Les laboratoires pharmaceutiques dépensent 23% de leur chiffre d’affaires dans la communication sur leurs médicaments, notamment via des cadeaux offerts aux médecins. Peu de praticiens passent entre les mailles de leur filet et certains subiraient l’influence des labos en faisant des prescriptions plus coûteuses aux patients.

L’étude de chercheurs de l’Université et du CHU de Rennes, publiée ce mercredi dans le « British Medical Journal » (1), devrait donner du grain à moudre à ceux qui accusent les médecins de collusion avec les laboratoires. En effet, ses résultats « renforcent l'hypothèse selon laquelle l'industrie pharmaceutique peut influencer les prescriptions des médecins généralistes » expliquent les auteurs. « Cette influence, parfois inconsciente chez les médecins, peut conduire à choisir un traitement qui n'est pas optimal, au détriment de la santé du patient et du coût pour la collectivité ».

Concrètement, les chercheurs se sont penchés sur les prescriptions de 41 257 généralistes travaillant uniquement en libéral. Ils ont croisé les données de deux sources. D’abord, ils ont épluché la base de données de Transparence Santé, gérée par l’Etat, où doivent être déclarés tous les « liens d’intérêt » entre médecins et laboratoires (et notamment les repas, frais de transport ou d’hébergement, équipements… de plus de 10 euros). Une source riche d’enseignement puisqu’elle montre que « près de 90% des médecins généralistes ont déjà reçu au moins un cadeau depuis 2013 », comme l’explique le Dr Pierre Frouard, médecin généraliste à Rennes et coordonnateur de l'étude. Ensuite, les chercheurs ont analysé les informations du Système national des données de santé (SNDS), un fichier respectant l’anonymat des patients mais qui agrège 99% des consultations, actes médicaux, hospitalisations et prescriptions effectuées par les médecins en France.

Résultat : en recoupant ces données pour l'année 2016 et en classant les médecins en 6 groupes, en fonction des avantages perçus sur cette année là, les chercheurs ont pu établir que ceux qui ont bénéficié de 1 000 euros ou plus d’avantages sont associés à des coûts de prescription 5,33 euros plus élevés en moyenne que le groupe sans avantage. Les médecins « sans avantages » prescrivent notamment plus de génériques, et par exemple moins de « vasodilatateurs et de benzodiazépine pour des durées longues », comparativement au groupe de médecins ayant reçu le plus d'avantages.

La stratégie des labos pharmaceutiques, qui dépensent 23% de leur chiffre d’affaires en communication contre 17% pour la recherche et le développement (2), paraît donc payante. Ce que confirment les propos du Dr Bruno Goupil, premier auteur de cette étude : « Il semble peu probable que l'argent dépensé par l'industrie pharmaceutique pour la promotion des médicaments le soit à perte. Et en effet, les résultats de notre analyse concordent avec les études existantes qui concluent en faveur d'une influence sur les prescriptions ».

(1) Association between gifts from pharmaceutical companies to French general practitioners and their drug prescriptions in 2016 : a retrospective study using the French Transparency in Healthcare and National Health Data System databases (2) Synthèse du rapport d'enquête sur le secteur pharmaceutique, publié par la Commission Européenne en 2009