Depuis de nombreux mois, les taux sont au plus bas : aussi bien pour le crédit que pour l’épargne. En cause : la croissance en berne et la volonté des banques centrales d’injecter de l’argent dans l’économie pour y remédier. Mais cette période exceptionnelle touche à sa fin. Quelles conséquences pour les particuliers ? Réponse de Julien-Pierre Nouen, directeur des études économiques de Lazard Frères Gestion.

Dans une note récente, Lazard Frères Gestion affirme que le « contexte exceptionnel de taux bas » n’a pas « vocation à durer ». Pourquoi ?

Julien-Pierre Nouen : « Car les grandes banques centrales ont infléchi leur discours, et vont progressivement normaliser leur politique. Aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe. Cela s’est déjà concrétisé aux Etats-Unis avec une nouvelle hausse des taux de la Fed, la semaine dernière. En Europe se profile la fin des politiques de rachats massifs d’actifs. Ensuite, la question d’une augmentation des taux se posera pour la Banque centrale européenne (BCE). »

Pourquoi les banques centrales changent-elles de stratégie ?

J-P.N. : « Dans la zone euro, le taux de chômage est repassé sous la barre des 10% [en décembre 2016, après s’être maintenu pendant plus de 5 ans au-dessus de cette barre symbolique, NDLR]. Cette conjoncture plus favorable permet d’écarter le risque de déflation. En parallèle, le prix des matières premières s’est stabilisé. Ce contexte va permettre de sortir progressivement de la politique exceptionnelle de taux bas. »

Quand faut-il donc s’attendre à une hausse des taux de la BCE ?

J-P.N. : « Sans doute pas dès cette année. Nous nous attendons plutôt à la fin de la politique de rachats massifs de dettes pour la fin 2017. Et donc à un relèvement des taux en 2018. Il existe toutefois des débats autour de ce calendrier : certains pensent que la BCE pourrait relever son taux de dépôt [actuellement en territoire négatif, à -0,40%, NLDR] avant de mettre fin à sa politique de rachats. Tout dépend, aussi, de l’évolution de l’inflation sous-jacente (1) : si son rebond s’accélère, alors la BCE pourrait remonter ses taux plus rapidement. »

Des événements politiques, comme la mise en place du Brexit, ou les élections en France puis en Allemagne, peuvent-ils chambouler ce calendrier théorique ?

J-P.N. : « Oui. De mon point de vue, le Brexit n’aura pas d’impact sur la politique de la BCE. En revanche, si les élections en France, en Allemagne voire en Italie débouchaient sur un climat d’incertitude, alors la Banque centrale européenne pourrait être contrainte de revoir sa politique monétaire. »

Pour les banques, quelle est la conséquence de ce retournement de situation ?

J-P.N. : « Tout d’abord, ces évolutions auront un impact quasi immédiat sur les taux d’intérêt à court terme, ce qui favorise les banques ou assureurs. Par ailleurs, concernant les taux à long terme, les évolutions monétaires aux Etats-Unis ont déjà amorcé une hausse, l’été dernier. »

Et quelles sont les incidences pour les particuliers, sur les placements ou le crédit ?

J-P.N. : « Ces évolutions vont avoir un impact différent selon les placements : cela va pénaliser les placements obligataires et avantager les placements à plus court terme quand les banques centrales remonteront leurs taux. »

Concrètement, cela signifie que la rémunération des livrets va remonter ?

J-P.N. : « Oui probablement, mais plutôt en 2018, une fois que la BCE aura fait évoluer sa politique monétaire. »

Quid des fonds en euros de l’assurance-vie ? Vont-ils souffrir de la comparaison ?

J-P.N. : « Investis très majoritairement en obligations, les fonds en euros vont pâtir de cette évolution. Il y a beaucoup d’inertie sur les fonds en euros : les rendements mettront du temps avant de rebondir. Mais nous sommes dans une conjoncture économique favorable, qui favorise les actions : l’assurance-vie pourrait donc rester intéressante grâce aux supports en unités de compte. »

L’impact sur les taux de crédit immobilier est-il aussi direct que sur les placements ?

J-P.N. : « Pas totalement. Les taux de référence, pour les banques, vont remonter, mais d’autres éléments pèsent dans la balance : la dimension concurrentielle et commerciale joue aussi beaucoup sur le niveau des taux des prêts immobiliers. »

(1) Inflation sans prendre en compte les éléments les plus volatils, comme l’énergie, ou les prix soumis à l’intervention de l’Etat, comme le tabac.