affichant de solides créations d'emplois et un taux de chômage stable, à 4,1%, au plus bas depuis 17 ans. Surtout, la progression des salaires sur douze mois, l'un des principaux éléments scrutés par la Fed, a atteint, à +2,9%, son rythme le plus rapide depuis plus de neuf ans.

Une « bonne excuse »

Toutefois, pour Christopher Dembik, les hausses de salaire et la crainte d'un retour de l'inflation étaient avant tout une « bonne excuse pour corriger » des marchés « surévalués », qui avaient retrouvé des niveaux record en 2017. Le spécialiste estime ainsi que les investisseurs « sur-interprètent des données économiques qu'on connaissait déjà ».

Mais si la baisse sur les marchés devrait ne pas être durable dans un contexte macroéconomique solide, le retour de l'incertitude pourrait en revanche durer, estiment les analystes. « Le fait marquant, c'est le retour d'une volatilité qui avait déserté les marchés » tout au long de 2017, confirment les analystes de Mansartis.

« Une crise financière peut intervenir dans un contexte d'économie mondiale positif »

« Après neuf ans de progression, il va être compliqué d'aller beaucoup plus haut », commente Véronique Riches-Flores. « Ce qui se passe aujourd'hui est en train de sonner la fin du cycle de hausse des marchés ». « Une crise financière peut intervenir dans un contexte d'économie mondiale positif », estime Christopher Dembik. Dans le pire des cas, les déboires de la finance pourraient alors se répercuter sur l'économie réelle et l'entraîner dans la récession, un scénario que s'emploient jusqu'ici à démentir la grande majorité des responsables politiques et économiques.