L'Assemblée nationale a voté vendredi, contre l'avis du gouvernement, l'obligation de rendre publics les activités et impôts payés pays par pays pour les grandes entreprises, en vue de lutter contre l'optimisation et la fraude fiscales.

Dans le cadre du projet de budget rectificatif 2015, les députés ont adopté des amendements sur la publicité de ce « reporting », portés par la commission des Finances, les écologistes ainsi que des socialistes, qui étaient aussi soutenus par le Front de gauche. La publicité est un élément essentiel dans la « bataille pour la transparence », a lancé un des tenants de la mesure, le socialiste Pascal Cherki. Cela permet le « name and shame » (technique anglo-saxonne du « nommer et blâmer »), a renchéri son collègue Benoît Hamon (PS), autre membre de l'aile gauche du PS. Pour les écologistes, Eva Sas a salué une « avancée », tandis que Patrice Carvalho (FG) soulignait le soutien des ONG et de la société civile.

« Enfin un vrai pas vers la transparence des multinationales ! », s'est félicitée l'ONG One France, évoquant aussi « une victoire extrêmement importante pour les pays en développement » victimes de « l'évasion fiscale d'entreprises implantées sur leur territoire ». Dans un communiqué commun avec Réactive, CCFD-Terre Solidaire, Oxfam France et Peuples Solidaires ActionAid France, ces ONG se réjouissent d'une « mesure historique » qui permettra de « révéler les montages fiscaux artificiels ». « Ce vote est d'autant plus important que cette question est discutée en ce moment même au niveau européen », soulignent-elles.

Les sociétés concernées sont celles cotées et celles qui remplissent deux parmi trois critères : bilan supérieur à 20 millions d'euros, chiffre d'affaires net supérieur à 40 millions d'euros et plus de 250 salariés.

Informations publiées en ligne

Ces informations sur les activités et les impôts payées par ces entreprises dans chaque Etat ou territoire d'implantation seront publiées en ligne, en format de données ouvertes, centralisées et accessibles au public, prévoient les amendements adoptés.

Le secrétaire d'Etat au Budget Christian Eckert avait opposé que cette publicité pourrait « nuire à la compétitivité de nos entreprises ». « Nous devons avancer au même rythme que nos partenaires européens », avait-il aussi fait valoir. « Les informations qui peuvent être divulguées ont un caractère stratégique », a abondé le socialiste Christophe Caresche, l'un des rares opposants à la publicité à être présent, dans un hémicycle particulièrement clairsemé en ce vendredi après-midi.

Le Medef a dénoncé dans un communiqué une mesure « particulièrement dangereuse », qui risque de « mettre nos entreprises en situation de véritable distorsion de concurrence et créerait pour elles de réelles difficultés ». Il demande au gouvernement de maintenir son opposition à cette mesure.

Le reporting déjà introduit dans la loi bancaire de juillet 2013

La France a introduit une exigence de reporting pays par pays pour les banques dans la réforme bancaire adoptée en juillet 2013, par souci notamment de dissuader les entreprises faisant de l'optimisation fiscale et de donner des outils au fisc pour identifier des risques d'évasion fiscale. L'Assemblée nationale a intégré le 12 novembre au projet de budget 2016 l'obligation pour les grandes entreprises de transmettre à l'administration un reporting pays par pays pour lutter contre l'optimisation fiscale, sous peine d'une amende d'au maximum 100.000 euros.

Cette mesure, adoptée avec le soutien du gouvernement, entendait traduire dans la législation française l'une des 15 actions de l'OCDE pour lutter contre l'évasion et l'optimisation fiscale agressive, avant la validation de ce plan par le G20 mi-novembre. A ainsi été prévu le dépôt en France à partir de l'exercice 2016, par les sociétés mères des groupes présentant un chiffre d'affaires annuel supérieur à 750 millions d'euros, de déclarations comportant la répartition pays par pays des bénéfices des groupes ainsi que la localisation et l'activité des entités. La proposition des écologistes de rendre publiques les informations publiées par les entreprises avait alors été rejetée.