Ecoles fermées, stade 3, puis confinement généralisé… En quelques jours, salariés et employeurs ont dû s’adapter à la crise sanitaire du coronavirus. A la clé : quelques conflits ou incompréhensions au travail. Le point avec Mohamed Materi, avocat du cabinet Fromont Briens, sur ce qu'une entreprise peut exiger de ses salariés.

Me Materi, cabinet Fromont Briens

Mohamed Materi, avocat associé au sein du cabinet Fromont Briens

L’employeur peut-il forcer un salarié à poser des congés payés lors du confinement ?

Mohamed Materi : « Le premier réflexe de l’employeur doit être de trouver un accord avec le salarié. Il faut négocier et expliquer. Car le fait de proposer la pose de congés n’est pas forcément défavorable au salarié : cela permet de maintenir le salaire à 100%, chose que ne permet pas l’activité partielle par exemple, sauf exception. Même si la ministre du Travail semble vouloir modifier cette règle pour accorder de la souplesse aux employeurs, il faudra analyser les textes à venir [voir l'encadré ci-dessous]. »

Et si l’employeur cherche à imposer ces congés, sans négocier ?

M.M. : « Il faut se référer aux accords collectifs. Dans de nombreux cas les RTT peuvent être posées librement par l’employeur. Concernant les congés payés, le droit du travail implique des règles plus strictes. L'employeur ne peut pas imposer des congés au salarié qui n'en a pas posé d'ici au 31 mai prochain mais, juridiquement, un employeur peut modifier la date de départ en congé payé. »

Les salariés sont généralement au courant que l’employeur peut les réquisitionner pendant leurs congés, plus rarement qu’il peut avancer les dates de départ en vacances…

« L'employeur ne peut pas imposer des congés au salarié qui n'en a pas posé d'ici au 31 mai »

M.M. : « L’article L3141-15 du Code du travail permet à l’employeur de modifier l’ordre et les dates de départ, sauf mention contraire dans l’accord collectif, en respectant un délai de prévenance fixé par voie conventionnelle (accord d'entreprise, convention ou accord de branche). Il peut donc modifier ces dates dans un sens (en les reculant) comme dans l’autre (en les avançant). Mais à une condition : cela doit concerner des congés qui sont déjà posés. Qu’il s’agisse, dans le cas du confinement, de congés posés fin avril ou cet été. »

Et si le télétravail paraît envisageable, du point de vue du salarié, mais que l’employeur refuse et privilégie congés ou chômage partiel ?

M.M. : « En principe, dans le contexte de la crise sanitaire, compte tenu des préconisations gouvernementales, s’il y a une possibilité de télétravail alors les entreprises doivent le permettre voire l’imposer à leurs salariés. A ce stade, ce n’est pas une règle juridique mais on peut considérer ce principe comme une obligation gouvernementale en temps de crise. Néanmoins, si l’employeur estime que le télétravail ne convient pas à son activité, il reste l’attestation dérogatoire pour se rendre sur le lieu de travail. Dans ce cas, l'employeur doit remplir une attestation qu'il remet au salarié, qu'il n'a pas à renouveler. Le salarié doit également se munir d'une attestation de déplacement dérogatoire à télécharger sur le site du ministère de l'intérieur qu'il doit renouveler quotidiennement. Il doit aussi veiller à avoir en sa possession une pièce d'identité. Enfin, s’il n’est pas possible de travailler, ni au bureau ni à la maison, et si le salarié ne veut pas poser de congés, alors le dernier recours est l’activité partielle. L’activité partielle, elle, peut être imposée sans accord avec le salarié, même s’il faut toujours privilégier la discussion. »

Financièrement parlant, si un salarié peut choisir entre un arrêt de travail garde d'enfants et le chômage partiel, quel est le choix le moins désavantageux ?

« S’il n’est pas possible de travailler et si le salarié ne veut pas poser de congés, le dernier recours est l’activité partielle »

M.M. : « L’activité partielle est indemnisée par l’employeur au salarié jusqu’à 84% du salaire net et ce dernier se fait rembourser par l’Etat dans la limite de 4,5 Smic selon le projet de décret à venir. Les personnes rémunérées au Smic (CDD ou CDI) et les salariés en formation perçoivent, en revanche, 100% de leur salaire. L’arrêt de travail pour garde d’enfants de moins de 16 ans, dit “arrêt Ameli”, permet lui au salarié d’être indemnisé par son employeur, qui sera ensuite indemnisé par l’Assurance maladie. Le salarié doit signaler cet arrêt à l’employeur, qui le déclare sur Ameli. Le montant de l’indemnisation est au minimum de 90%, sans aucun jour de carence, mais il peut s’approcher de 100% dans certaines entreprises en fonction des accords de complémentaire santé. Dans tous les cas, si un salarié se trouve en arrêt de travail, c’est cette première cause de suspension du contrat de travail qui prévaut : la question du congé ou de l’activité partielle ne se posera qu’au terme de l’arrêt de travail. Par ailleurs, il faut rappeler qu’un nouveau type d’arrêt de travail exceptionnel est envisageable dans le cadre du coronavirus : les salariés présentant un risque sévère au regard du Covid-19 (asthme chronique, femme enceinte, insuffisance respiratoire…) peuvent solliciter cet arrêt, sans aucune condition et sans solliciter préalablement l’employeur. »

Et si l’employeur traîne à déclarer l’arrêt de travail pour garde d’enfants ?

M.M. : « Si le salarié fait la démarche de demander cet arrêt, son entreprise doit le déclarer. En cas d’abus, le salarié pourra s’en prévaloir et signaler qu’il a demandé cet arrêt en premier lieu. »

Tout parent d’enfants de moins de 16 ans peut-il prendre « l’arrêt Ameli », peu importe la situation du conjoint ?

« Si un parent télétravaille et que l’autre se trouve sous le régime de cet arrêt, on peut considérer qu’il n’y a pas de fraude »

M.M. : « Quand les deux parents vivent ensemble, un seul peut solliciter cet arrêt. C’est une déclaration sur l’honneur. Vous posez la question de la fraude sociale sur cet arrêt de travail… Si deux parents le sollicitent, on pourrait considérer cela comme une fraude. A contrario, dans tous les autres cas, c’est moins évident. Par exemple, si un parent télétravaille et que l’autre se trouve sous le régime de cet arrêt, on peut considérer qu’il n’y a pas de fraude puisque seul un des deux parents est arrêté. De la même manière, si un parent a un arrêt de travail classique, sans lien avec le confinement, et que l’autre a l’arrêt garde d’enfants, cela ne constitue probablement pas une fraude. Dans ce cas, l’arrêt classique est justifié par un autre motif, et l’arrêt “confinement” est justifié par la situation exceptionnelle. Après, ces nouvelles règles sont mouvantes, et le gouvernement prévoit un projet de loi d’urgence… Juridiquement parlant, l’analyse de certaines situations conflictuelles nécessiteront peut-être un peu de recul. »

Concernant le télétravail, l’employeur peut-il imposer de nouveaux horaires à ses salariés ? Ou les appeler à n’importe quelle heure ?

« L'employeur peut proposer un aménagement des horaires, pas l’imposer »

M.M. : « L’employeur peut imposer le télétravail : depuis les ordonnances Macron de 2017, le recours au télétravail constitue un simple aménagement des conditions de travail, dans des circonstances exceptionnelles telles que nous les connaissons actuellement. En revanche, l’employeur ne peut pas modifier la durée du travail ou les horaires de son salarié sans son accord. Il peut donc proposer un aménagement des horaires, pas l’imposer. »

Des mesures d’exception dans le projet de loi d’urgence

Le droit du travail va exceptionnellement être adapté pendant la crise sanitaire. Les projets de loi d’urgence, présentés mercredi 18 mars en Conseil des ministres, vont offrir plus de souplesse et de latitude aux employeurs. Le projet de loi vise notamment à « limiter les ruptures des contrats de travail et atténuer les effets de la baisse d’activité, en facilitant et en renforçant le recours à l’activité partielle, notamment en l’étendant à de nouvelles catégories de bénéficiaires, en réduisant, pour les salariés, le reste à charge pour l’employeur et, pour les indépendants, la perte de revenus, en adaptant ses modalités de mise en œuvre (…). »

Surtout, pour les salariés, le texte prévoit de modifier exceptionnellement « les conditions d’acquisition de congés payés et permettre à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés, des jours de réduction du temps de travail et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance (…) et [aux] conventions et accords collectifs ». Ces mesures seront précisées et détaillées par ordonnances, arrêtés et décrets dans les prochains jours ou prochaines semaines.

Lire aussi : Congés payés, RTT, épargne salariale : ce que le coronavirus risque de changer pour vous