L'Ordonnance du 17 juillet 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, confrontée à la position de la Cour de cassation
Par ce nouveau post, je voudrais soumettre à votre réflexion une problématique qui, à mon sens, ne concoure pas vraiment à simplifier le débat sur la sanction. Comment vont réagir nos juges et magistrats quand il va s'agir de statuer après les vacances judiciaires en confrontant la position sans équivoque de la Haute Juridiction et les termes de l'Ordonnance publiée au JO il y a à peine 48 heures ?
Ainsi que nous l'avons évoqué ici, le Gouvernement vient de prendre une Ordonnance qui concerne la sanction d'un TEG qui serait erroné ou absent d'un contrat de prêt.
Je vous joins à nouveau cette Ordonnance, complétée par le Rapport remis à la Présidence de la République, à cette occasion.
Pour rappel, la jurisprudence considère qu'un TEG erroné (ou inexact, ou encore irrégulier) équivaut à une absence de TEG.
Nous avons vu précédemment que par deux arrêts récents des 22 mai (n° 18-16.281) et 5 juin 2019 (n° 18-17.863), la Haute Juridiction a réaffirmé sa position qui considère que
l’inexactitude du TEG dans un acte de prêt est sanctionnée par la nullité de la stipulation d’intérêts (ce qui entraîne la substitution de l'intérêt légal à l'intérêt conventionnel à compter de l'acceptation de l'offre devenue contrat de prêt).
En substance,
l'Ordonnance vise à clarifier et harmoniser le régime des sanctions civiles applicables en cas d’erreur ou de défaut de ce taux, de sorte à être plus conforme aux directives européennes qui prévoient qu’outre leur caractère proportionné, les sanctions établies doivent être effectives et dissuasives.
Il ressort de sa lecture que le juge dispose ainsi de la faculté de prononcer la déchéance du droit aux intérêts du prêteur, en se fondant notamment sur le préjudice subi par l’emprunteur. Il est à préciser que cette déchéance peut tout aussi bien n'être que le seul droit pour le prêteur de ne percevoir l'intérêt qu'à hauteur de l'intérêt légal (en ce cas, la banque rembourse à l'emprunteur les intérêts perçus au-delà des intérêts au taux légal).
Dans cette dernière hypothèse,
on retrouve les mêmes conséquences financières qu'en cas d'annulation de la clause d'intérêts conventionnels.
En pareil cas, parle-t-on de sanction disproportionnée ? L'Ordonnance en question n'aborde pas cette problématique particulière de la nullité de la stipulation d'intérêts contractuels en cas d'erreur de TEG, sanction sans cesse rappelée par la Haute Cour.
Que va donc faire le juge à qui l'on demande de trouver la juste sanction ? Comment va-t-il statuer ? Je n'en ai pas la moindre idée, et c'est pour cela que je vous interroge
Mais il ne faut pas oublier, au milieu de ce que je considère comme un nouveau “
capharnaüm“ qui ne contribue pas tant que cela à clarifier les choses (une fois de plus, me direz-vous ?), que
la Cour de cassation vient très récemment d'être interrogée et a rendu une décision très claire, ce 14 mars 2019.
Voici l'affaire en question (je vous joins l'arrêt de cassation) :
Un prêteur a recueilli la signature de l'emprunteur sans que l'offre acceptée (devenue contrat) ne mentionne le TEG, en contravention avec les textes.
En effet, comme on le sait, en matière de crédit à la consommation, toute publicité doit mentionner le TEG, de même que l’information précontractuelle remise à l’emprunteur.
Dans cette affaire, la Cour d'appel de Versailles a constaté, à juste titre, que la télécopie valait contrat de prêt et qu’en application de l’article L. 313-4 du Code monétaire et financier, le TEG devait y être mentionné.
La Cour considère en effet que la société Dexia a ainsi requis et obtenu l’engagement irrévocable de l’emprunteur sans l’avoir préalablement informé du taux effectif global.
Il s’ensuit que
la stipulation de l’intérêt conventionnel a été déclarée nulle et que le taux légal devait être substitué au taux contractuel depuis la conclusion du contrat de prêt (arrêt du 7 juin 2018, ci-joint).
Le prêteur s'est pourvu en Cassation, en critiquant la jurisprudence qui sanctionne, de manière automatique, le défaut de mention du taux effectif global, dans tout écrit constatant un contrat de prêt, par l'annulation de la stipulation conventionnelle d'intérêts et le remplacement du taux contractuel prévu par le taux légal, privant l'établissement de crédit prêteur des intérêts contractuellement dus et l'obligeant dans les termes d'un contrat qu'il n'a pas conclu.
En effet, l'établissement de crédit a soutenu que cette sanction est critiquable et disproportionnée, en se prévalant des termes de l'article 23 de la Directive 2008/48/CEE, mais également de la Directive 17/CE (précisément les Directives dont il est question à propos de l'Ordonnance dont nous parlons), selon lesquels «
les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive, et prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu'elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. »
Ce qui a conduit la Cour d'appel de Versailles à transmettre à la Cour de cassation
la question de savoir si la nullité prononcée méconnaissait les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, pour porter une atteinte excessive au droit de propriété et à la liberté contractuelle.
Ce à quoi la Haute Cour a répondu que
la question prioritaire de constitutionnalité n'était pas recevable.
C'est donc à bon droit que les Magistrats de la Cour d'appel de Versailles ont statué en prononçant la sanction de la nullité de la clause d'intérêts.
Et, pour compliquer les choses, comme vous le savez à la lecture des innombrables articles publiés dans ce Forum, lorsque le contrat de prêt ne s'est
pas valablement formé entre la banque et l'emprunteur, notamment par
absence de rencontre des volontés, notion sacrée du droit des contrats, la Cour de cassation statue sur le fondement du droit des obligations et prononce la nullité relative du contrat, ce qui se traduit par la nullité de la clause de stipulation de l'intérêt conventionnel, obligeant le prêteur à restituer toutes les sommes perçues au-delà de l'intérêt légal, ce qui aboutit parfois à une sanction de plusieurs dizaine de milliers d'euros pour des erreurs de quelques dizaines (ou centaines) d'euros, si ce n'est pas quelques centimes dans certaines affaires.
Comme quoi nous n'en avons pas encore fini avec la question de la proportionnalité de la sanction prononcée, et j'ai le sentiment (tout personnel) que la “fameuse“ Ordonnance du 17 juillet 2019 ne vient pas spécialement clarifier et harmoniser le régime des sanctions.
Vous me direz ce que vous en pensez...