La Cour des comptes, juridiction indépendante chargée du contrôle des comptes publics en France, épingle dans un rapport publié mercredi la mauvaise estimation l'an dernier des recettes fiscales de l'Etat, « mal expliquée par l'administration », et s'interroge sur la « sincérité » du budget initial.

« L'écart entre prévision et exécution sur l'évolution spontanée des recettes fiscales souligne le manque de prudence de la loi de finances initiale et peut soulever une interrogation au regard de la sincérité de cette dernière », écrit la Cour dans ce rapport portant sur l'exécution du budget de l'Etat en 2013. Le principe de sincérité budgétaire a été inscrit dans une loi organique en 2001.

« Le moindre rendement des recettes fiscales demeure mal expliqué par l'administration », regrette par ailleurs la Cour. L'institution souligne que les recettes fiscales nettes l'an dernier ont été très inférieures très inférieures aux prévisions de départ. Les impôts, fortement alourdis l'an dernier, devaient rapporter à l'Etat 28,3 milliards d'euros de plus qu'en 2012. Au final, les recettes fiscales ont augmenté deux fois moins que prévu, de 15,6 milliards, souligne la Cour. Soit un différentiel de 12,7 milliards d'euros.

Une croissance inférieure aux prévisions

La Cour explique ces dérapages à la fois par une croissance plus faible que prévu l'an dernier et par un aspect de technique budgétaire, celui de « l'élasticité » des recettes fiscales. Dans ses projets de budget, Bercy établit un rapport entre la croissance du Produit intérieur brut et celle des recettes fiscales, la fameuse « élasticité », évaluant ainsi le rythme auquel « rentre » l'impôt.

Cette élasticité peut fortement varier selon les années, suscitant de fortes moins-values quand la conjoncture est mauvaise mais aussi des cagnottes quand la croissance surprend à la hausse. Pour 2013, le gouvernement avait annoncé une élasticité de 1, c'est-à-dire qu'il estimait que les recettes fiscales, à législation constante, croîtraient exactement au même rythme que l'économie française. Or en réalité, l'élasticité l'an dernier s'est avérée négative à -1,3, « une valeur historiquement basse », selon la Cour.

Pour le budget 2014, l'Etat n'a pas vraiment changé de mode de calcul, puisque la loi de finances initiale juge qu'à législation constante, les prélèvements obligatoires évolueront au même rythme que le PIB. Ce que le Haut conseil des Finances publiques, organe indépendant adossé à la Cour des comptes, a d'ores et déjà jugé « optimiste ».

A Bercy, on se défend de toute manipulation statistique : « Nous ne faisons pas de prévision d'élasticité ex ante (au préalable, NDLR). La mesure de l'élasticité découle d'une constatation après des prévisions fines impôt par impôt », assure-t-on au ministère des Finances. En d'autres termes, la fameuse « élasticité » n'est pas décrétée par les fonctionnaires de Bercy dans le but de faire tenir tant bien que mal le budget. « Les économistes estiment cette élasticité à 1 en moyenne, mais à court terme il peut y avoir de fortes fluctuations », reconnaît toutefois l'administration.

Les recettes fiscales en hausse malgré tout

Pour éviter à l'avenir les écarts trop importants entre recettes réelles et prévisions, la Cour recommande d'« établir et [de] rendre public un document de référence précisant les méthodes et le processus de prévision des recettes pour les principaux impôts », mais aussi de mieux analyser les écarts passés.

Dans l'ensemble, bien qu'inférieures aux prévisions, les recettes fiscales nettes de l'Etat ont affiché l'an dernier leur quatrième année consécutive de hausse, progressant de 15,6 milliards d'euros par rapport à 2012, et ont retrouvé leur niveau d'avant la crise de 2008.

Le Haut conseil des finances publiques demande une correction

Parallèlement à ce rapport de la Cour des comptes, le Haut conseil des finances publiques (HCFP), un organe qui lui est adossé, a demandé au gouvernement de corriger le dérapage du « déficit structurel ». Il s'agit du déficit public de la France, mais recalculé pour éliminer les « effets liés au cycle économique et (les) mesures ponctuelles et temporaires ».

En 2013, le déficit public effectif de la France a atteint 4,3% du Produit intérieur brut (PIB), et son déficit structurel 3,1%, rappelle le HCFP. Or le gouvernement s'était engagé à atteindre un déficit structurel de 1,6% dans la loi de programmation des finances publiques datant du 31 décembre 2012. Cet écart entre les prévisions et le déficit structurel final « est supérieur à la limite de 0,5 point de PIB fixée par la loi organique du 17 décembre 2012 » et peut donc être qualifié « d'important » selon le HCFP, qui va en conséquence déclencher un « mécanisme de correction », conformément à des décisions prises au niveau européen.

A Bercy, on assure qu'« en tout état de cause les mesures d'économie annoncées permettront bien de se rapprocher de la trajectoire initialement prévue ». Le gouvernement a élaboré pour l'année 2014 des mesures supplémentaires d'économies, de 4 milliards d'euros, afin de respecter les engagements pris auprès de Bruxelles qui prévoient de ramener le déficit public à 3,8% du PIB cette année puis 3% l'an prochain.

Mise à jour (28 mai, 11h16) - correction du différentiel entre les recettes fiscales effectives et les prévisions pour 2013.