Soupçonné de conflit d'intérêt dans l'affaire de fraude fiscale supposée de Liliane Bettencourt, Eric Woerth, ancien ministre du budget et actuel trésorier de l'UMP, dément toute implication et affirme être victime d’une « chasse à l’homme ». Le ministre du travail, promoteur à ce titre de la réforme des retraites, se retrouve néanmoins dans une position délicate.

« Mélange des genres », « conflit d’intérêt », « collusion », le ministre, chargé de mener à bien la délicate réforme des retraites, se retrouve depuis deux semaines au cœur d’une polémique à tiroirs. S’il conserve le soutien de son clan politique, Nicolas Sarkozy et François Fillon lui ayant notamment renouvelé leur confiance, les critiques et les demandes de démission émanant de l’opposition se multiplient.

Ministre du budget de 2007 à mars 2010, en même temps que trésorier de l’UMP, Eric Woerth est notamment soupçonné de conflit d’intérêt. Des enregistrements audio clandestins, diffusés le 16 juin dernier par le site Médiapart, laissent supposer qu'il aurait pu « couvrir » la fraude fiscale de l’héritière de la fortune L’Oréal, Liliane Bettencourt alors que sa femme, Florence Woerth, était salariée de Clymène, la holding personnelle de la milliardaire.

Des enregistrements qui déclenchent la polémique

Dans ces enregistrements, le directeur général de Clymène, Patrice de Maistre, conseille à Liliane Bettencourt de transférer des comptes de la Suisse vers Singapour, place financière jugée « plus sûre ». Le gestionnaire de la première fortune française a confirmé samedi dernier l’existence de ces deux comptes suisses, pour un montant total de 78 milliards d’euros.

Affirmant à la milliardaire « qu’en ce moment ils ont besoin d’amis », Maistre lui suggère également de faire trois chèques d’un montant de 7.500 euros (limite légale de don aux élus politiques) au bénéfice de Valérie Pécresse, alors en course pour les régionales en Ile-de-France, Nicolas Sarkozy et Eric Woerth, en tant que trésorier de l'UMP.

Florence Woerth démissionne de son poste à Clymène, société de Bettencourt

Florence Woerth travaille depuis 2007 pour la société Clymène. Au sein de l’entreprise, elle est « responsable des investissements » et a la charge, notamment, de l’optimisation fiscale de la milliardaire. Une position qui, de part les responsabilités de son mari à la tête de l'administration fiscale, laissait la porte ouverte à d'importants conflits d'intérêts. Les enregistrements clandestins suggèrent également qu'Eric Woerth serait intervenu auprès de Patrice de Maistre pour appuyer, en 2007, la candidature de son épouse.

Des éléments niés par l'intéressée. Soutenant que son mari « ne s’est jamais occupé » de sa carrière et qu’elle n’avait « absolument pas » connaissance de l’ensemble du patrimoine de l’héritière l’Oréal, Florence Woerth a annoncé qu’elle démissionnait de son poste. Une démission « prévue de toute façon », parce qu’elle « ne s’entendait pas avec son patron ». Dimanche pourtant, Eric Woerth a précisé que sa femme avait quitté son poste « à contrecœur », « victime de cette affaire ».

Une légion d’honneur en 2008 pour Patrice de Maistre

Suite aux révélations de Médiapart, Eric Woerth a nié à plusieurs reprises avoir eu des relations personnelles avec Patrice de Maistre. Mercredi dernier, le site internet du magazine Le Point a pourtant révélé qu’en janvier 2008, Eric Woerth lui a personnellement remis la légion d’honneur. Interrogé par l’AFP sur cette décoration, le ministère du travail a affirmé que « tout cela était extrêmement transparent », Patrice de Maistre étant décoré « en qualité de chef d’entreprise ».

Le Journal du Dimanche affirmait également, ce week-end, que Patrice de Maistre avait participé, au printemps 2008, à un dîner organisé pour les principaux donateurs de l'UMP par Eric Woerth, en tant que trésorier du parti présidentiel.

 Le parquet avait prévenu le fisc dès 2009 sur ce dossier

Vendredi, le procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye, a affirmé avoir prévenu l’administration fiscale en janvier 2009 que le dossier de François-Marie Bannier, photographe jugé la semaine prochaine pour « abus de faiblesse », en lien avec des donations de la milliardaire faite à son bénéfice, « était susceptible de mettre en évidence des éléments de fraude fiscale ».

Suite à ces déclarations, Eric Woerth a fait savoir par un communiqué que « c’est sous son autorité qu’a été lancé un contrôle fiscal sur Monsieur Bannier », assurant « qu’il n’a donné aucune instruction à l'administration fiscale de quelque nature que ce soit pour ne pas réaliser d'opérations de contrôle fiscal dans le dossier Bettencourt ». Le ministre de travail avait auparavant certifié n'avoir eu « aucune information sur une quelconque évasion fiscale » relative « aux finances de Mme Bettencourt. »

Eric Woerth se défend et dénonce « une chasse à l’homme »

Confiant au JDD qu’il avait « l’impression d’être un peu l’objet d’une chasse à l’homme », le ministre Eric Woerth s’est vivement défendu hier, lors du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, martelant qu’il n’a jamais « déclenché » ou « empêché » un contrôle fiscal. « Mme Bettencourt a fait l'objet de nombreux contrôle fiscaux depuis longtemps. Elle a une situation fiscale qui a toujours été considérée comme claire, jusqu'à ces écoutes qui disent qu'à un moment donné il y a du patrimoine qui n'a pas été révélé », a affirmé le ministre. Il a par ailleurs estimé qu’il n’y avait « aucun conflit d’intérêt » entre les fonctions de trésorier du parti présidentiel UMP et de ministre en charge du Budget.

Se disant « très serein » et affirmant « ne pas souffrir » de cette affaire dans la mesure où il n’a rien à se reprocher, Eric Woerth a également appelé à ne pas « sous-estimer » sa capacité de résistance aux « attaques » le visant dans le cadre de cette affaire.